sur le site de l’Aurore avec Gilles CLAVREUL
https://www.laurorethinktank.fr/
Dans
toute situation exceptionnelle, il est des renoncements douloureux
mais nécessaires, car il en va de la survie individuelle et du salut
collectif. Il en est ainsi du confinement, et chacun en constate la
nécessité.
Pour
autant, il ne saurait être question de mettre en parenthèses
certains de nos principes les plus essentiels, surtout lorsque ces
principes ont pour vocation de réaliser ce dont nous avons
absolument besoin pour vaincre collectivement la pandémie: l’unité
nationale. C’est sans doute en s’inspirant du Clemenceau chef de
guerre, visitant régulièrement les troupes en première ligne,
soucieux de leur témoigner sa solidarité et d’unir le pays
derrière eux, que le chef de l’Etat a placé son allocution du 16
mars dernier; et c’était bienvenu.
Cette
inspiration première, le chef de l’Etat s’en est cependant
écarté à l’approche des fêtes de Pâques, en s’adressant aux
croyants des religions monothéistes – et uniquement à eux -par
message publié le 8 avril sur son compte Facebook. Ce message, par
lequel le Président s’inquiète des contraintes qui pèsent sur
nos «vies spirituelles», comporte trois erreurs.
La
première est de limiter la spiritualité et la transcendance aux
seules religions. Or, la vie spirituelle n’est pas le propre des
seuls croyants; les interrogations métaphysiques, le rapport au
deuil et à la mort, la réflexion éthique traversent toutes les
civilisations, tous les courants de pensée, toutes les cultures.
Elles sont le bien commun de l’homme, croyant ou pas.
La
deuxième erreur du chef de l’Etat est de s’adresser aux juifs,
aux chrétiens et aux musulmans, et à eux seuls, entrant dans une
logique de reconnaissance des cultes, ou plutôt de certains cultes,
contraire à l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905. Dans le
même esprit, le ministère de l’Intérieur vient quant à lui
d’annoncer que le numéro vert gouvernemental d’information sur
le Covid 19 permettrait dorénavant aux croyants d’entrer en
contact avec des ministres du culte de leur choix, conformément à
une demande de leurs représentants. Un tel dispositif a déjà été
mis en place pour le secteur hospitalier, ce qui pouvait encore se
concevoir compte tenu de l’existence légale des aumôneries dans
ce service public. En revanche, l’Etat ne peut se faire
l’opérateur de la mise en contact de croyants avec des religieux –
et encore, nous y insistons, de certaines religions et pas d’autres
– sans méconnaître le principe de séparation des Eglises et de
l’Etat, qui suppose la non-reconnaissance des cultes.
La
troisième erreur, conséquence des deux premières, est qu’en
souhaitant de bonnes fêtes aux seuls croyants des trois
monothéismes, le chef de l’Etat a parlé à certains Français en
oubliant tous les autres. Faut-il rappeler que ces fêtes, si elles
sont des moments forts de la vie religieuse, ont également acquis,
dans une société sécularisée, une dimension culturelle, festive
et familiale ? Elles sont un temps de fête qui se confond avec
les vacances scolaires et le printemps retrouvé, et qui rassemble
les générations, au-delà de leur signification religieuse, et
indépendamment des convictions de chacun. Pourquoi ne pas adresser
aussi une pensée particulière aux millions d’enfants et de
familles privées de la chasse aux œufs en chocolat ?
Le
31 mars 1988, lors d’une émission télévisée, le Président
François Mitterrand avait souhaité de bonnes fêtes de Pâques aux
Français : «Pâques, cela a une signification symbolique,
depuis des milliers d’années. C’est passé de la religion juive,
cela y est resté, à la religion chrétienne, et nous sommes de
cette culture-là. Alors je leur dis « Joyeuses Pâques »,
vous, tous les Français.
Je ne choisis pas. ».
A son exemple, Emmanuel Macron aurait pu s’adresser à tous les
Français, sans choisir entre eux.
Le
temps n’est pas à la polémique, mais à l’union. Notre
intervention ne vise pas à ouvrir une controverse, mais à rappeler
les principes qui permettent précisément à la Nation de se
rassembler. Dans la mémoire longue de notre pays, les guerres de
religion sont un foyer ardent que seule la laïcité a pu mettre en
sommeil. Ne le ravivons pas.
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