"On doit pouvoir combattre les intégristes sans être qualifié de religiophobe"
Mardi 17 Février 2015 à 5:00
Propos recueillis par
Kevin Erkeletyan
Après
les attentats en France, après ceux de Copenhague, des voix se font
encore entendre pour remettre en cause la laïcité, appeler à des
accommodements... Jean Glavany, député PS des Hautes-Pyrénées, s'en fait
le défenseur et appelle à une application "stricte" de la loi de 1905 :
"Il faut le faire avec plus de rigueur qu’on ne l’a jamais fait et
donner à l’école publique, laïque et obligatoire tous les moyens qu’elle
n’a pas, y compris vis-à-vis de la concurrence déloyale d’écoles
religieuses".
J.E.E/SIPA
Marianne : Un
peu plus d'un mois après les attentats en France, quelques jours après
ceux de Copenhague, il en est encore pour remettre en cause la laïcité,
appeler à des accommodements. Vous êtes de ceux qui, au contraire,
considèrent que la laïcité est plus nécessaire que jamais.
Jean Glavany : La
laïcité est une règle de vie en commun pour respecter nos différences
et, en même temps, apprendre à les dépasser pour construire ce qui est
en commun. Les tensions et les violences insupportables que traversent
nos sociétés aujourd’hui sont, notamment, le fruit d’attaques
intégristes et fondamentalistes contre ce vivre-ensemble et ces valeurs.
Face à ces attaques, notre devoir est de défendre ces valeurs, au
premier rang desquelles il y a la laïcité.
Des
responsables politiques de gauche expliquent que des discours
prétendument « stigmatisants » vis-à-vis de certaines communautés
seraient responsables de leur radicalisation, qu’en pensez-vous ?
C’est
une erreur profonde et quasiment criminelle ! On doit pouvoir combattre
les intégristes religieux sans être aussitôt qualifié de
« religiophobe » ou d’islamophobe. Ne pas nommer les choses c’est
ajouter à la misère du monde, Albert Camus avait raison. Il ne faut pas
prendre nos citoyens pour des imbéciles mais employer les mots justes et
précis quand il le faut. Avec circonspection, en refusant les
amalgames, mais sans se voiler la face. Quand le terrorisme est
islamiste, il faut le dire. C’est une responsabilité écrasante d’une
partie de la gauche que d’avoir attaqué, dénigré, condamné ceux qui
critiquaient les intégristes religieux en les traitant d’islamophobes.
Ça fait le jeu du Front national : toute critique de l’islamisme devient
islamophobe et le FN se frotte les mains parce que, lui, dit bien qu’il
y a des problèmes et qu’il faut les traiter. C’est un discours d’autant
plus criminel que si on n’arrive pas à dissocier l’intégrisme religieux
de la religion, alors on devient impuissant. Moi, je ne confonds pas la
religion catholique avec l’Inquisition ni avec la nuit de la Saint
Barthélémy.
A vous écouter, on fait passer la victime pour le coupable et inversement ?
"Il
n’y a pas d’intégrisme laïque. Ça n’existe pas puisque la
laïcité, c’est la liberté de conscience"Oui, relisons le numéro de
Charlie Hebdo
paru tout de suite après les attentats qui, en substance, se demandait
si le langage politique et intellectuel allait enfin bannir cette
expression de « laïcard intégriste » qui fait porter le même maux/mot à
la victime et au coupable. Il n’y a pas d’intégrisme laïque. Ça n’existe
pas puisque la laïcité, c’est la liberté de conscience. Vous connaissez
un intégriste de la liberté ? Ça ne veut rien dire. Ceux qui veulent
toujours mettre un qualificatif après la laïcité sont toujours des
anti-laïques.
Le même genre de discours tend à faire croire que la radicalisation religieuse a des causes principalement socio-économiques…
Ça
n'est certainement pas vrai ! Elles sont économiques et sociales mais
pas seulement. Dire le contraire serait une insulte aux millions de
Françaises et de Français qui, musulmans ou pas, vivent dans nos cités,
dans des conditions économiques et sociales extrêmement difficiles, et
qui, pour autant, respectent scrupuleusement les lois de la République
avec beaucoup de civisme et de citoyenneté. Si c’était la pauvreté et la
misère économique et sociale qui provoquait le fondamentalisme
religieux et le terrorisme, ça se saurait. Il ne faut pas tomber dans le
simplisme absolu. On voit bien que sont embrigadés sur Internet des
jeunes gens ou des jeunes femmes qui parfois sont de « bonnes
familles », qui ont fait de bonnes études. Ce sectarisme fait des
victimes chez les gens faibles psychologiquement plutôt que faibles
économiquement.
Faites-vous partie de ceux
qui estiment que c'est d'abord aux musulmans de France d’agir face à
l'intégrisme ? Si oui, les avez-vous trouvés suffisamment engagés dans
la dénonciation de la menace islamiste ?
C’est à tout le
monde d’agir. Il ne faut pas alléger la République de sa propre
responsabilité, notamment vis-à-vis de l’école, de l’éducation à la
citoyenneté et au civisme. Le discours politique doit chercher davantage
ce qui nous rassemble et ce qui nous unit que ce qui nous oppose. La
République a aussi une responsabilité essentielle dans les mesures de
renseignement, de police, de répression.
C’est vrai qu’on ne peut pas
exonérer les religions en général de leur intégrisme. Je le dis souvent
de manière provocatrice mais dire que les religions n’ont rien à voir
avec leur intégrisme religieux, c’est comme affirmer que le Tour de
France n’a rien à voir avec le dopage ou le football avec le
hooliganisme. Les religions ont leur part de responsabilité :
historiquement, elles n’ont pas toujours joué le rôle qu’il fallait
vis-à-vis des extrémismes religieux. Alors, on attend aujourd’hui de
l’islam de France qu’il se retrousse davantage les manches. Beaucoup de
paroles encourageantes se manifestent depuis un mois, mais il faut que
la République trouve les moyens de structurer un islam de France, c’est
un impératif absolu.
Vous parliez du FN précédemment. Comment jugez-vous sont discours sur la laïcité ?
"En
faisant de la laïcité un combat contre l’islam, le FN commet une faute
majeure"C’est le plus fort, le plus clair, mais aussi le plus simpliste
et le plus faux ! Il tombe dans l’amalgame en faisant de l’islam un
ennemi et de la laïcité un combat contre l’islam. C’est une faute
majeure ! La laïcité n’est pas antireligieuse, elle est anti-intégriste.
Le FN se sert de la laïcité comme d’un bouclier contre l’immigré
musulman. C’est un dévoiement absolu de la laïcité. Le FN est tout sauf
laïque.
Qui a abandonné la laïcité en France ?
Un
peu tout le monde. Notamment, la droite qui n’a jamais été à la pointe
du combat laïque : elle a toujours été du côté d’une religion, la
religion catholique. Aujourd’hui elle est très embarrassée de se rendre
compte qu’il y a une solidarité entre religions. Les jeunes filles
voilées, qui refusent d’enlever leur voile à l’école publique, sont
accueillies par l’école catholique. La droite a combattu la laïcité à
tout bout de champ : depuis cinquante ans, toutes les lois anti-laïques
ont été votées par elle, à commencer par la loi Debré.
Et la gauche ?
Une
partie de la gauche l’a aussi abandonnée en faisant croire que la
laïcité correspondait uniquement à l’antiracisme. Faire la moindre
critique à l’égard d’une religion était, pour elle, potentiellement
raciste. Cette critique « islamophobique » a été faite à tous ceux qui
dénoncent le fondamentalisme religieux.
Charlie Hebdo a été attaqué par une grande partie de la gauche qui les traitait de racistes et d’islamophobes.
Quelles mesures faut-il prendre pour renforcer la laïcité et retrouver une certaine sérénité ?
"Les
privilèges qu’on a accordés à l’enseignement catholique, demain
l’enseignement musulman les réclamera"La première serait d’appliquer
strictement et rigoureusement la loi de 1905 de séparation des Eglises
et de l’Etat. Il faut le faire avec plus de rigueur qu’on ne l’a jamais
fait et donner à l’école publique, laïque et obligatoire tous les moyens
qu’elle n’a pas, y compris vis-à-vis de la concurrence déloyale
d’écoles religieuses. Les privilèges qu’on a accordés à l’enseignement
catholique, demain l’enseignement musulman les réclamera. Et on creusera
un peu plus le lit du communautarisme. En tout cas, ce n’est pas avec
des journées de la laïcité ou des choses de ce type que l'on va faire
bouger les choses. C’est surtout en respectant et en enseignant la loi
et le civisme à tous les âges de la vie qu’on fera progresser la
laïcité.
Justement, ne fallait-il pas rendre obligatoire le service civique, quel que soit d'ailleurs son prix ?
C’est
plutôt mon point de vue, oui. A partir du moment où un service civique
n’est pas obligatoire, il n’est plus civique. Si c’est un devoir à faire
envers la nation, je ne vois pas pourquoi certains en seraient
exonérés. Si, à l’inverse, c’est un privilège de le faire, ce n’est pas
civique. C’est un peu la République à la carte.
On parle beaucoup de l’éducation des enfants à la laïcité, mais ne faudrait-il pas aussi « éduquer » certains parents ?
Oui, mais
les enseignants aussi ! La droite a pris une responsabilité écrasante
en supprimant la formation des maîtres. Et comme on ne les formait plus,
on ne les formait plus aux valeurs de la République. Et qu’on remette
ça sur le chantier, c’est peut-être la chose la plus positive qui est en
train d’être faite. Je rends hommage à Vincent Peillon qui a
réintroduit une charte de la laïcité à l’école et l’enseignement d’une
morale républicaine. De même qu’à Najat Vallaud Belkacem qui est en
train de réintroduire la formation des maîtres à des modules de laïcité.
C’est par la formation des enseignants que passe celle des enfants.
C’est le b.a.-ba de la vie en République.
Jean GLAVANY
Ancien Ministre
Député des Hautes-Pyrénées
05 62 96 99 27