mercredi 30 août 2023

Lu « Les vagues » de Virginia Woolf dans la collection Le bruit du temps /poche avec une préface de Mono OZOUF et une traduction de Cecile Wajsbrot.

 Évoquer cette citation est d’ailleurs essentiel puisque, jusque-là, on ne disposait que d’une
traduction de…Marguerite Yourcenar ! Et Mona OZOUF tient que cette dernière avait, dans sa traduction, eu tendance à réécrire le texte que Cécile Wajsbrot traduit d’une façon plus « clinique ». Nous sommes en Angleterre dans les années 1925-1930 et l’auteur nous offre un propos d’une très grande originalité qu’on hésite à qualifier de roman puisqu’elle-même évoqua un genre nouveau - l’élégie ?- et qu’on admet aussi qu’il puisse s’agir d’un roman-poème, qui met en scène six personnages, Bernard, Susan, Rhoda, Neuville, Jinny, Louis. Mais là encore le terme est mal choisi et l’on devrait plutôt évoquer des « voix ». Dans neuf épisodes, ces voix évoquent des moments de leurs vies à travers des dialogues ou de monologues, ponctués par des interludes qui, eux, décrivent la course du soleil du matin au soir, les lumières, couleurs et  bruits de la nature qui évoluent avec lui et…les vagues de la mer. Les vagues et leur mouvement permanent de flux et de reflux, les vagues qui détruisent les êtres comme les châteaux de sable, les vagues qui incarnent la force inéluctable de la nature face à la nudité des sentiments des six amis - Mona OZOUF parle de la crudité des réalités -, les vagues qui incarnent le mouvement de la vie mais  qui dans une autre allégorie - mais c’est évidemment la même -  symbolisent la mort puisque, in fine, elles se brisent sur le rivage.

C’est un livre d’une grande richesse que beaucoup considèrent comme « le » chef d’œuvre de Virginia Woolf. Mais c’est un livre difficile par son genre bien particulier : j’ai été désarçonné, presque découragé à son début parce que j’y cherchais une trame, le fil d’une histoire que je n’y trouvais pas, et pour cause. Et petit à petit j’ai découvert que j’avais dans les mains un tableau impressionniste et qu’il fallait déguster chacun des épisodes comme une touche nouvelle, un éclairage, une lumière particulière qui participe à l’élaboration d’un tout. Exercice littéraire bien particulier qu’on pourrait qualifier d’auberge espagnole mais qui trouve sans doute sa cohérence dans sa part cachée, celle de l’autobiographie. C’est sans doute pour cela que Virginia Woolf disait qu’il était le seul de ses livres qu’elle relisait toujours avec plaisir.

mercredi 23 août 2023

Lu « L’identité » de Milan Kundera dans la collection Folio de Gallimard.

 Je poursuis ainsi ma découverte tardive de l’œuvre du grand écrivain récemment
disparu. Un roman très original. Chantal et Jean-Marc forment un couple parisien et vivent un amour complet et exigeant. Elle est divorcée et sa vie a été traumatisée par la perte d’un enfant. Lui avait commencé brillamment des études de médecine mais a décidé de les abandonner pour vivre sans remords le déclassement social. Heureusement, Chantal a une belle situation car ses petits boulots à lui ne sont guère suffisants. Ils se posent beaucoup de questions sur le sens de leur relation, sur sa profondeur, sa sincérité. Ils se testent en permanence avec une forme d’exigence remarquable. Dans ce cadre, Jean-Marc décide un jour d’écrire à sa femme des lettres anonymes d’ un admirateur du quartier. Elle ne lui en parle pas, cache ses lettres dans son armoire à linge et cherche qui peut bien être l’auteur. Le tout fait un roman très moderne, original et facile à lire. Mais que ces deux personnages sont compliqués !! On a parfois envie de leur dire que la vie mérite d’être vécue plus simplement que ça.
Mais revenons au titre : cela permet à Kundera de traiter de l’identité non pas comme « nationale » comme le font les esprits chagrins ni, plus intéressant, comme Braudel avec qui l’identité française est le fruit d’une histoire longue, d’une géographie complexe, de luttes et de combats, d’une organisation administrative, mais de l’identité des personnages comme une construction par rapport aux autres. On pense alors plus à la personnalité ou à la psychologie. Complexe en tout cas.


Encore trois disparitions qui me touchent en ce mois d’août décidément bien triste:

 


- Louis Mexandeau, ce professeur agrégé d’histoire,  « Chti »  de naissance mais qui creusa un long sillon politique dans le Calvados dont il fut très longtemps député. Un fidèle des fidèles de François Mitterrand depuis la Convention des Institutions Républicaines, puis au Parti Socialiste et, enfin au gouvernement de la République dont il fut Ministre deux fois, aux PTT et  aux anciens combattants. J’aimais chez cet homme cette fidélité si entière et son sens de l’histoire, la volonté de toujours se situer dans le temps long. 
- Daniel Cohen, une économiste doublé d’un pédagogue hors pair. Je le connaissais et chacune de nos - trop  rares - rencontres étaient marquée  par une démarche intellectuelle qui me touchait particulièrement : le « je cherche à comprendre » suivi du « je cherche à expliquer et à convaincre”. L’inverse des possesseurs de vérités établies et assénées.  C’était un vrai social-démocrate au sens Camusien du terme, c’est-à-dire un défenseur de l’alliance suprême entre la liberté, toutes les libertés, et la justice sociale. Et c’était surtout un humaniste, un vrai. 
- Enfin Ginette Munier. Un nom qui n’est pas connu du grand public mais qui le mériterait car elle fut une grande résistante, disparue hier à l’âge de 97 ans. Elle avait été la plus jeune du réseau de  résistance de François Mitterrand à partir de son mouvement d’anciens prisonniers de guerre, le MNPGD, dans lequel elle s’était engagée à 17 ans ! Elle y connut son mari, Jean Munier, un autre grand résistant, courageux et téméraire. Avec quelques amis, nous nous étions mobilisés pour qu’elle reçoive la rosette d’officier de la Légion d’Honneur dans la promotion du 14 juillet dernier. Il était temps que cet hommage légitime lui soit rendu !

lundi 21 août 2023

Lu « Marche ou rêve » de Ferdinand Laignier-Colonna paru aux Editions Héloïse d’Ormesson.

 L’occasion pour moi de renouer avec une maison d’édition de grande qualité, à taille
 humaine, dirigée par une femme remarquable, intelligente et sensible, qui a publié deux de mes livres et avec laquelle j’aurais encore grand plaisir à retravailler si l’occasion se présente. L’occasion aussi de découvrir un nouvel auteur, puisque c’est son premier roman, rencontré sur le Net où il m’avait contacté pour me demander à quelle adresse m’adresser son livre dédicacé. Une dédicace ô combien chaleureuse et, forcément, encourageante.

Les amis, quel livre !….
Il est présenté comme un roman et il faut donc en admettre le principe même si, à l’évidence, il a une grande part autobiographique : l’auteur comme le narrateur, est corse, vit à Porto Vecchio, est atteint depuis de longues années par une myopathie invalidante et se déplace sur un fauteuil roulant. Le reste, c’est-à-dire la frontière entre l’autobiographie et la fiction relève de l’intimité et n’est donc pas le sujet. D’ailleurs, même si cela importe le lecteur que je suis et qui entre vite en empathie avec le personnage et, donc, aimerait mieux le connaître, cela importe peu avec le projet littéraire qui est d’une force étonnante. La réalité est que ce roman est tiré de la propre vie de l’auteur, et qu’il parvient à la transcender pour nous délivrer une vraie leçon de vie.
« Invalide » qui voit en chacun de ses prochains « un valide », c’est par un esprit particulièrement aigu, un humour dévastateur et un sens de la répartie spectaculaire qu’il fait face au mépris, à la pitié ou bien à la gêne et la maladresse. Sa vie de tous les jours est ennuyeuse et parfois glauque comme lorsqu’il fréquente une prostituée dans un quasi- taudis ou bien qu’il se bat dans un bar avec un ivrogne, mais elle tourne inéluctablement autour de la maladie et d’elle seule dont il parle avec une lucidité étonnante ( lisez et relisez la page 157…).
L’homme est entouré d’amis, de vrais amis, et sa vie va être transformée par deux évènements majeurs: un nouveau protocole de soins qui doit lui permettre d’enrayer la maladie et l’amour d’une femme rencontrée sur le net . Je n’en dis pas plus pour ne pas être accusé de dévoiler l’issue du récit - qui est d’ailleurs suffisamment mystérieuse pour permettre plusieurs traductions…- mais je reviens sur la forme : c’est un livre d’une humanité rare, un livre qui comme tous les livres mais beaucoup plus que la moyenne, élève, tire vers le haut, pousse à réfléchir.
Bien sûr, au plan littéraire, si c’est très bien écrit il y a quelques abus de style avec un goût prononcé pour les anaphores, ou de mots compliqués ( j’ai dû sortir mon dictionnaire deux ou trois fois), mais c’est égal car ce qui l’emporte, c’est la découverte d’une sensibilité rare, qui vous prend, vous bouscule sans jamais vous apitoyer. 

A lire absolument.

jeudi 17 août 2023

Lu « Dans les bois » d’Harlan COBEN dans la collection Pocket de Belfond.

 Un polar pour l’été, histoire de se détendre un peu plus. Été 1985, Paul Copeland, 20
ans, est moniteur dans une colo d’ados. Un soir, il délaisse sa responsabilité pour retrouver sa petite amie. Quatre ados, dont Camille, la sœur de Paul, en profitent pour s’échapper dans le bois voisin. On retrouvera deux cadavres et les deux autres disparurent…

Vingt ans après, Paul est procureur et, dans une affaire de viol où il est amené à identifier un corps, il reconnaît un des deux disparus. Le thriller s’organise alors autour de ces deux enquêtes avec son lot de rebondissements. C’est facile à lire, haletant, distrayant. Et ça en dit long sur l’organisation de la justice américaine et son fondement accusatoire qui permet bien des excès.

Trois disparitions cet été :

- j’ai rencontré et connu Jane Birkin à trois occasions ces quarante dernières années. D’abord quand elle est venue à l’Elysee, dans les années 80,  déjeuner avec François Mitterrand qui voulait honorer la mémoire du père de Jane, commandant d’une vedette britannique qui faisait la liaison avec les réseaux de résistance et fit traverser la Manche, notamment, à François Mitterrand. Ensuite quand nous militions tous deux contre la dictature militaire en Birmanie et pour la libération d’Aung San Suu Kyi. Je me souviens du jour où, dans une manifestation, excédée par le monopole de la parole d’une sénatrice de droite, elle était venu me supplier de prendre la parole aussi. Enfin, il y a quelques années, elle était venue au festival du journal Intime de Saint Gildas de Rhuys qu’organise ma femme, pour présenter son journal, dans une rencontre littéraire avec Claire Chazal qui avait eu un succès fou. Une vraie humanité, une simplicité joyeuse et communicatrice, une tendresse à fleur de peau. Une femme très touchante.

- Dans un tout autre genre, le Professeur Claude Got, spécialiste éminent de la sécurité routière. Comme parlementaire, il m’est arrivé de travailler avec lui sur le principe de précaution et le rapport au risque. Loin des caricatures qui ont été faites de lui, cet homme n’était pas un moine-soldat qui n’avait que l’interdit à la bouche. Il savait que la vie est risque,( l’humoriste a dit « une maladie sexuellement  transmissible et systématiquement mortelle »), donc que le risque zéro n’existe pas et que face au risque, l’abstinence n’est pas « La » solution. Non, face au risque la solution est de « Gérer » le risque. Ce que les marins expérimentés savent faire. Bref un homme de RAISON, comme on n’en rencontre de moins en moins. 
- Aujourd’hui, Gérard Leclerc, journaliste, éditorialiste, chroniqueur, écrivain aussi, observateur attentif de la vie politique française depuis une trentaine d’années. Je l’ai bien connu et nous déjeunions régulièrement ensemble. Je l’avais croisé pour la dernière fois au printemps et nous avions échangé sur sa position, inconfortable, de chroniqueur sur C-News…..Un type bien, modéré, équilibré, réfléchi. Tristesse pour lui, pensées pour les siens.

dimanche 6 août 2023

Lu « Un lieu à soi » de Virginia Woolf, paru chez Gallimard dans la collection Folio- classique, et traduit de l’anglais par Marie Darrieussecq qui en rédige également la préface.

 

Un livre au statut un peu hybride : roman de fiction tout autant qu’essai voire
autobiographie, le genre en fait l’originalité. L’écrivaine anglaise, née en 1882 et qui s’est suicidée en 1941, a écrit ce livre en 1928 et c’est sans doute cette date qui marque le plus le lecteur qui prend conscience que ce plaidoyer féministe date d’il y a près d’un siècle ! Pied de nez spectaculaire aux néo-féministes qui croient être les initiatrices de ce combat et qui, maladie bien à la mode en politique, pensent que rien n’a de valeur dans le passé oubliant ainsi les combats et les conquêtes de celles qui les ont précédées. Pour mémoire «  un lieu à soi » est cette sorte d’obligation qui s’impose à celle qui veut devenir écrivaine, ce qui suppose de pouvoir s’isoler et, donc, de jouir d’une indépendance économique. Ce n’est pas très facile à lire car ça tourne un peu en rond mais la date, je le répète fait la valeur historique de ce livre.

mardi 1 août 2023

Lu «  Un été avec Jankélévitch » de Cynthia Fleury, aux Editions France Inter-Equateurs-paralleles.

Un ouvrage qui est la retranscription d’une série d’émissions diffusées pendant l’été
 2022 sur France Inter. 

Cynthia Fleury est philosophe, titulaire de la chaire « Humanités et santé » du Conservatoire National des Arts et Métiers et titulaire de la chaire de philosophie au Groupement Hospitalo-Universitaire Paris, Psychiatrie et Neurosciences. Un plongeon pédagogique dans l’œuvre de ce grand philosophe français du 20ème siècle, né en 1903, mort en 1985, professeur de philosophie à La Sorbonne, que certains ont appelé le philosophe du temps ou de l’instant. Celui qui a inventé le concept de « primultime » pour exprimer la vérité de tout instant, sachant que celui-ci est le premier et le dernier de son espèce puisque, de toutes façons, celui qui suivra sera d’une tout autre nature. Il y a un côté « carpe diem de l’instant » qui est assez fascinant dans cette philosophie, bien illustrée par ce raisonnement de Jankélévitch : «  Le vent se lève, c’est maintenant ou jamais. Ne perdez pas cette chance unique dans toute l’éternité, ne manquez pas votre unique matinée de printemps ». Et puis il y a l’autre grand volet de cette philosophie, celui qui lui a été enseigné par les circonstances de la vie puisque en 1940, juif, il entra en résistance. Par parenthèse, on découvre un épisode savoureux de sa vie quand, à la Libération, il attendit longtemps un courrier, une lettre d’un expéditeur inconnu mais allemand et enseignant comme lui, non pas pour demander pardon mais pour s’expliquer. Ce courrier finira par arriver et fut à la naissance d’une belle relation. Retour à la liberté : « dans une vie libre il y a la permission d’espérer qui est tout. Car la liberté, c’est l’espérance permise » dit-il.
Enfin, je retiendrai cet attachement affectif profond , amour ou amitié je ne sais, pour ses étudiants de La Sorbonne, qui résonne en moi, enseignant de cœur, comme une belle façon d’être ….

A lire par ceux qui ne veulent pas manquer cette unique matinée de printemps .