Sur
la forme tout d’abord : le Gouvernement nous annonce pour les
semaines qui viennent une grande loi sur laquelle il travaille depuis
longtemps et qui devrait être la marque d’une doctrine
sophistiquée et rassembleuse dans le domaine régalien, une loi
qu’il appelait « sur les séparatismes » mais qui a changé de
nom car personne ne comprenait ce que ça voulait dire, et qui serait
devenue « loi sur le renforcement des principes républicains ».
Soit.
Mais
alors pourquoi donc polluer la préparation de ce « monument
législatif » avec un débat préalable qui embrouille les esprits,
détourne l’attention et place le gouvernement sur une position
défensive ? On dirait un sabotage organisé. C’est
incompréhensible.
Pourquoi
donc, au demeurant, traiter de sujets aussi graves que la sécurité
par le biais d’une « proposition de loi » d’initiative
parlementaire donc et non gouvernementale qui, comme le savent les
spécialistes, est toujours plus fragile juridiquement car n’étant
pas soumise au filtre du Conseil d’Etat ? On me dit qu’ «il faut
bien que la majorité parlementaire vive un peu son autonomie et
prenne des initiatives »...je connais cette musique pour l’avoir
vécue et, parfois, subie. Mais franchement, de là à prendre ces
risques, je trouve l’autonomie bien cher payée !
Sur
la forme toujours, je trouve au passage qu’en cette période
tourmentée de crises superposées où le pouvoir peut sembler
hésitant et contradictoire et où il importe plus que jamais de
faire oeuvre de pédagogie, se foutre la presse à dos en s’attaquant
à la liberté d’informer est d’une autre maladresse folle...Mais
on n’était pas au bout de nos surprises on le verra un peu plus
loin.
Voilà
pour les donneurs de leçons de 2017 qui voulaient mettre le « vieux
monde » au rencard et qui nous annonçaient qu’on allait voir ce
que l’on allait voir.
Reste
le fond et c’est bien là le plus important.
On
pourra nous raconter tout ce qu’on voudra, cet article 24 visant
peu ou prou à « encadrer » ( si l’on est indulgent) , à «
limiter » si on est moins aimable ou à « contraindre » la liberté
d’informer nous est proposé quelques semaines après qu’une
vidéo a fait le tour du monde pour démontrer et dénoncer
l’assassinat odieux d’un citoyen noir américain, George Floyd,
par un policier raciste. Et l’on voudrait que l’opinion ne fasse
pas le rapprochement ? Et l’on voudrait que cela ne passe pas comme
une volonté délibérée d’empêcher de laisser voir ces vidéos
citoyennes ? Peine perdue.
Alors
on m’explique que, pas du tout, il s’agit juste de protéger les
policiers exposés à la vindicte et à la dénonciation sur les
réseaux sociaux, et que cela aurait fait l’objet d’un « deal »
avec un syndicat de policier. Je ne savais pas que les syndicats
faisaient la loi sous ce gouvernement et j’aimerais bien savoir
lequel. Mais ce que je sais c’est qu’un article du projet de loi
«Principes républicains » , travaillé si soigneusement par le
gouvernement et devant passer par le filtre du Conseil d’Etat
aborde ce sujet compliqué et délicat et qu’il eût été utile
d’attendre sagement cette discussion et le «mûrissement » de la
solution quelques semaines de plus sans agir dans cette
précipitation.
Et
puis vient le ponpon : une nouvelle bavure policière, raciste très
probablement et d’une violence insoutenable est révélée par une
vidéo de sécurité. Patatras, on ne pouvait imaginer réquisitoire
plus convaincant contre l’article 24 !
On
se dit alors que le gouvernement et sa majorité vont comprendre
qu’il serait dangereux d’insister. Eh bien non, on voit le
Ministre de l’Intérieur se précipiter dans un journal télévisé
de 20h annoncer que, « sur sa proposition» ( je me souviens de sa
phrase : « je remercie le Premier Ministre d’avoir accepté ma
proposition »...) il va demander à une « commission indépendante
» le soin de « réécrire » l’article 24.
Une
commission indépendante pour écrire la loi !! Une commission
indépendante à la place du Parlement élu démocratiquement ??
On
croit rêver : jamais le mépris du Parlement ne s’était exprimé
si explicitement...
Même
le bon Richard Ferrand, Président de l’Assemblée Nationale, a vu
rouge ! Il a eu bien raison d’ériger et d’obtenir que cette
ineptie soit retirée de la table.
Tout
cela laisse pantois. Je n’aime pas accuser d’amateurisme les
gouvernants de la République car c’est se placer soi-même au rang
des donneurs de leçons que je dénonçais plus haut. Pourtant....
dimanche 29 novembre 2020
Je ne comprends toujours pas ce qui a pris le gouvernement avec cette satanée loi sur « la sécurité globale » qu’il tente, bon an-mal an, de faire adopter par le Parlement mais dans laquelle il semble un peu plus empêtré chaque jour qui passe...
Lu « Nature humaine », le roman de Serge Joncour paru chez Flammarion et qui vient d’obtenir le prix Femina.
d’élevage de bovins pour la viande pour être précis, où l’on est agriculteur de grand-père à père et de père à fils. Les filles, elles, vont « à la ville ». Une exploitation « à l’ancienne » où l’on nourrit les bêtes à l’herbe ce qui, entre parenthèses, l’a mise à l’abri de la crise la vache folle véhiculée par ces maudites farines animales... Pendant cette période, la famille et l’exploitation vont vivre ballottées par l’actualité du progrès théorique et de ses accidents, symbolisés par les combats régionaux pour le Larzac et contre Golfech et, plus tard, contre l’autoroute Limoges-Toulouse, et -last but not least- la terrible tempête de 1999 qui ravage l’exploitation. Tout cela est raconté à travers le prisme des amours du fils de la famille entre ses 16 et 36 ans, ses interrogations sur les évolutions à impulser dans l’exploitation, « grandir ou ne pas grandir », et ses amours avec une jeune allemande écologiste rencontrée à Toulouse dans l’appartement de la sœur aînée étudiante, et qui considère que le domaine du Lot est une sorte de paradis sur terre...un paradis qu’elle ne cherche pourtant point à rejoindre.
C’est agréable à lire, bien ancré dans le terroir, branché sur l’actualité presque historique de l’époque et tentant tant bien que mal d’exposer les grandes problématiques rurales du Sud-Ouest de la France et du Lot en particulier.
lundi 23 novembre 2020
Lu « Il est à toi ce beau pays » de Jennifer Richard paru chez Albin Michel.
siècle et relate d’un façon romancée un pan douloureux de l’histoire de l’humanité, l’esclavage, à travers la violente colonisation de l’Afrique noire et, plus particulièrement de ce qu’on appelait le « Congo belge » et l’instauration de la discrimination raciale aux Etats-Unis. Une fresque qui met en scène aussi bien des personnages historiques comme le roi des belges Léopold II dit le « seigneur de l’Afrique », de grands explorateurs comme Livingstone, Stanley, Savorgnan de Brazzaville, le pasteur George Washington Williams, que des missionnaires ou des affairistes inconnus, et décrit concrètement la tragique condition des noirs, massacrés par une colonisation barbare d’un côté de l’Atlantique et écrasés par un système institutionnel totalitaire de l’autre.
C’est un livre puissant, long, douloureux mais tellement utile. Il y a des coups de poing dans la gueule qui rafraîchissent utilement les mémoires.
mardi 10 novembre 2020
Lu « Cochons, Voyage aux pays du Vivant » d’Erik ORSENNA, paru chez Fayard/stock.
L’ami Erik, académicien de son métier, poursuit ses voyages autour du monde pour
l’élaboration de son « précis de mondialisation » en égrénant les sujets les plus divers: après le coton, l’eau, le papier, le Gulf Stream, les neuf guitares et les villes d’eau, le voici qui nous mène sur les traces du cochon dans le monde...il faut dire qu’il y a de quoi faire : la Chine et ses 450 millions de porcs, l’Europe entre 200 et 250, l’Amérique du Nord un peu plus de 100 millions...la France et ses 25 millions de porcs, essentiellement en Bretagne. Et comme Erik est un breton de cœur ( il est installé dans les côtes d’Armor en face de l’île de Bréhat), il porte un regard affectueux sur l’aventure du porc breton, contant l’histoire de la COOPERL , cette gigantesque coopérative longtemps présidée par le seigneur Alexis Gourvennec qui n’avait de coopérateur que le titre...mais ça, Erik ne s’en soucie guère. Un regard affectueux, donc, mais exigeant aussi, transition climatique oblige, état des rivières de Bretagne aussi, algues vertes accusatrices à la clef. Mais l’ami Erik sait aussi détourner le regard de la quantité pour se tourner vers la qualité et regarder les productions locales ancrées dans les territoires, notamment dans nos Pyrénées avec le Kintoa du Pays Basque et du célèbre Pierre Oteiza ou bien le « Noir de Bigorre », sûrement le meilleur de tous, cela dit en toute objectivité...
Et puis voilà, Erik ayant l’esprit ouvert et curieux, partant du cochon dans le monde il s’engage sur la voie du vivant en général, par un plaidoyer plutôt convaincant en faveur d’une condition du vivant englobant humains et animaux, plaidoyer vigoureux pour la défense de la condition animale qui marque, quoiqu’on en dise la qualité d’une civilisation. Pour avoir fait adopter par le Parlement, il y a quelques années, un amendement reconnaissant dans le code civil que l’animal est « un être vivant, doué de sensibilité » au grand dam de la Droite et de la FNSEA qui m’accusaient de vouloir
« tuer l’élevage » ( rien que ça...) je sais d’expérience que la cause n’est pas encore unanimement reconnue. Et puis enfin, comme Erik collabore depuis plusieurs années avec l’Institut Pasteur, le vivant oblige, il nous emmène aussi sur les chemins des bactéries et des virus...actualité quand tu nous tiens !
Bref rien n’arrête notre cher ami. Qui trop embrasse mal étreint ? Même pas...
mardi 3 novembre 2020
Lu « Enjeux de guerre » des Colonels Pierre-Joseph Givre et Nicolas Le Nen, paru aux éditions Economica en 2012 ( depuis, les deux auteurs sont devenus généraux) avec une préface d’Hubert Védrine.
J’ai connu Nicolas Le Nen lors d’une mission parlementaire en Afghanistan au moment de la participation française à la force multinationale engagée sur place après les attentats de 2001 à New-York. C’était un peu après l’embuscade meurtrière de la Kapisa et il y commandait une base fortifiée, la FOB TORA, à la tête d’un régiment de chasseurs alpins. Ambiance de guerre sur un théâtre avancé, mission passionnante.
J’avais été impressionné
et séduit par les raisonnements et les propos de ce jeune colonel,
beau prototype d’officier républicain, et nous ne sommes pas
perdus de vue, nouant même une vraie amitié. J’ai voulu relire ce
livre à l’aune de la situation très particulière que traverse
notre pays. Car, après tout, nous sommes en guerre. Une guerre sur
deux fronts. Une double guerre : contre le virus et contre le
terrorisme de l’islamisme radical. Ce qui, on en conviendra, a
quelque chose d’exceptionnel et crée une ambiance dans le pays
d’une grande gravité, où les sentiments se mêlent dans
l’opinion, à la fois responsable mais aussi accablée et parfois
en colère.
D’entrée
de jeu, je veux préciser que par éducation d’une part - mon père
fut un héros de la deuxième guerre mondiale et fut ensuite un
général d’aviation-, mais aussi par culture républicaine, quand
nos soldats sont au front. - j’entends ici par «soldats » tant
nos personnels soignants si dévoués et courageux que toutes nos
force de l’ordre mobilisées contre le terrorisme -, je ne conteste
pas ceux qui les commandent, je ne discute pas la pertinence de
la stratégie. Il sera temps après.
Mais
cela ne m’empêche nullement d’y réfléchir, et ce livre y
aide.
Il
traite de l’art de faire la guerre autour de beaucoup de références
historiques et évoque les révolutions stratégiques du temps
présent, où l’on n‘affronte plus l’ennemi puissant, organisé
et délimité, sur un « théâtre » défini mais où l’ennemi
est masqué, caché, et le théâtre diffus....
Je
pense en particulier à l’importance de ce que les auteurs
appellent « La trinité », c’est-à-dire le triangle
Pouvoir politique-Armée-Population, que Jaurès appelait, lui, «le
lien armée-Nation ». Cette impérieuse nécessité d’associer le
peuple à l’effort de guerre. Ne le laisser ni dans l’ignorance
ni dans l’indifférence. Le mobiliser, lui expliquer, faire la
pédagogie de la guerre. En l’occurrence les deux guerres, contre
le virus et contre le terrorisme. La leçon vaut plus que jamais.
J’imagine, j’espère que nos dirigeants en sont convaincus....