Ainsi,
« l’étendard sanglant de la tyrannie s’est levé contre nous » et nous
avons entendu « mugir ces féroces soldats dans nos campagnes » qui
sont venus « jusque dans nos bras », mitrailler « nos fils et
nos compagnes ».
L’hymne
national, ce bien si précieux, que certaines âmes irresponsables voyaient
démodé et inutilement guerrier, s’est retrouvé brutalement aux premières loges
d’une cruelle pertinence…
Ne
nous attardons pas sur les faits : tout a été dit sur eux et les chaînes
d’information « 24h sur 24 » ont, une fois de plus, tout montré.
Mais relevons la symbolique : 17 morts dont les membres d’une rédaction –
voilà pour la liberté d’expression – , des juifs parce qu’ils étaient juifs
– voilà pour la barbarie antisémite – ,
et des flics, municipaux ou nationaux – voilà pour un symbole d’un Etat
courageux qui est intervenu en première ligne au Sahel ou au Moyen-Orient contre
le djihadisme – .
Ce
faisceau de motivations et de symboles caractérise bien une idéologie
fascisante et barbare. La déclaration de guerre d’une tyrannie contre la
République. « Une guerre » dit Tahar Ben Jelloun, « contre la
laïcité, de la part de ceux qui auraient voulu déterrer Voltaire, Montaigne,
Rabelais, et faire de leurs œuvres un feu assassin ».
Face
à cette barbarie, il faut, d’abord et avant tout, garder son sang-froid et ne
pas se précipiter vers les explications simplistes, les commentaires
réducteurs, les mises en cause aveugles.
L’exemple-type
du « c’est la faute à SCHENGEN et aux frontières-passoires », alors
que les meurtriers sont des Français, nés en France…Inepte.
Il
n’y a pas de place non plus pour les polémiques politiciennes : la
situation qui vient de nous péter à la figure vient de loin et nous sommes
tous, Gauche et Droite, responsables, chacun à nos manières, mais tous
responsables : la Droite en cultivant à l’excès les amalgames dévastateurs
ou en privant les services publics essentiels – l’Education ou la Police – de
moyens indispensables ou bien encore en n’ayant tiré aucune leçon véritable de
l’embrasement des banlieues en 2005 ; la Gauche, ou une partie non
négligeable de la Gauche en tout cas – en niant les problèmes ( je me souviens
du « il n’y a pas de problème de laïcité en France » d’un haut
responsable politique, il y a peu…), en refusant de nommer les problèmes par
mauvaise conscience – souvenons-nous des imbéciles qui traitaient la rédaction
de Charlie d’islamophobes sous prétexte qu’elle dénonçait et combattait, à
juste titre, l’islamisme radical ! – ou en imaginant que le
multiculturalisme pouvait remplacer l’universalisme républicain. Trop de
socialistes ont oublié d’être républicains avant d’être socialistes…
Tous
responsables.
Tous, collectivement, nous avons sous-estimé l’ampleur du
mal : la lente et inexorable montée du communautarisme, l’éclosion exacerbée
des intégrismes religieux, le développement invraisemblable de l’antisémitisme.
Tous, collectivement –ou presque- nous n’avons cessé d’imprimer nos discours politiques de nos divisions,
de nos divergences, nos singularités, nos différences…et jamais, ou de moins en
moins, de ce qui dépasse nos différences, de ce qui nous rassemble, (« le
narcissisme de nos différences » disait Jacques Julliard).
Alors que faire ?
Que faire pour ne pas que le magnifique élan républicain du
11 janvier, formidablement animé par notre Président et le Gouvernement, dignes
des plus grands éloges en la circonstance, se retrouve aux oubliettes de
l’histoire ?
D’abord bien nommer les choses
« Ne pas nommer les choses » disait Camus,
« c’est ajouter au malheur du monde ».
Dire et redire, proclamer que la République laïque n’est pas
un combat contre les religions. Au contraire puisque ses lois protègent « le libre exercice des cultes ». Mais
elle est un combat contre les intégrismes religieux, tous les intégrismes
religieux parce que ceux-ci n’acceptent pas de se soumettre aux lois de la République
mais veulent s’y substituer.
Dire et redire, proclamer, que l’islamisme n’est pas l’islam,
pas plus que le catholicisme ne s’est résumé à l’inquisition. L’immense majorité
des musulmans de France sont des croyants laïques, des citoyens de France. Ils
ne doivent pas en avoir honte.
Dire et redire, proclamer, que l’antisémitisme n’est pas une
opinion mais un délit et que notre histoire douloureuse ne nous permet pas la
moindre faiblesse en ce domaine : les juifs de France ne doivent pas avoir
peur.
Dire et redire, proclamer, que le blasphème n’est pas un
délit dans la République (sauf, hélas, en Alsace-Moselle…dérogation que la République
s’honorerait à abolir). Comme le dit Bernard-Henri Lévy, « les religions
ne sont ni plus ni moins respectables que les idéologies profanes. Le droit d’en
rire et d’en débattre est un droit pour tous les hommes ».
Dire et redire, proclamer, que dans la République, dans sa
culture, il n’y a qu’une communauté : la communauté nationale, le
rassemblement des citoyens libres et égaux en droit. Il n’y a pas plus de
communauté juive que de communauté musulmane. Il y a des juifs et des musulmans
de France.
Ensuite réagir fermement et sagement
Le Gouvernement et le Parlement ne peuvent pas ne pas réagir.
Ils ont le devoir de tirer les leçons de cette tragédie. Ils vont le faire. A
situation exceptionnelle, il faut une réponse exceptionnelle. Mais pas une
réponse d’exception. Souvenons-nous des excès de la réaction américaine après
le 11 septembre 2001 : je ne veux pas de Guantanamo français.
Nous agirons dans deux directions indissociables : la
prévention et la répression.
Pour la répression, sans loi d’exception, on peut, on doit
agir vite et bien dans de nombreux domaines : internet, les trafics d’armes,
les moyens du renseignement, l’organisation interne des prisons… Formons le vœu
qu’un consensus républicain sur ce terrain épargne les surenchères
démagogiques.
Pour la prévention, je ne connais qu’une réponse :
l’Education, l’Education, l’Education. Je ne veux pas d’un « patriot act » à
l’américaine, je veux un « Education act » à la française. J’entendais
récemment un ancien Président déclarer que « la Gauche embauchait 60 000
enseignants, pour rien »… Pour rien ?! Les jeunes Français sont assez éduqués ?
Assez encadrés ? Assez guidés ? Ma douleur à moi, c’est celle de ces quelques
centaines de gosses qui ont refusé de respecter la minute de silence vendredi
dernier. Ce sont ces gosses-là que la République doit prendre en charge,
d’urgence. Par l’éducation, la connaissance, la compréhension, l’échange, le
dialogue… L’autorité aussi. Le respect de l’autre. Pour en faire des CITOYENS,
libres et émancipés. Cela suppose notamment, soyons-en conscients, un
gigantesque effort de formation de nos maîtres qui sont trop souvent
« désarmés ».
Enfin, faire vivre, au quotidien, l’idéal républicain
Eh oui ! C’est cela l’idéal républicain et laïque : le
respect et le dépassement des différences, de toutes nos différences, qu’elles
soient religieuses, culturelles, de couleur de peau ou de lieux de naissance,
d’engagement sexuel, philosophique, associatif ou politique. Sans respect, pas
de vivre ensemble. Mais la laïcité ne se contente pas de respecter les
différences, elle nous amène à les dépasser pour toujours rechercher ce qui
nous rassemble, la République, son histoire douloureuse, son présent et la recherche
de l’intérêt général, son avenir que nous voulons construire ensemble, pour nos
enfants. Faire vivre cet idéal républicain autour des valeurs de liberté,
égalité, fraternité, et cette laïcité qui-enfin !- surgit dans les discours
publics autour de notre drapeau tricolore, de notre marseillaise, au quotidien,
concrètement, par le discours politique qui, quoi qu’on en dise, structure les
opinions publiques et par des initiatives civiques foisonnantes. Il nous faut,
par exemple, (la liste ne saurait être limitative), remettre sur le chantier le
projet de service civique obligatoire, celui des cérémonies républicaines de
prestations de serments quand on accède à la nationalité, ou à la majorité,
imaginer de vrais moyens de soutien pluriannuels aux associations civiques et
citoyennes. C’est la seule issue possible : la République laïque jusqu’au bout.