Je poursuis ma mission de six mois sur le Maghreb,
pour le compte de la Commission des Affaires Étrangères de
l'Assemblée. Je retrouve
ce pays si attachant que je commence à connaitre assez bien, qui est le seul
exemple d'un "printemps arabe" suivi d'un été démocratique , certes
tourmenté et fragile mais réel, un pays qui connaît aussi une situation
sécuritaire douloureuse - il est aux portes de la Lybie et compte 650 km de
frontière avec son voisin déchiré et inquiétant - et une situation économique
très délicate, notamment -mais pas seulement- parce que son activité
touristique, pourtant si essentielle,
s'est effondrée après les attentats du Bardo ou de Sousse. Parmi de
nombreux et riches entretiens, je rencontre enfin Hocine Abassi, le Secrétaire
général de l'UGTT. Je dis " enfin" car cela fait plusieurs années que
je souhaitais cette rencontre et que plusieurs contre-temps ont contrarié ce
projet. L'homme, 69 ans, est un sage qui parle d'une façon très réfléchie et posée,
s'arrêtant régulièrement pour scruter sa pensée. Après quelques échanges sur la
situation politique, économique et sociale de son pays, échanges qui lui permettent
de redire l'indépendance de son organisation par rapport au pouvoir, et sa
liberté de soutenir le gouvernement quand il respecte le "document de
Carthage" (accord politique qui lie les organisations démocratiques), ou
de ne pas le soutenir voire de s’y opposer s'il s'en écarte, je l'interroge sur
l'islam politique et sur le parti Ennahdha. Après tout lui dis-je, votre
organisation s'est levée, avec trois autres, dans ce qu'on a appelé le "
Quartet" (récompensé d'un prix Nobel de la paix !) pour imposer le Dialogue National, au moment
où l'emprise sur la société de ce parti,
alors au pouvoir, se faisait de plus en
plus totalitaire et menaçait des libertés individuelles et collectives
fondamentales. Aujourd'hui que ce parti islamiste n'est plus "au
pouvoir" mais " dans le pouvoir"
( 6 postes dans le dernier gouvernement !) et qu'il tient un discours se
voulant rassurant , son chef Ghanouchi, affirmant qu'il a rompu avec l'islam
politique pour construire l'islam démocratique , quel jugement portez-vous sur
cette évolution ?
Hocine Abassi réfléchit un bon moment avant
de me répondre très longuement.
D'abord, me dit-il, il faut que vous sachiez
que ce parti n'a pas seulement " menacé" nos libertés, il s'est
concrètement attaqué à nous pour les détruire. Je ne vous rappelle pas les
assassinats politiques de nos amis, notamment Chokri Belaïd , mais sachez aussi
qu'il a préparé une attaque en bonne et due forme contre notre organisation et
son siège qu'il voulait prendre d'assaut. Mais nous l'avons su, parce que nous
sommes très bien insérés dans la société et comptons beaucoup d'amis partout,
et après avoir mis en demeure, en vain, le gouvernement d'empêcher ce complot,
nous avons pris les dispositions pour le faire nous-mêmes.
Ensuite, vous devriez regarder de plus près
les discours d'Ennahdha: cette histoire selon laquelle ils vont séparer, dans
leurs activités, celles qui relèvent de la prédication de celles qui sont
politiques, ne me convainc nullement. Séparée ou pas, la prédication n'a rien à
faire dans un parti politique.
Alors, moi, quand un discours va dans le bon
sens, je l’encourage. Mais ce qui m'intéresse, ce sont les actes. Voila
pourquoi l'UGTT est prudente et vigilante.
Hocine Abassi va se retirer en janvier
prochain et je lui demande ses projets. Je vais écrire me dit-il. Écrire mes mémoires.
Mais aussi écrire pour raconter le contenu des longues, très longues séances du
" dialogue national" cat le peuple tunisien a le droit de savoir.
Certains acteurs m'ont fait prendre l'engagement de ne rien publier de mon vivant,
alors je léguerai ça à mon fils aîné et il en fera ce qu'il voudra…
Prudence et Vigilance. Ces mots du sage de
l'UGTT m'auront marqué.
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