Je
le reste parce que je ne vois pas de raison objective, apparue
depuis, qui puisse me faire changer d'avis.
Je
le reste parce qu'il me paraît du devoir de tous les démocrates et
les républicains de défendre la liberté d'expression et le droit à
la caricature humoristique comme des valeurs fondamentales.
Je
le reste parce que, dans le combat laïque contre tous les
obscurantismes religieux, l'équipe de Charlie, depuis des années,
fait preuve d'un courage et d'une constance remarquables.
Ca
ne veut pas dire que Charlie soit ma " Bible" , ce serait
un comble en la circonstance, ni que je partage tout des positions -
d'ailleurs très diverses- de l'hebdo satirique. Ca veut dire que sur
l'essentiel, il faut se rassembler.
Alors,
dans la polémique actuelle entre Charlie et le patron de Mediapart,
je reste Charlie, fermement, sereinement, indiscutablement.
Voilà
pour le fond . Reste la forme : le poids des mots. Ces mots qui ont
un sens et à qui, si on n'y prend garde, on peut faire dire
n'importe quoi. Les mots de la langue française qui sont d'une
richesse exceptionnelle, au point de recéler le meilleur... comme le
pire. Or, dans le maniement des mots et leur manipulation, les
réseaux sociaux jouent un rôle
dramatiquement
délétère. Je prends deux exemples , rencontrés lors de mes
travaux parlementaires :
-
lors d'un travail pour la Commission des Affaires Étrangères sur la
" Géopolitique de l'eau" , je me suis rendu - notamment !-
en Palestine et, décrivant le traitement infligé aux Palestiniens
par l'Etat d'Iraël, dans ce domaine de l'accès à l'eau comme dans
beaucoup d'autres, j'avais parlé d'une forme" d'apartheid ".
Ce mot, je l'avais emprunté à Desmond Tutu, prix Nobel de la paix,
dans les mêmes circonstances, et je l'avais longuement réfléchi,
pesé, mûri . Quel séisme ! Pendant six mois les réseaux sociaux
se sont déchaînés, animés par les milieux de la droite religieuse
israélienne pour m'agonir d'injures, me traiter d'antisémite bien
sûr , et me menacer y compris physiquement. Ce fut d'une violence
rare.
-
lors d'un autre travail parlementaire, ceux d'une mission
d'information sur l'interdiction de la burqa dans l'espace public,
nous avions auditionné le prédicateur Tariq Ramadan, celui qui,
justement, est au cœur de la polémique dont je parle. Et, je dois
le reconnaître, je n'avais pas été aimable avec lui : sans lui
manquer de respect je lui avais dit combien je pensais que
l'Assemblée Nationale de la République française, dans sa volonté
respectable d'écouter toutes les opinions, lui faisait un
cadeau tout à fait démesuré en lui accordant une respectabilité
qu'il ne méritait pas. Notre échange fut tendu et je ne le regrette
pas, aujourd'hui moins que jamais, maintenant que la vérité de cet
homme s'éclaire d'un jour si peu reluisant. Aurais-je eu raison trop
tôt ?
Là
encore, quel déchaînement sur les réseaux sociaux !! J'étais
, pour le coup, le raciste anti-arabe de service, l'ennemi de l'islam
et le suppôt du sionisme destinataire de la même violence verbale
et, bien sûr, des mêmes menaces.
Pourquoi
dis-je cela ? Parce que le débat public mérite la mesure, le
respect de l'autre et de ses idées, qui suppose aussi le respect du
poids des mots. Ces mots qui ont un sens avec lequel il ne faut pas
jouer dans notre monde de violence où le terrorisme est là,
présent chaque jour et partout, prêt à se jeter sur n'importe quel
prétexte.
Le
devoir de tous les démocrates, de tous les républicains est de
débattre, bien sûr, de confronter les idées, toujours, de faire
vivre la démocratie avec ce souci permanent de la liberté
d'expression, mais dans la mesure des mots .
Voilà
pourquoi la phrase de Monsieur Edwy Plenel, qualifiant la une de
Charlie comme "faisant partie d'une campagne générale de
guerre aux musulmans " est dangereuse, irresponsable,
condamnable.