dimanche 26 novembre 2023

Vu « Contrebrassens »,

        spectacle musical de Pauline Dupuy, produit par l’ami Pierre Bonnier, avec
Pauline Dupuy comme chanteuse et contrebassiste et Michael Wookey au banjo, piano, accordéon et cloches, au Théâtre de Passy.

On peut sortir d’un spectacle ou d’un film sous le choc. On peut aussi en sortir sous le charme et ce fut bien le cas ici. Cette jeune femme qui est contrebassiste de formation et de profession chante en public pour la première fois. Elle a eu l’idée d’adapter Brassens pour qui elle a, depuis toujours, une admiration que je qualifierais de « complice » , et a construit ce spectacle avec un partenaire anglais, original et créatif. Ce travail est d’une grande originalité, d’une sensibilité extrême, d’une tendresse parfois drôle et parfois émouvante. Cette chanteuse aux pieds nus qui vit dans le Cantal et élève des moutons avec son compagnon restaurateur est, sur scène, d’une grâce et d’un charme étonnants. Et le résultat musical et d’une grande subtilité, très différent de Brassens ( sauf les paroles bien sur!) mais ne le trahissant en rien.

J’aimais Brassens passionnément avant. Peut-être un peu plus depuis. Foncez au Théâtre de Passy, c’est le lundi à 19h jusqu’au 18 décembre.

Vu « Killers of the Flower Moon » le dernier film de Martin Scorsese avec Leonardo DiCaprio, Robert de Niro et Lily Gladstone, adaptation du livre éponyme de David Grann paru en 2017.

Il raconte l’histoire des indiens Osages victimes de meurtres dans les années 1910-
1930 par des blancs qui veulent s’approprier leurs terres qui, miraculeusement, font partie des champs pétrolifères, et ont permis leur enrichissement.

DiCaprio et Niro sont époustouflants, vraiment. Surtout DiCaprio. Et ils sont magnifiquement mis en valeur par un grand Scorcese avec des gros plans saisissants, des images d’une grande beauté, ce talent du réalisateur qui sait toujours être à la bonne distance, dans le bon angle, avec la bonne lumière. Bon, c’est long, très long : 3h30. Même si je me demande parfois si il n’y a pas une forme de snobisme à en rajouter de la sorte et si j’ai la prétention de croire que j’aurais autant, voire plus, apprécié le film avec une heure de moins, cela ne retire rien à mon admiration. 

Vu « Second tour » le film d’Albert Dupontel, avec lui-même, Cécile de France et Nicolas Marié.

Une journaliste politique pourtant en disgrâce et reléguée dans la rubrique football,
est appelée par son patron en pleine campagne présidentielle pour palier une défaillance et suivre le favori, un homme aussi riche que lisse et porté par les puissances économiques et financières. Elle va mener une enquête, pleine de rebondissements, de surprises, de suspens, dans une atmosphère décalée et jubilatoire. Du pur Dupontel . Magnifiquement joué, très bien filmé, original en diable et simplement mais efficacement fournisseur de plaisir. Surtout, ne pas chercher de message politique dans cette comédie dramatique qui, pourtant, se déroule au cœur d’une campagne présidentielle ! Il n’y en a pas.. et c’est très bien comme ça.

Vu « Flo », le film de Géraldine Danon avec Stéphane Caillard et Alexis Michalik, le film-biopic qui retrace la vie de la navigatrice Florence Arthaud.

Une navigatrice qui s’est notamment distinguée par sa victoire en
solitaire dans la
Route du Rhum de 1990 et qui est morte dans un accident d’hélicoptère en 2015 lors du tournage d’une émission de télé-réalité pour TF1. Une femme issue d’une famille très aisée ( les éditions Arthaud), qui avait abandonné ses études de médecine au grand désespoir de ses parents pour vivre sa passion de la navigation à voile. Et une femme qui aimait la vie, la fête, les excès, les hommes et notamment les navigateurs à qui elle voulait démontrer qu’elle était leur égale. Une écorchée-vive qui aimait excessivement tous les plaisirs au point de jouer avec sa vie dans des accidents de voiture à plusieurs reprises. Que dire de ce film ? D’abord qu’il est magnifiquement joué par Stéphane Caillard, époustouflante de charme et de sensibilité. Une grande, très grande actrice. Ensuite que, contrairement à ce qu’avait craint la famille et notamment la fille de Florence Arthaud, il ne porte pas du tout atteinte à son image. C’est même presque l’inverse : un panégyrique . Les amoureux de la mer et de la navigation à voile se régalent d’images somptueuses même si une ou deux invraisemblances les irritent ( pourtant Philippe Poupon, le très grand navigateur est le compagnon de la réalisatrice…). Reste l’éternel débat sur les biopic : biographie ou œuvre de fiction ? Toujours, pour se mettre à l’abri, les auteurs précisent que c’est «une fiction inspirée de… ». Mais il reste qu’ils entrent dans l’intimité des êtres et même parfois - c’est le cas ici- dans la très grande intimité : dans les sentiments amoureux et même dans le lit de l’héroïne. Et là, le secret n’est pas dévoilé, il est un mélange d’invention pure et simple et d’indélicatesse et je trouve ça très contestable.

 

J’ai connu Florence Arthaud et, pour tout dire, je l’ai connue beaucoup plus marquée, à tous points de vue, par la vie que dans ce film.

Et j’ai connu plusieurs de ces navigateurs dont un très bien avec qui j’ai navigué souvent. Et la manière dont il est traité ici me semble profondément inconvenante. 

Mais, ces manières mises à part, voir ce film est distrayant et son actrice est bluffante.

samedi 25 novembre 2023

Lu « Extension du domaine du Capital » de Jean-Claude Michéa paru chez Albin Michel.

Jean-Claude Michéa est un philosophe français contemporain ( il est né en 1950,
c’est dire sa jeunesse…) qui a beaucoup publié à partir d’une triple inspiration : Marx, Orwell et Marcel Mauss. Marx pour son analyse du capitalisme et de la lutte des classes, Orwell pour sa dénonciation du totalitarisme du monde moderne, Mauss pour sa théorie du « fait social total » ( on me pardonnera j’espère ce résumé abusif de cette triple influence si riche et si complexe …). En tout cas, Michéa est un anti-libéral farouche qui n’a jamais la dent assez dure pour critiquer les trahisons de la Gauche «post mitterrandienne « comme il la qualifie . Et dans ce livre, il poursuit sa croisade en décrivant les conséquences visibles du mode de développement capitaliste et libéral qui, selon lui, équivaut à une sorte de fuite en avant suicidaire : destruction écologique, inégalités excessives et insupportables, brutalité et violence de la vie quotidienne…

Sur tous ces points il est assez convaincant. Mais en homme de gauche réformiste mais pas révolutionnaire, libéral politique mais anti libéral économique, je brûle de lui poser la question centrale : d’accord ! Alors on fait quoi ? La révolution ? Le capitalisme d’Etat ? La fixation des prix par l’Etat ? L’allocation des richesses par le Plan ? Les soviets ? Ou bien la régulation par la réforme ? Et, dans ce cas, quelles mesures efficaces ? Je sais bien que que Michéa en d’autres pages se fait défenseur du référendum comme solution à bien de nos maux. Mais outre que la pratique référendaire, dans l’histoire de France et en particulier de la Vème République a si souvent - pas toujours!- pris des formes plébiscitaires que le peuple a fini par répondre moins à la question posée qu’à celui qui l’a posée, on ne voit pas, par ailleurs, qu’on puisse gouverner par référendum, jour après jour…en tout cas cela mérite débat.
Mais l’intérêt du livre réside ailleurs, j’allais dire là où ne l’attend pas ! Car Michéa-le philosophe marxiste qui vivait dans une grande agglomération urbaine, a décidé, il y a quelques années d’aller vivre dans un petit village des Landes, dans le bas-armagnac et ce sud-ouest que j’aime tant et où je vis depuis 40 ans. Et il a adopté le genre de vie local : il cultive son potager, élève des poules et des canards, va à la chasse, fait la fête au village, assiste aux courses landaises, aux corridas..mais il découvre aussi ce qu’est un village sans commerce, le premier médecin à des kilomètres, l’absence de transports collectifs, de services publics. Et il comprend mieux au point de les partager les travaux remarquables de Christophe Guilluy sur l’opposition entre France métropolitaine et France périphérique, corroborés par les études - tout autant remarquables- de Jérôme Fourquet.
Au point, touche après touche, de définir une théorie sociale selon laquelle là se trouvent les couches sociales les plus défavorisées, dans le monde rural . Et je ne suis pas loin de le suivre pour vivre dans un petit village de Bigorre de 400 habitants. Là et autour de là, le vote d’extrême-droite n’a jamais cessé de progresser depuis vingt ans. A cause des immigrés ? Il n’y en a que très peu… De la délinquance ? Idem. Non, ce qui l’emporte, c’est le sentiment d’abandon : ils ne tiennent pas compte de nous là-haut ? On ne pense jamais à nous, on ferme nos écoles, nos gares, nos hôpitaux… C’est d’ailleurs ce qui a impulsé d’entrée de jeu le mouvement des gilets jaunes, qui était d’abord un cri de colère sociale avant de dégénérer par sa diversité, son refus de s’organiser et les déviances violentes..tout cela Michéa le voit, le partage, le comprend, le théorise. Et il en vient à conclure que la bourgeoisie intellectuelle des grandes villes devient la principale adversaire de la France périphérique en voulant lui imposer sa loi et son mode de vie. Et il devient encore plus intéressant quand il démontre que Sandrine Rousseau, Aymeric Caron et tous les wokistes sont les meilleurs défenseurs du libéralisme par leur défense de l’individu «  qui a tous les droits »  ( l’indidualisme radical de la bourgeoisie libérale) ou, surtout, par leur occultation coupable de la question sociale, ou bien quand il affirme que la question de l’identité ou de l’appartenance, de la tradition ou de la coutume loin d’être des éléments de fascisme comme le dit l’extrême-gauche, sont en fait des facteurs constitutifs de l’homme-animal social . Et que la Gauche, pour se relever, doit prendre en compte cette question de fond .
Il y a beaucoup à picorer dans le poulailler conceptuel et philosophique de Jean-Claude Michéa.

Vu « Le monde d’après » le seule-en-scène de Sophia Aram au studio des Champs-Elysées.

Cette femme, que l’on connaît surtout pour ses chroniques à France Inter, et qui se
définit elle-même comme social-démocrate, républicaine, laïque et universaliste - ce qui, je le confesse, nous a naturellement rapprochés - est une fille d’un père marocain, cuisinier, et d’une mère « maltraitante » qui a passé une jeunesse heureuse dans une cité de Trappes avec ses cinq frères et sœurs où elle fréquentait l’atelier-théâtre de son lycée avant de débuter dans le théâtre d’improvisation. Mais c’était avant que « les barbus n’arrivent et que les femmes se voilent ». Et depuis, elle a trouvé sa voie dans un genre très personnel et original, entre l’engagement politique courageux et l’humour décapant. Évidemment, je l’ai dit plus haut, je suis complètement en phase avec ses idées et cela me rend suspect de subjectivité. Mais je trouve que ce discours qui n’hésite pas à dénoncer aussi bien les dangers terrifiants de l’islam radical que toutes les lâchetés de la Gauche depuis quelques années est particulièrement salvateur. Et comme, en plus, Sophia Aram est une actrice de talent et que, parfois, ses seules mimiques suffisent à me faire rire, j’ai passé avec elle une soirée délicieuse. Mais le prix payé par elle est souvent trop lourd : qu’on la traite de femme de droite participe de l’humour involontaire; mais qu’elle soit régulièrement menacée de mort montre bien l’évolution douloureuse de notre société.

Vu, au théâtre Marigny, « Ruy Blas », la pièce de Victor Hugo, adaptée et mise en scène par Jacques Weber avec lui-même, Kad Merad, Stéphane Caillard et Basile Larie.

On connaît la pièce de Victor Hugo qui nous transporte quatre siècles en arrière
dans l’intimité de la cour royale d’Espagne. Un classique du théâtre qui voit le marquis Don Salluste - joué par Weber-, disgracié par la Reine, demander à son cousin, le comte Don César, un drôle de loustic qui brûle la chandelle par les deux bouts - joué par Kad Merad - de l’aider à se venger. Mais celui-ci refuse ce qui amène Salluste à missionner son laquais, Ruy Blas, pour usurper l’identité de Don César et séduire la reine. Ruy Blas, homme simple, droit et courageux, va s’acquitter de cette tâche avec abnégation au point que, s’approchant de la Reine avec ruse il en tombe amoureux. Et l’affaire se complique quand la réciproque apparaît dans le cœur de la Reine rendant la vengeance de Salluste impossible pour son laquais….

La mise en scène de Weber est tout sauf classique, les décors et costumes, les musiques et danses illustrant un drôle de mélange moderniste et baroque. Weber est Weber, au talent incontestable même si le temps (?) fait qu’il est parfois inaudible soit quand il parle très bas soit, au contraire, quand il parle très fort. Kad Merah est magnifique et c’est la surprise de la soirée puisqu’il ajoute son talent d’acteur populaire à celui plus classique de Weber. Stéphane Caillard est solaire, belle et lumineuse. (quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi, à la fin, au moment des saluts, elle est reléguée sur le côté, à l’extrémité de la rangée des 15 acteurs ? Ça m’a choqué…). Seul, celui qui joue Ruy Blas, Basile Larie, est un ton en-dessous. Weber, il est vrai, a pris un risque en choisissant ce quasi-inconnu, repéré par son fils dans une master class et dont un seul entretien l’avait convaincu de sa forte personnalité et de son charisme. Il a tout ça, c’est vrai. Mais un problème de diction, comme une gêne dans la bouche, fait souvent décrocher le spectateur.
Il n’empêche, voilà du bel et bon théâtre !