Cher Kader,
Cette
conversation sur la République et ses
valeurs, le modèle d’intégration face au communautarisme, nous l'avons entamée
tous les deux en confiance et en amitié, il y a déjà longtemps. Jusqu'ici elle était
privée mais la tenir publiquement peut avoir un sens politique pour faire
connaître nos idées, convergentes pour leur plus grande part, différentes – et
non divergentes – sur d'autres.
Ton
interview de lundi dans Libé me permet de le faire et j'en suis très heureux.
D'abord,
les convergences : elles sont nombreuses, bien sûr. Comme tu as raison de
te plaindre de ce « débat-débile » sur le burkini cet été, un débat
qui n'a pas honoré notre démocratie !
Comme
tu as raison de te plaindre des amalgames de tant de politiques, mais aussi de
tant de journalistes qui mélangent tout et ne comprennent pas que la démocratie
c'est de refuser les amalgames et d'apprendre à différencier !
Comme
tu as raison de préciser que « tous les arabes ne sont pas musulmans et tous
les musulmans ne sont pas arabes » !
Comme
tu es convaincant quand tu parles de ton identité « heureuse » (je
souris avec toi …) comme d'un « mélange », une «identité multiple et
complexe » !
Comme
tu as raison de remarquer qu'on te demande ce qu'on ne demande pas à un Breton
ou à un Basque !
Comme
tu as raison de citer Hugo « Souvent la foule trahit le
peuple » ! Je me demande d'ailleurs si, au lieu de dénoncer le
« populisme » on ne devrait pas adopter le terme de
« foulisme » …
Il
y a tellement d'autres points, cher Kader, où je constate, sans surprise, nos
convergences : le refus du communautarisme, la République comme seule
solution, les vertus de l'engagement.
Nous
n'avons pas vécu, ensemble, tant d'années d'engagement commun, au plan
national, et au plan régional, dans le même Parti et auprès de Lionel JOSPIN,
pour qu'il en soit autrement.
Je
continue à m'en réjouir.
Reste
notre – petite – divergence qui concerne la laïcité. Je te trouve une
excuse : la question qui t’était posée faisait allusion aux « laïcards »,
mot rempli de tant de péjoratif et de mépris que ça en reste renversant, mot
que j’exècre puisqu’il ne vise qu’à dévaloriser
ceux qui ont de vraies convictions laïques, mot qui exprime la vacuité
de la pensée de ceux qui n’en ont pas.
Mais
tu dis : « Il ne faut pas réduire la laïcité à une laïcité de combat,
une laïcité « revancharde ».
Le
combat ? Eh, le combat, l'ancien talonneur du Castres Olympique sait ce
que c'est ! Et il ne l'a pas toujours refusé !
Je
me permettrai juste de te rappeler que, historiquement la conquête de la
Laïcité a été un combat. Un très rude combat. Contre une religion qui dominait
tout et régentait tout dans la société française, la religion catholique, et
qui, avant 1905 et après 1905, n'a jamais admis cette loi, républicaine s'il en
est. Tu veux que je te dise, Kader ? A bien des égards, la République a
été plus violente à l’égard de la religion Catholique il y a un siècle, qu’avec
l’Islam aujourd’hui.
Alors
que la République laïque soit encore un combat aujourd'hui contre tous les
intégrismes religieux et, en particulier, l'un d'entre eux, plus menaçant
aujourd'hui que les autres, je préfère le dire et le regarder en face. Oui
Kader, la laïcité est un combat. Non pas un combat contre les religions, tu as
raison de le dire, mais un combat contre les intégrismes religieux qui placent
les lois religieuses au-dessus de celles de la République, et c’est cela que
j’aimerais te voir préciser avec moi.
Quant
à la « laïcité revancharde », je te le dis tout net : je n'aime
pas du tout cette expression. Car je ne vois pas comment l'affirmation de la
« liberté de conscience » c'est à dire le droit de croire ou de ne
pas croire, la garantie donnée au libre exercice des cultes dans la seule
limite – mais elle est essentielle ! – de l'ordre public, serait une
« revanche » !?
Si
c'est une « revanche », c'est que ça n'est pas la laïcité !
Et
c'est pourquoi je souhaite vraiment qu'on se mette d'accord sur ce point
politique essentiel.
A
Droite, et à l'Extrême-Droite, il y a beaucoup de responsables politiques qui
n'ont rien de laïque. Rien. Ils ne parlent de « laïcité » que pour
combattre une religion et une seule, l'Islam. Ça n'a rien à voir avec la
laïcité, celle de Jaurès et de Briand et, donc, il faut leur récuser le
droit d'utiliser ce terme. Ce ne sont pas des laïcs !
Car
si on ne récuse pas ce droit à se
réclamer de la laicité, alors on accepte l’idée que la laïcité puisse être
liberticide et on affaiblit le message laïque.
Mais
à Gauche, et surtout à l'Extrême Gauche, il y a des gens qui se disent laïques
–et qui le sont sans doute plus, ça n’est pas difficile, que bien des gens de
droite- mais pour qui la liberté n'a pas
de limites. Pour eux, la laïcité c'est le « droit à la différence »
sans contraintes au risque d’instaurer la différence des droits, les droits
sans les devoirs, le respect de la diversité sans la recherche de l'unité. Ils
ont la République et la laïcité hémiplégiques … Et ce sont eux qui, en évoquant
la « revanche » font un amalgame coupable entre la Droite et
l'Extrême-Droite qui, je le répète, n'ont rien à voir avec la Laïcité, et les
Républicains essentiellement de Gauche, qui rappellent avec insistance que la
République est un précieux équilibre entre droits et devoirs, diversité et
unité.
Merci,
cher Kader, de m'avoir permis de le rappeler.
Amitiés,
Jean GLAVANY