jeudi 30 avril 2020

Lu « Les fleurs de l’ombre » de Tatiana de Rosnay paru aux éditions Robert Laffont-Heloïse d’Ormesson.


Le dernier livre de l’auteur qui, depuis l’émouvant «Elle s’appelait Sarah », n’en finit pas avec les succès de librairie. 
Une fiction futuriste à connotation autobiographique...l’héroÏne du roman qui se passe à Paris en 2030 ou 2035, après d’épouvantables attentats qui ont détruit la Tour Eiffel et causé des milliers de morts, est une romancière, mère d’une fille après avoir perdu un garçon à la naissance, et grand-mère d’une adolescente attachante. Elle quitte son deuxième mari précipitamment après avoir découvert qu’il la trompait. Avec qui et comment, on ne le sait qu’à la fin du livre mais ça n’est pas le moins surprenant. Elle cherche donc un nouveau logement et trouve refuge dans une résidence pour artistes ultra-moderne, équipée de toutes les technologies les plus sophistiquées et futuristes. Mais très vite elle s’y sent mal à l’aise, surveillée, épiée, scrutée au point d’en perdre inexorablement son équilibre psychologique et sa santé. Cette lente décadence fait la force du livre. Elle ira donc se réfugier in fine chez son premier mari, le père de ses enfants à Guethary, au Pays basque...retour à l’autobiographie ?
Le livre est agréable à lire et la paranoïa de cette femme intéressante à observer. Il y a beaucoup de tendresse aussi, notamment dans la relation entre elle et sa petite fille. Mais la fiction des attentats, du Paris de dans vingt ans et de la résidence en question est moins convaincante.

mercredi 29 avril 2020

Lu « Nuit sombre et sacrée » de Michael Connelly,


paru chez Calmann Levy, traduit de l’anglais par Robert Pépin. 
Le roi du roman policier américain nous propose un bon livre de détente pour période de déconfinement...L’histoire se passe à Los Angeles au cœur de l’action des différentes polices dans leur combat au quotidien contre la criminalité sous toutes ses formes. Et il y a de quoi faire...
Deux officiers de police de polices différentes, une jeune femme, Renée Ballard, surfeuse acharnée et un vieux policier semi-retraité, Harry Bosch, se retrouvent involontairement mêlés dans une enquête sur une « cold case » ( entendez ce terme d’affaire « froide » comme une vieille affaire non élucidée), le meurtre d’une jeune fille dans des milieux où la toxicomanie et la prostitution ne sont pas absents. Après s’être « reniflés », le binôme va se conjuguer efficacement, non sans connaître des tas de rebondissements pleins de suspens, on le devine. Le problème est que ces deux policiers font cela en dehors ou en plus de leur travail quotidien. Problème pour eux en termes d’emploi du temps, problème pour le lecteur qui est plongé dans tout un tas d’autres affaires criminelles, plus ou moins élucidées au jour le jour et dans lesquelles il se perd, les mélangeant parfois avec l’affaire « centrale ». 
Mais bon, un polar de qualité et facile à lire. Un Connelly quoi...

mardi 28 avril 2020

J’ai bien connu Henri Weber...

....puisque nous avons été tous les deux membres des instances dirigeantes du PS pendant de longues années .
Nous n’étions pas intimes car nous n’avions pas eu la même jeunesse politique - il a été un gauchiste très engagé et un dirigeant de la Ligue Communiste tandis que je n’ai appartenu qu’à un seul parti de toute ma vie -, que nous n’avons pas fréquenté les mêmes assemblées parlementaires - le Sénat et le Parlement européen pour lui, l’Assemblée pour moi- ni, accessoirement, les mêmes courants du PS. Mais, je ne sais pas pourquoi il y avait quelque chose de spécial entre nous au point que lorsque nous nous sommes croisés pour la dernière fois, c’était dans le métro il y a quelques mois, il m’avait suggéré que nous devrions nous voir plus intimement pour mieux nous connaître et j’en étais bien d’accord. Il m’avait fait repasser ce message récemment par un ami commun mais nous n’en avons pas eu le temps.
Henri, tout gauchiste qu’il ait été, et bien qu’ancien responsable du service d’ordre de la Ligue, était fondamentalement un homme gentil, chaleureux, amical. Drôle aussi et on sait combien le sens de l’humour n’est pas si répandu en politique . Un de ces démocrates sincères avec qui il était possible de débattre de tout, y compris de désaccords les plus profonds sans jamais la moindre tension. Parce qu’il était très respectueux de ses interlocuteurs.
Au-delà de cette forme si essentielle en démocratie et si absente des réseaux sociaux, c’était un homme passionné du débat d’idées, épris de réflexion politique de fond, de philosophie politique, de l’histoire des idées . Et c’est ainsi, paradoxe d’un homme au parcours si riche, que cet homme formé à l’extrême-gauche et venu très tard à la social-démocratie ( c’était en 1986 je crois, il avait déjà 42 ans...) est devenu un des meilleurs théoriciens de celle-ci. Comme beaucoup , je recevais régulièrement par mail ses analyses politiques aussi régulières que pertinentes.
Je salue très fraternellement la mémoire de ce compagnon politique chaleureux et intéressant.

dimanche 26 avril 2020

QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LA CRISE SANITAIRE...


Comme tout le monde, je lis, écoute, réfléchis beaucoup à cette crise sanitaire et j’ai envie de partager quelques idées simples fondées non pas sur la science - je ne suis pas compétent- ni sur la politique - je ne fais plus partie de ce monde-là-, mais sur la raison et la rationalité. 4 ou 5 réflexions pour continuer à réfléchir ensemble :
 
1. La France compte, au moment où j’écris ces lignes environ 23.000 morts du Covid-19 selon les statistiques officielles. Mais celles-ci ne recensent que les décès en hôpital ou en EHPAD et si l’on y ajoute les décès à domicile , on doit probablement être entre 30 et 35.000. Et, sans faire de pronostic funèbre, on peut imaginer sans peine que l’on atteindra ou dépassera les 50.000 victimes.
Il est interessant de situer ce nombre impressionnant dans le contexte de la mortalité française: il meurt environ 600.000 personnes en France chaque année. Et les deux principales causes de ces décès sont le cancer ( environ 160.000) et les maladies de l’appareil circulatoire ( environ 140.000). Les maladies respiratoires viennent en troisième position à peu près au même niveau que les causes violentes ( accidents, chutes, suicides, homicides) avec un peu plus de 35.000 décès pour chacune de ces deux catégories. Dans « maladies respiratoires » il faut entendre notamment les grippes, pneumonies etc..
Relativiser n’est pas minimiser mais essayer d’y voir clair : le Covid-19 est plus mortel que les maladies respiratoires en temps « normal », mais 12 fois moins que la mortalité globale, 3 à 4 fois moins que le cancer, 4 à 5 fois moins que les infarctus ou les AVC...
Apprenons à regarder qui sont nos morts.
  1. Comme tout le monde, je suis frappé par les discours variables et parfois même contradictoires des scientifiques et j’essaye de comprendre. La première explication tombe sous le sens : « On ne sait pas ». Je veux dire «on ne connaît pas le virus Covid-19 » et la démonstration en a été faite brillamment, je l’ai déjà dit et écrit, par Madame Ader, infectiologue lyonnaise invitée à s’exprimer dans la conférence de presse du Premier Ministre: voilà ce qu’on sait/voilà ce qu’on ne sait pas. Alors, les scientifiques....cherchent ! Ils cherchent à savoir, à connaître et pour cela, avancent des hypothèses, débattent et se confrontent. Et comme nous sommes désormais dans une société de la transparence absolue, ils cherchent sous nos yeux . D’où l’expression très juste de Gérard Bronner: « nous assistons collectivement à la science en train de se faire ».
    Sommes-nous suffisamment formés à cela ? Sûrement pas. Nos responsables politiques le sont-ils plus ? Je ne veux pas m’exprimer sur la question mais tout ce que je sais c’est que gouverner, exercer des responsabilités c’est souvent gérer des crises et, donc, souvent gérer l’imprévu. « Devant le risque, gère le risque », tel pourrait être ma proposition de devise, et comme conseil à tous les responsables politiques.
     
    3. Dans ce genre de situation, il est bien normal de regarder ailleurs comment les choses se passent . Pour comparer et, surtout, pour apprendre. La situation allemande fait l’objet de beaucoup de commentaires et d’éloges. Elle les mérite.
    Mais pourquoi l’Allemagne a-t-elle ces résultats ? Tout le monde martèle l’idée que c’est parce qu’elle a utilisé les tests à très grande échelle mais je n’en suis pas si sûr : d’abord parce que les tests mesurent mais ne guérissent guère, ensuite parce qu’un test effectué est aussitôt obsolète ( quand j’entends certains commentateurs dire «il faut tester tout le monde !», je me pince : pour les testés positifs, on les isole, très bien, mais les négatifs on en fait quoi? On recommence le lendemain ? Et ainsi de suite ?...), et enfin parce que la différence du nombre de tests effectués dans nos deux pays n’explique que très marginalement les différences de mortalités.
    Je suggère donc une autre piste : j’ai appris que près de 80% des cas des contaminés en Allemagne avaient été repérés par les médecins de ville. Je ne connais pas le chiffre en France mais c’est beaucoup, beaucoup moins. Et si l’explication se trouvait là, dans l’abandon de la médecine de ville par tous les gouvernements successifs, dans la destruction de tout lien entre les généralistes et les hôpitaux, dans ces « déserts médicaux » qui ont fleuri un peu partout, dans les banlieues dégradées comme dans le monde rural ? L’Allemagne a sûrement des choses à nous apprendre sur ce plan.

    4. Comment la démocratie peut-elle faire face à une telle secousse ?
    Je pense, on me le pardonnera, au football : on sait bien qu’en France il y a des dizaines de millions de sélectionneurs qui savent mieux que tout le monde ce que doit être la composition de l’Equipe de France. Mieux que le sélectionneur en tout cas, Didier Deschamps. Le pauvre, il est vrai n’a été champion du monde que deux fois , un comme joueur, l’autre comme sélectionneur !
    Alors, comme tout le monde sait tout, tout le monde juge de tout et tout le monde propose tout, prenant part sans vergogne au débat scientifique étalé sur la place publique. Et tous les complotismes les plus irrationnels de fleurir avec leurs lots de destruction de civisme....Je voyais cet étonnant sondage affirmant que 59% des français étaient favorables à l’usage de la chloroquine, et je me disais « bon sang, mais c'est bien sûr, il faut sonder pour décider! ». Et comme il n’y a pas meilleur sondage qu’un référendum, me souvenant de la proposition phare des gilets jaunes, le référendum d’initiative populaire, je proposerais volontiers « un RIC sur la chloroquine ! Et vite !!! ». Je plaisante bien sûr et je préfère le préciser....mais on voit le chemin qui reste à parcourir d’une part pour réhabiliter la confiance dans la démocratie représentative qui confie la responsabilité de gérer les crises à ceux qui nous gouvernent parce que le peuple les a choisie pour cela, mais aussi le chemin pour éduquer nos enfants dans nos écoles à la raison et la rationalité. La philosophie des Lumières n’est pas encore triomphante...

    5. Je finis par les Écoles. Ainsi le Ministre de l’Education a-t-il décidé tout seul du calendrier progressif de la sortie du confinement scolaire. Sans consulter les maires responsables des écoles, les présidents de conseils généraux en charge des collèges et ceux des conseils régionaux pour les lycées. Ce sont pourtant ces collectivités qui vont gérer le transport scolaire, les cantines, les locaux nécessaires, leur désinfection etc...Curieuse méthode encore bien verticale. Mais là où je vis, dans les Hautes-Pyrénées, je suis frappé d’entendre les maires avec qui je parle me dire les très grandes réticences des parents d’élèves à voir leurs gosses reprendrent l’école à ces dates et dans ces conditions. Très grandes réticences pour ne pas dire opposition. Les raisons en sont d’ailleurs multiples mais il semble bien que les parents de jeunes enfants aient bien intégré cette gestion du risque. Et comme il est acquis que tous les enfants ne pourront pas être ensemble dans les établissements, je fais une proposition : décider que les enfants ne retourneront pas dans les établissements avant la rentrée de septembre sauf les « décrocheurs » qui seront accueillis pour un soutien scolaire, un rattrapage, une mise à niveau. Ces « parcours personnalisés » dont tout le monde sait l’absolue nécessité n’auraient-ils pas là une possibilité de laboratoire à grande échelle ? Et si ces décrocheurs sont concentrés dans un nombre limité d’établissements,y aurait-il une opposition à y redéployer les enseignants dont les établissements ne seraient pas rouverts ?
    L’Ecole de la République profiterait de la crise pour, enfin, réduire les inégalités devant le savoir.

mardi 21 avril 2020

Entretien avec Mona OZOUF

Mona OZOUF, Jean GLAVANY - 21 Avr 2020
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INSTITUTIONS, RESSOURCES ET TERRITOIRES 
Entretien avec Mona OZOUF : « La force de l’idée républicaine (…) n’a rien perdu de son éclat »
Il y a longtemps qu’à « L’Aurore » nous avions envie de rencontrer Mona Ozouf et d’avoir avec elle un entretien sur les grandes valeurs et les convictions profondes qui fondent notre engagement commun au sein de notre think-tank. Pourquoi Mona Ozouf ? Oh ! Simplement parce que nous avons de l’admiration - et de l’affection- pour cette grande intellectuelle, pas seulement parce qu’elle est authentiquement une femme de gauche et qui s’assume comme telle, mais parce qu’étant philosophe de formation devenue historienne, ou historienne de passion qui n’a jamais renoncé à porter un regard philosophique sur l’histoire, elle porte mieux que quiconque en elle le sens du temps, de sa lenteur, de la relativité et de l’utilité des compromis. Ce que d’aucuns appelleraient sagesse. Je voudrais la remercier très chaleureusement d’avoir accepté cette rencontre et de sa disponibilité si courtoise et chaleureuse. Cet entretien a eu lieu à son domicile parisien il y a quelques mois et nous avons pu profiter du confinement pour le finaliser grâce aux moyens modernes de communication. Jean Glavany 



Jean Glavany : “ L’Aurore” est un think-tank que nous avons créé avec Gilles CLAVREUL, ancien Délégué interministériel à la lutte contre les discriminations et un certain nombre d’universitaires, intellectuels et hauts fonctionnaires autour de quelques convictions et valeurs . Nous nous définissons d’abord comme républicains au sens historique et permanent du terme, de gauche, de la gauche de gouvernement, réformiste et social-démocrate, libéraux au sens politique du terme, convaincus de la nécessité d’un Etat et d’une puissance publique forte, et européens, profondément européens mais sévères avec les europhiles béats qui ne voient pas la crise très profonde que traverse notre Europe et qui sont donc dans l’incapacité d’y répondre . Ma première question vise simplement à vous faire réagir a cette “déclaration de principes”

Mona OZOUF : Je me sens en accord spontané avec la carte d’identité que dessine votre préambule. De gauche ? En effet, par fidélité à la tradition familiale et à l’enseignement de l’école républicaine. Libérale ? Au plan politique assurément, convaincue qu’il faut laisser à chaque individu la liberté de définir et de mettre en œuvre sa conception de la vie bonne. Européenne ? Certes, et pleinement satisfaite par la définition que donne Jacques Delors de l’Europe : une fédération d’Etats-nations. Républicaine ? Bien entendu. Persuadée, d’autre part, que la frontière droite/gauche tient toujours. A quoi reconnait- on la gauche ? D’abord à ce qu’elle tient un discours de la volonté : quand on lit que l’être humain doit toujours être « la force impulsive de sa destinée », on peut être sûr de son origine de gauche, même si en l’occurrence, il s’agit de Madame de Staël. Ensuite à ce qu’elle est orientée vers l’avenir ; Clemenceau disait qu’il reconnaissait sans coup férir un discours de Jaurès : tous les verbes, disait-il, y sont au futur. Enfin l’opposition d’une gauche à une droite structure toujours notre façon de penser. Elle combine en effet la simplicité de l’affrontement binaire avec la complexité des situations : elle permet de distinguer une gauche de la droite, une droite de la gauche, comme une droite de la droite et une gauche de la gauche.

Toutefois, à peine énoncé, cet assentiment global soulève à chaque pas des perplexités et des doutes.

JG : Quels sont ces doutes, ces perplexités ?

MO: On peut se contenter d’un ou deux exemples. Ainsi, pour me classer à gauche, j’ai évoqué l’attachement à la tradition familiale, donc une valeur de fidélité, plus conservatrice que progressiste. Et j’ai présenté mon républicanisme comme une évidence, alors que les définitions du républicanisme sont éminemment variables : il suffit de songer à l’usage du mot. Tout le monde aujourd’hui se dit républicain, y compris à l’extrême droite, convoite les bénéfices promis à l’affichage de l’épithète, voire se l’approprie abusivement comme l’a fait récemment, pas gêné, un de nos partis politiques. Se dire républicain, c’est souvent s’opposer à un être hybride, porteur de menaces diverses, tantôt européen, voire fédéraliste, tantôt libéral, tantôt régionaliste, souvent islamiste, et parfois, tout cela à la fois.

JG : Vous semblez dire que la tradition est antinomique des valeurs de gauche. Pourtant il y a une tradition des combats de la gauche non ? Les combats, la commune, la résistance, les conquêtes sociales, les liberté conquises, 1981...

MO: En effet, il y a tout un mémorial des grandes dates, des combats et des conquêtes. Mais précisément : voilà qui nous invite non seulement à réfléchir à la pureté originelle de l’idée républicaine, mais aussi à son histoire

« Pour devenir citoyen, il faut accepter de suspendre l’association politique à la dissolution des liens sociaux antérieurs. C’est une manière de coup de force philosophique, exigeant et ascétique. Et comme tel, il trouve très vite ses limites. »


JG: Pouvez-vous revenir sur ces deux phases, l’origine et l’histoire qui a suivi ? 

MO: A l’origine, tel qu’il sort de la Révolution française, le républicanisme se caractérise par l’abstraction. Il plaide la rigoureuse égalité en droits de tous les hommes, ce qui implique la neutralisation de leurs différences concrètes, et de leurs attachements particuliers. De là, une citoyenneté qui ne connait que des individus et non des groupes (qu’ils soient religieux, ethnologiques, régionaux, sexuels ou générationnels). Le républicanisme s’édifie sur l’arrachement à ces groupes, comme une expérience pure, sans enracinement historique ou social. « Notre histoire, dit Rabaut Saint Etienne, n’est pas notre code ». Ce qui veut dire que la loi de nos comportements doit être cherchée, non dans le passé, mais dans l’exercice de la raison. Ce moment d’abstraction est indispensable pour atteindre ce qu’il y a de commun chez des individus pourtant si divers. On voit tout de suite le caractère normatif, radical, et même extrémiste du modèle républicain. Pour devenir citoyen, il faut accepter de suspendre l’association politique à la dissolution des liens sociaux antérieurs. C’est une manière de coup de force philosophique, exigeant et ascétique. Et comme tel, il trouve très vite ses limites.

JG: A quoi pensez-vous ?

MO: Au fait qu’on se pose immédiatement la question : est-ce ainsi que les hommes vivent ? La radicalité du projet doit très vite composer avec une société qui lui résiste et avec des hommes qui ne savent, ni ne désirent vivre selon des normes abstraites. L’histoire de l’idée républicaine est celle des accommodements et des compromis successifs : on voit la République, qui voulait n’avoir affaire qu’à des individus, reconnaître l’existence des groupes particuliers et leur accorder des, droits, tantôt sociaux (reconnaissance des syndicats), tantôt religieux (jours fériés, calendriers scolaires calqués sur le calendrier liturgique), tantôt culturels (associations locales et patrimoniales). Il y a donc eu au cours de l’histoire une redéfinition considérable du modèle républicain initial, qui prohibait, comme le souhaitait Rousseau, les sociétés partielles.

JG: Je vous propose, si vous le voulez-bien, que l’on organise notre échange désormais plus précisément sur la République justement en partant de ses caractéristiques telles qu’elles sont édictées par notre constitution, la Constitution de 1958 : La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale . On peut reprendre ces termes ?

MO: Une et indivisible : il faut d’abord saisir les raisons pour lesquelles la République s’est installée en France sous la bannière de l’unité. Il faut se souvenir que la nation est le produit d’une construction volontaire de l’Etat monarchique dans un pays d’une très grande diversité culturelle, linguistique, juridique, mais auquel la personne du roi assurait une puissante unité charnelle. Mais quand la Révolution, en décapitant le roi, se prive de cette forte image symbolique, il lui faut trouver une légitimité équivalente et renchérir sur la volonté d’unité, qui est visible partout : unité du territoire par le découpage départemental, unité politique par le refus du bicamérisme, unité de la langue par la répression des « patois », unité des esprits enfin, avec l’horreur des « factions ». Du coup, la République n’a pas été neutre à l’égard des diversités régionales et a eu constamment tendance à léser les droits des minorités. En dépit des accommodements qui, comme je l’ai dit, ont été consentis aux particularités, l’esprit d’uniformité n’a cessé de marquer le républicanisme français.

JG: Pourtant, au titre de ces « accommodements, n’est-on pas allé trop loin dans l’acceptation des droits culturels ?

MO: J’ai du mal à entrer dans la question du « trop loin ». Il y a tant de domaines où ce qui frappe, ce n’est pas le laxisme que vous évoquez, mais la rigidité. Voyez seulement la crispation française à l’égard des langues régionales. En 1992, l’année où le Conseil de l’Europe adopte la charte des langues régionales, le législateur français, en déclarant solennellement que « la langue de la République est le français », écarte un amendement pourtant timoré qui suggérait d’ajouter « dans le respect des langues et des cultures régionales minoritaires de France ». Il ne s’agissait pourtant nullement de nier la priorité de la langue officielle, mais de l’équilibrer par une inflexion tolérante. Il y a là du reste une contradiction ; la communauté européenne regroupe dans un vivre ensemble des formes très variées de vie culturelle. Pourquoi l’Etat-nation ne pourrait-il admettre ce même principe à l’intérieur de ses frontières ?

« Le vrai problème, que notre religion de l’indivisibilité nous empêche de voir, c’est de faire place aux particularités dans la vie démocratique, mais à des conditions qu’il faut préciser : que ces droits soient accordés non aux groupes, mais aux individus membres de ces groupes, qui conservent donc la liberté de se désaffilier »
 

JG: Je sens chez vous l’idée selon laquelle il y aurait un bon communautarisme... 

MO: Vous soulignez ici un trait important dans l’évocation, souvent indignée, du communautarisme par nos contemporains. Il s’entend le plus souvent en référence à une communauté menaçante, destructrice du lien social, où il n’est pas difficile de reconnaître l’Islam. Mais si on définit plus sobrement le communautarisme comme la tendance à faire de sa communauté une valeur absolue quels que soient les actes qu’elle commet, et les conséquences de ses actes, alors il n’y a pas de « bon communautarisme ». (Et, au passage, le patriotisme qui juge une entreprise admirable dès lors qu’elle vient de « sa » patrie, est une forme assez réussie de communautarisme) Car il faut maintenir la possibilité pour tout individu de faire sécession avec sa communauté sans être étiqueté comme un traître et puni en conséquence. Le vrai problème, que notre religion de l’indivisibilité nous empêche de voir, c’est de faire place aux particularités dans la vie démocratique, mais à des conditions qu’il faut préciser : que ces droits soient accordés non aux groupes, mais aux individus membres de ces groupes, qui conservent donc la liberté de se désaffilier ; que les particularités, par ailleurs, acceptent de vivre à une place subordonnée. Nous devons distinguer dans nos vies les domaines où elles peuvent s’exprimer et ceux où doit dominer le point de vue collectif. Je reviens à l’exemple de la langue : que la langue officielle est le français, soit. Mais on peut ouvrir libéralement l’apprentissage des langues minoritaires, protéger leur usage, accepter les dénominations géographiques dans la langue régionale. Nous devons résister à cet esprit d’uniformité qui selon Montesquieu caractérise la culture française.

« Il a fallu deux siècles au catholicisme, religion hiérarchique, pour faire sa transaction avec le monde démocratique (…). Or, on demande aux musulmans de faire en quelques décennies le même parcours, rendu plus difficile encore par une religion qui, à la différence du catholicisme, n’a jamais séparé le royaume de Dieu de celui de César. Ce sont des questions immenses, et qui restent ouvertes. »
 

JG: Notre République n’est pas seulement indivisible, elle est aussi laïque ...

MO :Précisément : voilà qui nous fait revenir à cet autre trait qui caractérise la République : la laïcité, elle aussi menacée par l’Islam intégriste. En effet, mais une fois de plus, la définition de la laïcité a beaucoup bougé depuis le temps où elle s’opposait frontalement au catholicisme, inspirée par une philosophie agnostique et parfois hostile à la religion. Cette laïcité combattante a évolué vers une proposition globale de neutralité. Elle ne concerne pas seulement les opinions religieuses, mais toutes celles qui ont tendance à s’absolutiser. Elle a dû reconnaitre que s’il y a un dogmatisme catholique, il y a aussi un dogmatisme de la raison. Elle a mesuré enfin le bien-fondé de cette proposition de Jaurès, que l’esprit de la laïcité est de tout poser en termes, non de réponses, mais de problèmes.

Mais ceci amène immédiatement un rappel historique et une interrogation. Au cours de l’affrontement séculaire que j’ai évoqué, le catholicisme lui-même a appris à dissocier l’opinion religieuse et l’opinion politique, le spirituel et le temporel. L’Islam le peut-il ? Telle est la grande question. Si on pense que la communauté musulmane est par essence réfractaire aux droits de l’homme, on donne une réponse négative -et désespérante- à la question, et on entre dans la guerre des civilisations. On tient alors pour assuré que l’Islam, soumis quoiqu’il en ait à l’univers rationnel de la pensée scientifique et technique, n’en sera nullement transformé. Ou même, qu’il en sera davantage enclin au fondamentalisme (un fondamentalisme qui renait aussi en Occident, songez seulement au fondamentalisme américain). Mais ceci amène immédiatement un correctif historique : il a fallu deux siècles au catholicisme, religion hiérarchique, pour faire sa transaction avec le monde démocratique, celui des individus libres et égaux. Or, on demande aux musulmans de faire en quelques décennies le même parcours, rendu plus difficile encore par une religion qui, à la différence du catholicisme, n’a jamais séparé le royaume de Dieu de celui de César. Ce sont des questions immenses, et qui restent ouvertes.

« La coïncidence absolue entre le vœu des représentés et celui des représentants est une chimère. Une fois de plus, on sent combien la force de l’idée républicaine a consisté à élaborer des compromis. »


  JG: Je poursuis mon survol « constitutionnel »: République indivisible donc, et aussi laïque, la France peut-elle encore se dire démocratique, dans un pays qui connait une crise profonde de la démocratie représentative, marquée par une défiance grandissante à l’égard de ses représentants ?

MO: On peut commencer par dire que la question n’est pas nouvelle. Elle surgit dès la révolution française en faisant naître deux catégories de républicains : les partisans de la démocratie directe, avec en tête un modèle spartiate, ou romain, qui tiennent au mandat impératif et au vote à main levée, ennemis de toutes les médiations ; de l’autre côté les « modernes », partisans de la démocratie représentative, seule solution pour les peuples qu’on ne peut plus réunir sur l’agora. Mais même ceux-ci, tel Condorcet, ont senti que les représentants, catégorie savante, bien disante, et élue comme telle, serait vite soupçonnée de constituer une nouvelle aristocratie, imposant ses vues à la fraction non éclairée de la population. D’où est née très vite l’idée qu’il fallait certes protéger les représentants de la vindicte populaire. Mais qu’il fallait symétriquement protéger les représentés des empiètements de leurs élus. Naissent alors mille procédures pour atténuer, ou corriger, l’écart, entre les décisions des représentants et le vœu populaire et redonner aux représentés leur participation aux décisions : soit par des conventions périodiques, soit par le referendum, soit par le contrôle de constitutionnalité. Ce débat est toujours le nôtre, il a été réactivé par la revendication des gilets jaunes pour un referendum d’initiative citoyenne. Reste que la coïncidence absolue entre le vœu des représentés et celui des représentants est une chimère. Une fois de plus, on sent combien la force de l’idée républicaine a consisté à élaborer des compromis.

JG: Enfin, dernier terme de la définition constitutionnelle , la république est-elle, comme elle l’assure, sociale ?

MO: Entre l’idée républicaine et l’idée socialiste, les rapports n’ont pas toujours été iréniques. Leur long antagonisme a vécu d’une double incompréhension. Les socialistes n’ont cessé de rappeler aux républicains qu’en déclarant l’égalité des hommes, mais en les faisant vivre dans l’inégalité des conditions, ils se rendaient coupables d’une nouvelle imposture : la distinction des droits formels et des droits réels, et le rappel obstiné de ceux-ci, a été la contribution spécifique des socialistes à la pensée politique. Mais cette critique est longtemps restée inintelligible aux républicains : eux croyaient, comme Ledru-Rollin, qu’à partir du moment où le suffrage universel est accordé aux Français, « il n’y a plus de prolétaires en France » : affirmation stupéfiante, mais qui montre à quel point cette croyance républicaine au tout politique devait être, à son tour, inintelligible aux socialistes. Mais cette fois l’écart devait se réduire entre les deux courants. Car le troisième terme de la devise républicaine, la fraternité, comportait en lui-même une correction de l’individualisme. Elle faisait un devoir au républicain d’assurer à chacun, comme membre de l’espèce humaine, la jouissance des droits individuels, de conjurer l’égoïsme de ces droits par la considération de l’être collectif. Cette inflexion fait comprendre que les socialistes aient continué à enraciner leurs espérances dans le suffrage universel, et dans la formation du citoyen par une école délivrée de l’obscurantisme ; à se voir eux-mêmes comme la pointe avancée du mouvement républicain ; une évolution qui a contribué à donner de la crédibilité à l’idée d’une République nouvelle, qui conjurerait l’individualisme républicain par la fraternité sociale.

JG: N’est-ce d’ailleurs point en ce sens qu’il faudrait restaurer l’idée républicaine ?

MO: Le discours de restauration de l’idée républicaine a une fonction précise : permettre à la gauche de retrouver un sujet de fierté, fournir un substitut à l’effondrement du marxisme, tenir un discours de la volonté, toujours populaire à gauche, et rappeler un âge d’or où il y avait une coïncidence entre la volonté politique globale et les projets des individus citoyens. Mais le thème de la restauration est plus difficile à tenir aujourd’hui, notamment en raison d’un avenir devenu infigurable et de la crise de l’idée de progrès.

Toutefois il ne faut pas oublier ce qui fait la force et la séduction de l’idée républicaine : contre la propension à penser l’humanité divisée en races, classes, voire sexes, elle rappelle que le projet d’une communication rationnelle toujours possible entre les hommes n’a rien perdu de son éclat ; contre l’indifférence d’une société atomisée et apathique, elle rappelle que la participation aux affaires publiques est une forme précieuse de l’engagement humain.

Reste alors à corriger la propension du républicanisme à se vivre comme un maximalisme ; ce trait maléfique de la pensée de gauche a été très bien aperçu par Charles Renouvier, le grand penseur, injustement oublié, de la République. Voici ce qu’il écrit, et que devraient garder à l’esprit les hommes politiques de gauche qui se font élire sur des promesses chimériques et se condamnent du même coup à passer pour des traîtres dès le lendemain de leur élection : « les spéculations de la philosophie sociale, surtout quand tout le monde s’en mêle, ont l’inconvénient de dégoûter les esprits des choses réelles, de les empêcher de se contenter de rien tant que le rêve de l’absolu ne s’est pas réalisé et de jeter le discrédit sur toutes les chances d’amélioration et de progrès que la fortune offre aux nations. Tout ce qui n’est pas encore l’idéal est misère ».

Je ne veux pas commenter la très longue conférence de presse du Premier Ministre et du Ministre de la Santé de dimanche.


Il y avait du bon - la volonté de pédagogie et de transparence-, et du moins bon - l’art de feindre d’organiser ce qui vous échappe-.
Mais il y a eu aussi du très, très bon : il est venu, non d’un membre du gouvernement, mais de l’infectiologue lyonnaise appelée à s’y exprimer, Madame Florence Ader. Pourquoi ? Parce que, en présentant un tableau très pédagogique sur le Covid-19, tableau en deux colonnes «Ce qu’on sait /Ce qu’on ne sait pas », elle a osé dire cette formule simple, naturelle, si convaincante et, en même temps courageuse dans la mesure où personne parmi les responsables politiques, TOUS les responsables politiques, n’ose l’employer : « JE NE SAIS PAS » !
Eh bien je pense que c’est l’honneur d’un responsable politique digne de ce nom que de savoir dire parfois « je ne sais pas », surtout quand une crise comme celle-là est d’abord caractérisée par ce simple fait : on découvre ce virus et on gère la crise en avançant, au fur et à mesure des découvertes.
Et je me demande si les difficultés rencontrées dans l’opinion par le gouvernement quant à sa gestion de la crise ne tiennent pas d’abord à cela : ne pas savoir dire honnêtement « je ne sais pas »...

Je retrouve, dans ma bibliothèque, un vieux bouquin jauni (il date de 1946) que l’ami Daniel Herrero, de passage dans mes Pyrénées, m’avait offert il y a quelques années : « Anthologie des textes sportifs de la littérature » de Gilbert Prouteau (paru aux éditions « Défense de la France »....ça ne s’invente pas !).
J’y trouve ces mots qui peuvent avoir quelque résonance par les temps qui courent :
«  Là où passe le sport pousse le gazon le plus dru de la nation »..... « qui néglige l’entraînement de son corps néglige la santé de son pays ».... « Ce sont les nations sportives qui ont, au plus haut degré, le respect des malingres et l’amour des faibles ».

C’est de la plume de Jean Giraudoux.

vendredi 17 avril 2020

Lu « La loi du rêveur » de Daniel Pennac paru chez Gallimard.


A partir d’un rêve d’enfance (une ampoule éclatée, la lumière qui coule et qui inonde, un village englouti...). Pennac fait défiler sa vie, sa famille, la maison du Vercors, la passion de Fellini, un accident de la vie et une hospitalisation...et, toujours, le rôle des rêves dans notre vie. 
Les rêves que l’on note - ou pas !- au réveil, que l’on utilise pédagogiquement pour apprendre à écrire à des élèves en échec scolaire, qui s’accrochent à un objet inattendu.
C’est du Pennac tout craché : tellement facile à lire, aéré, vivant, humain, humaniste. Léger aussi.
Agréable quoi.

mardi 14 avril 2020

Lu « Au soleil redouté » de Michel Bussi aux presses de la Cité.


Je n’avais encore jamais rien lu de cet auteur qui multiplie les ouvrages et les succès de librairie avec ses romans policiers. 
Il dit aimer que de la première page à la dernière page de l’intrigue, on ne puisse rien en deviner. Et, de fait, ça marche tellement bien qu’on n’y comprend plus rien dans cette intrigue qui se déroule aux Marquises, avec un groupe de lecteurs invités pour un séminaire d’écriture autour d’un auteur à succès et où tout le monde meurt, les uns après les autres...on s’y perd ! Seulement voilà, ça se lit très facilement, comme tout polar, avec ces rebondissements soigneusement mis en scène mais qui n’en sont pas, et jusqu’à ces trucs de marketing littéraire comme ces chapitres de deux ou trois pages qui incitent à poursuivre la lecture quand la lassitude ou le sommeil vous gagnent.
Bon, j’ai goûté ce fruit qui n’est pas défendu et je ne suis pas sûr d’y revenir......

Intervention d'Emmanuel MACRON, lundi 13 avril


Ce qu’il y a de terrible avec ce Président c’est que si d’aventure on se laisse aller à la critique comme je l’ai fait récemment à propos de sa malheureuse initiative pascale à destination des croyants, on en prend plein la figure en étant qualifié de sectaire et de bêtement polémique, tandis que si l’on ose dire du bien de lui, on s’expose à la critique inverse, et non moins virulente, pour celui qui « irait à la soupe » et se laisserait berner comme un naïf novice...
Alors j’ose : je l’ai trouvé bon hier soir, très bon.
D’abord parce que j’ai trop critiqué son arrogance pour ne pas apprécier son humilité, fût-elle de façade.
Ensuite parce que j’ai trop critiqué son discours pour les « premiers de cordée » et sa politique économique si libérale qu’elle en oublie si souvent les plus défavorisés, pour ne pas apprécier à sa juste valeur ses propos sur les plus fragiles.
Enfin, parce que je préfère la thématique du Conseil National de la Résistance à celle du va-t-en-guerre ou, pire, du couvent des jacobins.
Alors bien sûr, il faut attendre et voir. Attendre pour juger. Attendre les actes et ne pas se contenter des mots. D’autant que chat échaudé...
Mais bon, ces mots étaient justes.
C’est toujours ça de pris.

vendredi 10 avril 2020

Monsieur le Président, ne placez pas la laïcité entre parenthèses


Voici La Tribune que je signe ce jour 
sur le site de l’Aurore avec Gilles CLAVREUL 
https://www.laurorethinktank.fr/ 

Dans toute situation exceptionnelle, il est des renoncements douloureux mais nécessaires, car il en va de la survie individuelle et du salut collectif. Il en est ainsi du confinement, et chacun en constate la nécessité.
Pour autant, il ne saurait être question de mettre en parenthèses certains de nos principes les plus essentiels, surtout lorsque ces principes ont pour vocation de réaliser ce dont nous avons absolument besoin pour vaincre collectivement la pandémie: l’unité nationale. C’est sans doute en s’inspirant du Clemenceau chef de guerre, visitant régulièrement les troupes en première ligne, soucieux de leur témoigner sa solidarité et d’unir le pays derrière eux, que le chef de l’Etat a placé son allocution du 16 mars dernier; et c’était bienvenu.
Cette inspiration première, le chef de l’Etat s’en est cependant écarté à l’approche des fêtes de Pâques, en s’adressant aux croyants des religions monothéistes – et uniquement à eux -par message publié le 8 avril sur son compte Facebook. Ce message, par lequel le Président s’inquiète des contraintes qui pèsent sur nos «vies spirituelles», comporte trois erreurs.
La première est de limiter la spiritualité et la transcendance aux seules religions. Or, la vie spirituelle n’est pas le propre des seuls croyants; les interrogations métaphysiques, le rapport au deuil et à la mort, la réflexion éthique traversent toutes les civilisations, tous les courants de pensée, toutes les cultures. Elles sont le bien commun de l’homme, croyant ou pas.
La deuxième erreur du chef de l’Etat est de s’adresser aux juifs, aux chrétiens et aux musulmans, et à eux seuls, entrant dans une logique de reconnaissance des cultes, ou plutôt de certains cultes, contraire à l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905. Dans le même esprit, le ministère de l’Intérieur vient quant à lui d’annoncer que le numéro vert gouvernemental d’information sur le Covid 19 permettrait dorénavant aux croyants d’entrer en contact avec des ministres du culte de leur choix, conformément à une demande de leurs représentants. Un tel dispositif a déjà été mis en place pour le secteur hospitalier, ce qui pouvait encore se concevoir compte tenu de l’existence légale des aumôneries dans ce service public. En revanche, l’Etat ne peut se faire l’opérateur de la mise en contact de croyants avec des religieux – et encore, nous y insistons, de certaines religions et pas d’autres – sans méconnaître le principe de séparation des Eglises et de l’Etat, qui suppose la non-reconnaissance des cultes.
La troisième erreur, conséquence des deux premières, est qu’en souhaitant de bonnes fêtes aux seuls croyants des trois monothéismes, le chef de l’Etat a parlé à certains Français en oubliant tous les autres. Faut-il rappeler que ces fêtes, si elles sont des moments forts de la vie religieuse, ont également acquis, dans une société sécularisée, une dimension culturelle, festive et familiale ? Elles sont un temps de fête qui se confond avec les vacances scolaires et le printemps retrouvé, et qui rassemble les générations, au-delà de leur signification religieuse, et indépendamment des convictions de chacun. Pourquoi ne pas adresser aussi une pensée particulière aux millions d’enfants et de familles privées de la chasse aux œufs en chocolat ?
Le 31 mars 1988, lors d’une émission télévisée, le Président François Mitterrand avait souhaité de bonnes fêtes de Pâques aux Français : «Pâques, cela a une signification symbolique, depuis des milliers d’années. C’est passé de la religion juive, cela y est resté, à la religion chrétienne, et nous sommes de cette culture-là. Alors je leur dis « Joyeuses Pâques », vous, tous les Français. Je ne choisis pas. ». A son exemple, Emmanuel Macron aurait pu s’adresser à tous les Français, sans choisir entre eux.
Le temps n’est pas à la polémique, mais à l’union. Notre intervention ne vise pas à ouvrir une controverse, mais à rappeler les principes qui permettent précisément à la Nation de se rassembler. Dans la mémoire longue de notre pays, les guerres de religion sont un foyer ardent que seule la laïcité a pu mettre en sommeil. Ne le ravivons pas.

mercredi 8 avril 2020

Lu « Une identité française »,


roman de Rosemonde CATHALA paru aux Editions Arcane 17 (Cette très jeune maison d’édition d’Occitanie a été créée par Marie-Pierre VIEU, ancienne dirigeante du Parti Communiste et ex-élue au Conseil Régional et au Parlement européen).
Rosemonde CATHALA est une comédienne, metteur en scène et auteure qui dirige depuis assez longtemps le Théâtre des 7 chandelles de Maubourguet, la très chère commune dont je fus maire et près de laquelle je vis, et la Compagnie de la rOse ( ça s’écrit comme cela) à Marciac . Elle livre-là son premier roman, -ce qui n’est pas une mince affaire-, dont je ne sais pas s’il est autobiographique. Je devine qu’il l’est au moins un peu.
L’histoire d’une jeune femme parisienne, d’une famille bourgeoise (parents tous deux avocats) qui, à sa majorité, décide de quitter le domicile familial pour vivre son histoire d’amour avec Mohand, un marocain de 30 ans, et se convertit à l’Islam. Drame familial. L’histoire de cette rupture familiale va se compliquer avec le cancer de sa mère qui va être fatal, et la découverte, douloureuse, que son père et son grand père ont été des amis de René Bousquet.
Sacré cocktail...Ça donne un petit livre attachant, tout en révolte et en sensibilité.

samedi 4 avril 2020

Lu « Le pays des autres » de Leïla SLIMANI paru chez Gallimard.


La romancière franco-marocaine qui avait obtenu le Goncourt en 2016 pour son roman « Chanson douce »- qui ne l’était pas du tout !- s’essaye à un genre très différent : une fresque s’étendant sur une dizaine d’années, de la fin de la deuxième guerre mondiale jusqu’à 1956, et qui se déroule au Maroc, à Meknès pour être précis, et dans ses alentours.
Une fresque familiale: un marocain qui s’est « engagé » ( il faut mettre des guillemets car dans les colonies françaises l’engagement a pu avoir des formes pour le moins contraignantes...) dans l’armée française rencontre une jeune alsacienne quand il libère sa région et l’emmène vivre au Maroc où il rêve d’installer une ferme à 25 kilomètres de Meknès et d’exploiter quelques terres achetées par son père. Le couple va avoir très vite deux enfants mais tout va être difficile : d’abord ce couple mixte franco-marocain a quelque chose d’atypique ( d’habitude, dans les couples mixtes, ce sont les hommes-colons qui sont européens...) et, pour cela, est regardé de travers. Ensuite, les terres, bien que situées au milieu d’exploitations luxuriantes tenues par des colons, ne sont pas si riches. D’ailleurs, elles n’auraient pas été à vendre si elles l’avaient été...Les conditions de vie sont difficiles, la ferme, au début est privée de tout confort et donner une éducation à la fille aînée exige de la placer dans une école française catholique à la ville. Et la femme et l’homme de ce couple, inéxorablement s’éloignent l’un de l’autre. Le tout dans une ambiance politique tendue avec la montée du nationalisme qui, s’il n’a pas atteint le degré de guerre dure et généralisée comme en Algérie, n’en a pas moins connu quelques années de vraie violence. Bref une ambiance qui n’est pas marquée par le bonheur extatique d’une famille gaie et épanouie.
Le livre a du mal à démarrer, se perdant sans doute dans trop de descriptions d’ambiance, de décors ou de personnages qui ont un caractère que d’aucuns qualifieraient d’étouffant. Et puis, petit à petit, on s’installe dans la fresque, dans la famille, dans la ferme. Et on construit des souvenirs d’une époque particulière dans un pays attachant, comme si on y était . Un beau livre.

mercredi 1 avril 2020


En cette période de crise sanitaire grave et de confinement généralisé des citoyens, je n’ai pas l’âme polémique. J’ai plutôt, plus que jamais, la fibre républicaine exacerbée : quand on n’a plus le droit de se serrer la main, il faut se serrer les coudes...
« Faire face » c’était la devise de l’Ecole de l’Air de mon cher père disparu. Ça l’est peut-être encore. Ce devrait être notre devise à tous, comme une injonction à ne pas se perdre dans des disputes ou querelles inutiles. Oui, faire face....
Encore faudrait-il que ceux qui nous gouvernent s’appliquent à eux-mêmes la même règle et ne se livrent pas à je ne sais quelle provocation ou inconséquence qui désorientent ou abasourdissent les concitoyens !
Voilà pourquoi, à défaut de me perdre dans une colère trop accaparante, je veux juste pousser un coup de gueule haut et fort ce matin.
Car voilà qu’un Ministre de la République, celui chargé des comptes publics propose - rien de moins ! - de créer une « plate-forme de réception des dons » pour que les citoyens qui le souhaitent puissent aider l’Etat à faire face à la crise. Oui, vous avez bien lu, le Ministre chargé de fixer et collecter les impôts proposent aux citoyens de faire des dons à l’Etat, dons qui seront ( parce que c’est la loi ) déductibles de leurs impôts ! Voyez la cohérence ...
On croit rêver, à moins que ce ne soit un cauchemar.
Faut-il rappeler à ce Monsieur, qui, entre autres exploits, a supprimé l’impôt sur les grandes fortunes ou instauré la « flat-taxe » ou qui, pardon de le rappeler, a réduit les crédits pour l’hôpital public ( après d’autres, soyons honnêtes) que l’une des missions premières de l’Etat est de collecter l’impôt, aussi justement réparti que possible, afin de financer les charges communes des citoyens ? Je dis bien l’IMPOT, pas la charité, la spéculation en bourse ou le jeu au casino . L’IMPÔT.
Faut-il aussi lui rappeler que les associations de 1901 et les Fondations se sont organisées librement depuis plus d’un siècle pour recevoir la générosité des citoyens et permettre à ceux qui le peuvent de corriger ce qui leur paraît être les insuffisances de l’Etat dans certains domaines ? L’abbé Pierre ou Coluche parmi tant d’autres ont activé ce levier. Et le militant passionné que je suis d’une Fondation de recherche médicale croit pouvoir en parler en connaissance de cause .
Et ce Ministre voudrait que l’Etat se mette délibérément en concurrence avec ces milliers, ces dizaines, ces centaines de milliers d’associations ou Fondations ?
Coluche reviens, ils sont devenus fous...
Que le Ministre retire cette proposition serait sagesse.