Malheureusement, à l’occasion de ce débat, on voit
fleurir des expressions bien peu républicaines et, notamment, cette soi-disant
« communauté musulmane » que les commentateurs utilisent à toutes les
sauces alors que, rappelons le avec insistance, la culture républicaine veut
qu’il n’y ait de communauté que nationale. Il n’y a pas de « communauté
religieuse » en France quand bien même toutes les religions en
revendiquent l’existence !
Mais avant d’aborder ce débat sur le
fond et de qualifier ces propositions les plus spectaculaires, je veux dire ici
ma perplexité sur la nature de ce débat.
En
effet, autant je comprends l’idée selon laquelle il serait difficile d’exonérer
une religion de son intégrisme fanatique – dire que les religions n’ont rien à
voir avec leur intégrisme, c’est comme dire que le dopage n’a rien à voir avec
le cyclisme ou le hooliganisme avec le football, autant il y a comme une
contradiction à dire à la fois « cette minorité violente et extrémiste
n’a rien à voir avec l’Islam et l’immense majorité des musulmans de
France » - ce qui est vrai – et « les agissements de cette minorité
nous amènent à poser la question de l’Islam de France, son organisation et son
financement ».
Cette
contradiction-là me laisse intellectuellement et politiquement mal à l’aise,
sauf - et on y viendra plus loin pour essayer de la dépasser – à l’expliciter.
Commençons
par fixer le cadre politique et juridique de ce débat qui doit nous permettre
de préciser certaines choses quant à la relation non pas d’une religion
avec la République mais des religions avec la République. Car il se
trouve que cette relation est, avec la laïcité, au cœur de notre pacte
républicain.
Une
laïcité qui reste le ciment fondamental de notre « vivre ensemble ».
Et tous les citoyens lucides voient bien que ces évènements révèlent que notre
pays souffre d’un manque de laïcité et non pas de son excès comme semblent le
croire telle ou telle autorité religieuse. Mais dans la mesure où, à Droite
comme à Gauche aussi, hélas, chacun met la laïcité à sa propre sauce, pour des
raisons purement politiciennes et au mépris des textes qui la fondent et en
définissent les principes, il est important de rappeler ceux-ci, de les
expliciter, de les traduire. C’est le débat sur la loi de 1905, grande et belle
loi républicaine dite « de séparation » des églises et de l’Etat.
Que dit cette loi ?
Son
article 1 dispose que « La République assure la liberté de conscience.
Elle garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions
édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ».
Cela
signifie que la laïcité c’est d’abord et avant tout une liberté individuelle
fondamentale, la liberté de conscience, qui n’est pas seulement la
liberté religieuse ! Car la liberté de conscience, c’est le droit de
croire ET de ne pas croire, d’être croyant ou d’être athée ou agnostique, ou
même indifférent à ces sujets.
Et, dans cette liberté de
conscience, le droit de croire n’est assorti d’aucune restriction autre que
l’ordre public. En particulier, la République n’édicte aucune liste limitative
des croyances.
Donc
être musulman, en France, cela va sans dire mais ça va mieux en le disant, est
parfaitement compatible avec la République, au titre de la liberté de
conscience.
Son
article 2 lui, dispose – pour commencer et pour l’essentiel – « la
République ne reconnait, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte »…
Cela
signifie d’abord que la République ne procède à aucune
« reconnaissance » de quelque culte que ce soit, qu’elle n’a pas à
« certifier » ou à « labelliser » : elle n’accorde
aucun statut aux cultes. Cela ne veut pas dire « les ignorer », cela
signifie respecter leur existence et les laisser vivre. L’Islam de France n’a
donc nul besoin d’une « reconnaissance publique » pour exister. Cela
signifie aussi que la République n’accorde pas de financements publics
aux cultes « Ne salarie ni ne subventionne »…
Pour
être précis, cette règle souffre de deux exceptions : pour
l’investissement, et pour l’investissement seulement, les communes peuvent
financer l’entretien des lieux de cultes existant en 1905 dont elles sont
propriétaires et qui sont souvent classés comme monuments historiques. Oui, les
communes financent les églises catholiques dont elles sont propriétaires parce
que c’est l’histoire de France qui veut cela. Le « long chapelet »
d’églises au cœur de tous nos villages traduit ce que certains appellent
« les racines chrétiennes » de la France, réalité historique
incontestable mais qu’il n’est nul besoin de constitutionnaliser ou d’ériger en
dogme, surtout si c’est pour mieux diviser et exclure.
La
deuxième exception, précisée par la loi de 1905, concerne les « publics
captifs » dans des établissements publics (au premier chef les prisons et
les hôpitaux) où l’Etat peut – et doit – financer des « aumôneries »
pour tous les cultes. C’est un sujet dont on ne parle pas assez mais vu
l’influence intégriste dans nos prisons, les responsables politiques sont
placés face à une tâche urgente pour mieux contrôler, et mieux sélectionner les
prédicateurs qui y sévissent. C’est un enjeu majeur.
Donc l’Islam de France n’a pas à
être financé par l’Etat ou les collectivités locales, sauf à bouleverser de
fond en comble l’équilibre républicain de séparation des églises et de l’Etat.
Faut-il revoir cet équilibre ? J’entends que beaucoup le proposent, à
Droite mais aussi, hélas, à Gauche, rêvant de je ne sais quel « concordat »,
s’appuyant là sur la pratique Napoléonienne au début du 19ème siècle, ici sur
la délicate et, à certains égards, inacceptable exception d’Alsace-Moselle… Je
voudrais les en conjurer : « laissez ça ! Ne touchez pas à cet
équilibre !! N’ouvrez pas la boite de Pandore !!! Votre bonne foi et
votre bonne volonté sont sans doute très respectables mais vous ne semblez pas
connaître la longue liste de revendications préparées de longue date par les
cultes, tous les cultes, pour revenir sur cette loi, y compris par le culte
protestant qui fut pourtant le plus « laïque » au moment de
l’élaboration de la loi de 1905.
Non seulement ouvrir ce chantier
serait mortifère mais en outre et surtout, ça n’est nullement nécessaire !
On
nous raconte qu’il serait impossible de construire une mosquée en France mais
cette affirmation ne résiste à aucun examen sérieux : on en a construit
des centaines dans notre pays ces 10 dernières années et nombreuses sont celles
qui sont, aujourd’hui, en chantier. « L’Islam des caves » dont
on parlait à juste titre il y a encore 10 ans a désormais quasiment disparu
dans notre pays et c’est heureux. Tous ceux qui sont un peu de bonne foi savent
très bien que l’obstacle principal à ces constructions n’est pas financier mais
politique : trop d’élus, qui font la course à l’échalote derrière les
idées du Front National, s’opposent par tous les moyens à ces constructions
pour des raisons purement politiciennes et font, de fait, le jeu des fanatiques
qui veulent spéculer sur le sentiment de frustration des musulmans de France.
Pour autant, faudrait-il ne rien
changer ?
Ça n’est pas ma proposition :
les moments que nous traversons sont trop tendus et trop douloureux pour ne pas
bouger. Mais bouger pour bouger n’est pas une fin en soi, il faut bouger en
donnant du sens. Et ce sens nous est, me semble-t-il désigné par les
termes-mêmes de la loi de 1905. Revenons à son article 1 que je citais plus
haut : « La République… garantit le libre exercice des cultes sous
les seules restrictions éditées…dans l’intérêt de l’ordre public. »
Tout est contenu dans ce très subtil
balancier voulu par les Républicains du début du 20ème siècle et qui
est d’une brûlante actualité. Car ça n’est pas seulement « l’ordre
public » qui s’impose aujourd’hui c’est, tout simplement, la paix publique
dans la mesure où nous sommes en guerre, le mot a été prononcé et il n’est pas
si malvenu, avec le djihad.
Et
il est clair que la République, dans ses fondements culturels, politiques et
sociétaux ne pourra pas éternellement « garantir le libre exercice »
d’un culte si celui-ci n’est pas, parallèlement, clairement et fermement engagé
dans cette guerre à ses côtés.
Il
faudrait être aveugle et sourd pour ne pas saisir ce que les moments tragiques
que notre pays traverse révèlent des fractures de la société française et de
risques majeurs que cela nous promet : le xénophobie rôde… Le culte
musulman doit aider la République à conjurer ces risques. Reconnaissons que,
disant cela, on exigera d’un culte ce qu’aucun autre culte n’a jamais fait dans
l’histoire : combattre ouvertement son intégrisme… Mais les circonstances
exceptionnelles l’imposent.
C’est
tout l’enjeu de ce débat et, à mon sens, c’est le seul : quel pacte la
République et l’Islam de France peuvent-ils passer pour que la garantie du
libre-exercice du culte se fasse en échange d’une participation active à
l’élimination de l’intégrisme djihadiste ?
Et
c’est tout le sens de la laïcité qui n’est pas, comme le croient certains à
Gauche que l’expression des droits ou, comme le croient certains à Droite, que
l’addition de devoirs : la République laïque est un équilibre de droits et
de devoirs. Le droit des différences et le devoir de construire le commun.
Aujourd’hui, la priorité dans la construction de notre « commun »,
c’est la protection et la sécurité des concitoyens.
Si l’on pose clairement et publiquement la question de
ce pacte dans ces termes, alors, tout le reste découle de source ou presque…
« Interdire les financements
étrangers » ? Ils sont bien interdits pour nos campagnes
présidentielles, pourquoi continuerait-on à les accepter en temps de guerre
s’ils risquent d’alimenter les fanatiques ?
« Activer la fondation créée par le gouvernement
Villepin il y a plus de 10 ans »
(et qui n’a jamais marché, pas plus que le Conseil Français du Culte Musulman à
la mode Sarkozy) ? Une telle Fondation est une fondation de droit privé,
prévue par la loi de 1901 sur les associations et non remise en cause par la
loi de 1905. Mais, comme toutes les Fondations, elle fait l’objet d’un contrôle
par l’Etat qui dispose d’un poste d’observateur à son conseil. Ses financements
privés et non publics, j’y insiste, sont parfaitement légaux.
Sait-on qu’une des Fondations les plus riches de
France est la « Fondation des pieux établissements de Rome » qui gère
un patrimoine considérable et dont le Président de droit est…l’ambassadeur de
France au Vatican ?!
Comment financer cette Fondation ? Là encore la
créativité fiscale de certains de nos penseurs politiques est parfois
ahurissante : créer un « impôt » ou une « taxe » sur
le hallal ? Mais enfin, un impôt ou une taxe c’est de l’argent public !!
Et, dans la tradition républicaine, le caractère
universel de l’impôt ne peut, en aucune manière, être compatible avec cette
proposition. Ou alors on ne parle plus de République.
En revanche, une « redevance pour service
rendu » d’un privé (la Fondation) à d’autres privés (les consommateurs)
n’auraient rien de choquant. Elle serait tout à fait compatible avec la
tradition républicaine. Quant aux « services rendus » en matière de
certification hallal, ils ne sont pas difficiles à imaginer.
« La formation des imams ? » Il ne
saurait question, bien entendu, que la République se mêle de la formation
religieuse de ces imams car la séparation des églises n’impose pas seulement
aux églises de régenter la politique ; elle interdit aussi aux politiques
de s’immiscer dans les affaires religieuses. Mais que la République veille,
avec l’aide du culte concerné, à ce que les imams qui prêchent dans notre pays
aient une formation de base sur les lois de la République et la réalité laïque
de notre pays, quoi de plus normal ? L’Université française, surtout en
terres non concordataires, en présente toutes les capacités.
Un dernier mot sur la brûlante actualité, et sur
certaines tenues vestimentaires apparues sur nos plages (sans que, pour autant,
une vague de « burkini » ne submerge les plages de France !). En
d’autres temps, j’aurais presque pu dire « foutez-leur la paix,
laissez-les s’habiller comme elles veulent sur les plages »…et j’aurais eu
les félicitations de la Commission Consultative des Droits de l’Homme et,
peut-être même, de l’Observatoire de la laïcité.
Sauf que…
Sauf que nous sommes en guerre, et qu’en temps de
guerre, ces attitudes sont autant de provocations qui affaiblissent doublement
la communauté nationale : en alimentant l’audience des partis xénophobes,
en accréditant des thèses intégristes qui combattent radicalement l’égalité
hommes-femmes.
Et, dans ces conditions, au titre des droits et des
devoirs, il me semble aussi qu’un « devoir de discrétion »
s’impose puisque cette expression a été employée par Jean-Pierre Chevènement.
Je ne sais pas si celui-ci dirigera bientôt cette
Fondation. Il a toutes les qualités et les compétences pour réussir cette
mission et pour veiller à ce que, dès que possible, une femme d’abord
républicaine et ensuite musulmane, puisse lui succéder.
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