Jean-Claude Michéa est un philosophe français contemporain ( il est né en 1950,
c’est dire sa jeunesse…) qui a beaucoup publié à partir d’une triple inspiration : Marx, Orwell et Marcel Mauss. Marx pour son analyse du capitalisme et de la lutte des classes, Orwell pour sa dénonciation du totalitarisme du monde moderne, Mauss pour sa théorie du « fait social total » ( on me pardonnera j’espère ce résumé abusif de cette triple influence si riche et si complexe …). En tout cas, Michéa est un anti-libéral farouche qui n’a jamais la dent assez dure pour critiquer les trahisons de la Gauche «post mitterrandienne « comme il la qualifie . Et dans ce livre, il poursuit sa croisade en décrivant les conséquences visibles du mode de développement capitaliste et libéral qui, selon lui, équivaut à une sorte de fuite en avant suicidaire : destruction écologique, inégalités excessives et insupportables, brutalité et violence de la vie quotidienne…
Sur tous ces points il est assez convaincant. Mais en homme de gauche réformiste mais pas révolutionnaire, libéral politique mais anti libéral économique, je brûle de lui poser la question centrale : d’accord ! Alors on fait quoi ? La révolution ? Le capitalisme d’Etat ? La fixation des prix par l’Etat ? L’allocation des richesses par le Plan ? Les soviets ? Ou bien la régulation par la réforme ? Et, dans ce cas, quelles mesures efficaces ? Je sais bien que que Michéa en d’autres pages se fait défenseur du référendum comme solution à bien de nos maux. Mais outre que la pratique référendaire, dans l’histoire de France et en particulier de la Vème République a si souvent - pas toujours!- pris des formes plébiscitaires que le peuple a fini par répondre moins à la question posée qu’à celui qui l’a posée, on ne voit pas, par ailleurs, qu’on puisse gouverner par référendum, jour après jour…en tout cas cela mérite débat.
Mais l’intérêt du livre réside ailleurs, j’allais dire là où ne l’attend pas ! Car Michéa-le philosophe marxiste qui vivait dans une grande agglomération urbaine, a décidé, il y a quelques années d’aller vivre dans un petit village des Landes, dans le bas-armagnac et ce sud-ouest que j’aime tant et où je vis depuis 40 ans. Et il a adopté le genre de vie local : il cultive son potager, élève des poules et des canards, va à la chasse, fait la fête au village, assiste aux courses landaises, aux corridas..mais il découvre aussi ce qu’est un village sans commerce, le premier médecin à des kilomètres, l’absence de transports collectifs, de services publics. Et il comprend mieux au point de les partager les travaux remarquables de Christophe Guilluy sur l’opposition entre France métropolitaine et France périphérique, corroborés par les études - tout autant remarquables- de Jérôme Fourquet.
Au point, touche après touche, de définir une théorie sociale selon laquelle là se trouvent les couches sociales les plus défavorisées, dans le monde rural . Et je ne suis pas loin de le suivre pour vivre dans un petit village de Bigorre de 400 habitants. Là et autour de là, le vote d’extrême-droite n’a jamais cessé de progresser depuis vingt ans. A cause des immigrés ? Il n’y en a que très peu… De la délinquance ? Idem. Non, ce qui l’emporte, c’est le sentiment d’abandon : ils ne tiennent pas compte de nous là-haut ? On ne pense jamais à nous, on ferme nos écoles, nos gares, nos hôpitaux… C’est d’ailleurs ce qui a impulsé d’entrée de jeu le mouvement des gilets jaunes, qui était d’abord un cri de colère sociale avant de dégénérer par sa diversité, son refus de s’organiser et les déviances violentes..tout cela Michéa le voit, le partage, le comprend, le théorise. Et il en vient à conclure que la bourgeoisie intellectuelle des grandes villes devient la principale adversaire de la France périphérique en voulant lui imposer sa loi et son mode de vie. Et il devient encore plus intéressant quand il démontre que Sandrine Rousseau, Aymeric Caron et tous les wokistes sont les meilleurs défenseurs du libéralisme par leur défense de l’individu « qui a tous les droits » ( l’indidualisme radical de la bourgeoisie libérale) ou, surtout, par leur occultation coupable de la question sociale, ou bien quand il affirme que la question de l’identité ou de l’appartenance, de la tradition ou de la coutume loin d’être des éléments de fascisme comme le dit l’extrême-gauche, sont en fait des facteurs constitutifs de l’homme-animal social . Et que la Gauche, pour se relever, doit prendre en compte cette question de fond .
Il y a beaucoup à picorer dans le poulailler conceptuel et philosophique de Jean-Claude Michéa.
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