préfectoral, qui fut un courageux délégué interministériel à la lutte contre les discriminations, le racisme et l’antisémitisme de 2015 à 2017. Je l’ai connu dans ces années-là et nous avons très vite noué une amitié fondée sur une grande complicité politique et intellectuelle révélée, notamment, par des combats communs pour une laïcité dépouillée de tout adjectif qualificatif et simplement républicaine. Nous avons créé ensemble le Think-tank « L’Aurore » il y a quelques années, dont il est le délégué général et que j’ai le plaisir et l’honneur de présider avec l’objectif, justement, de faire vivre ces idées. Autant dire que cette recension de son livre est pour moi un exercice très difficile dans la mesure où elle résonne comme un test de ma capacité à développer un esprit-critique minimal…un esprit-critique « malgré tout ».
Le livre de Gilles est d’une grande profondeur qui tourne le dos à bien des analyses ou commentaires à l’emporte-pièces et s’engage résolument sur les chemins de la philosophie politique ( il y a, en particulier, une approche philosophique de l’insécurité globale du peuple qui dépasse de loin les rodomontades de tel ou tel Ministre de l’Intérieur…)ce qui, on en conviendra, est plutôt rare par les temps qui courent. Mais sa singularité ne s’arrête pas là car, loin encore des idées à la mode imprégnées du libéralisme débridé qui fait de tout ce qui est « public » une sorte d’expression d’une bureaucratie haïssable et de tout ce qui est « privé » le remède à tous les maux de la société, la thèse renvoie tous ces préjugés dos à dos: si l’Etat n’est pas « La» solution, l’étatisme l’est encore moins. Et pour construire une œuvre de réhabilitation de la « puissance publique » ô combien nécessaire, il s’emploie à revisiter l’histoire pour mieux comprendre l’affaissement de celle-ci et, surtout, analyser aussi finement que possible, tous les renoncements qui l’ont affaiblie. En commençant par démontrer que l’approche budgétaire de l’Etat, triomphante depuis tant d’années, est celle … de ceux qui n’ont pas de réflexion sur celui-ci. Pour aboutir à un constat incontournable et, en même temps, original dans son énoncé: quand ceux qui nous gouvernent, et en particulier les élites politico-administratives, cessent de croire que l’Etat a pour première mission d’être « L’Instituteur » de la société, alors celui-ci n’est plus le garant de la communauté politique, sa raison d’être disparaît et l’unité du pays est menacée. C’est sur le chapitre de la laïcité, et ce n’est pas une surprise, que l’ouvrage est le plus percutant, d’autant qu’il sort d’une façon tout à fait bienvenue des sentiers battus en reprenant pour la développer la question soulevée par Edgard Quinet il y a un siècle et demi: la République saura-t-elle élever une puissance spirituelle propre à rivaliser avec la foi religieuse, apte à lui résister non par la coercition mais par l’éclat ? A quoi Gilles répond par l’ardente obligation pour l’Etat et ceux qui le dirigent d’assumer le pouvoir spirituel. Ce que j’avais appelé, il y a quelques années «une spiritualité laïque »et qui n’est rien d’autre que la défense et la promotion de valeurs publiques qui, sans nier les valeurs privées et encore moins s’y opposer, ouvrent un espace propre, celui de la vie citoyenne. Ces valeurs que Ferdinand Buisson, en son temps, avait si bien définies: le goût de l’effort, le respect de l’autre et de sa différence, le sens civique, l’amour de la patrie, le sens de la solidarité, la foi dans l’universalité de la condition humaine …La défense et la promotion de ces valeurs, leur incarnation par l’Etat républicain participant, d’ailleurs, activement à la construction du
« commun » si précieux et répondant concrètement à des interrogations profondes : qu’est-ce qu’être français ? Que faisons-nous ensemble ? Comment conjuguer harmonieusement toutes nos différences avec ce qui nous rassemble?
C’est peut-être sur le terrain politique que j’aurais - éventuellement ! Juste pour poursuivre le débat…- quelques nuances à apporter aux propos ou plutôt aux interprétations de Gilles. Mais c’est sans doute tout simplement parce qu’étant plus vieux, j’ai vécu des moments que sa jeunesse lui fait découvrir a posteriori : sur 1989 et l’affaire dite « des foulards du collège de Creil », où je pense qu’il simplifie le dilemme qui partageait les esprits de toute la Gauche sans voir d’ailleurs que celle qui dirigeait l’Etat ( Mitterrand et Rocard, pour une fois d’accord…) avait partagé équitablement la même sous-estimation du danger; sur le désastreux bilan du quinquennat de François Hollande( au moins sur le sujet qu’il développe dans ce livre…) pour lequel son très respectable devoir de loyauté à l’égard d’un homme qu’il a servi le prive d’une lucidité suffisante sur l’incapacité majeure de celui-ci d’incarner cet État républicain qu’il appelle de ses vœux; et sur la laïcité, dont il fait un acquis consensuel de la vie politique française, en passant un peu vite par perte et profit tous les combats revanchards de la Droite tout au long de la deuxième moitié du 20ème siècle notamment sur l’enseignement catholique. Comme si la droite extrême et l’extrême droite étaient devenues vraiment laïques et pas seulement déterminées à combattre une religion et une seule, l’Islam….
Mais peu importe, tout cela n’est que de la nuance politique ! Il reste que cet ouvrage est le fruit d’un travail remarquable et qui vient à point nommé : voyez les temps qui courent où le constat unanime tend à venir au secours des hôpitaux publics comme de l’Education Nationale ou bien de la Justice : il faut plus de moyens ? Chiche ? La défaite du libéralisme se traduira-t-elle simplement par des chiffres alignés ou par une nouvelle ambition pour la puissance publique ? Le livre de Gilles CLAVREUL nous invite à penser intelligemment cette indispensable mutation.
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