La mission de la
commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale n’est pas une commission d’enquête à l’issue
de laquelle au bout d’une quelconque instruction nous devrions procéder ou
émettre des jugements ou, encore moins, des condamnations.
Elle est une mission
d’information. Nous avons travaillé depuis 6 mois dans une double
optique : apprendre et comprendre. Aussi bien dans de très
nombreuses auditions à l’Assemblée nationale que dans nos deux missions sur
place, nous avons été uniquement motivés par cette double démarche :
apprendre ces pays, ces peuples, leurs situations politiques, économiques et
sociales et comprendre les mouvements en profondeur qui les animent
depuis le début de ce que certains ont appelé « les printemps
arabes » et que nous préférons, nous, appeler les « révolutions
arabes ».
Pour
ce faire, nous nous sommes efforcés de nous départir de tout préjugé, de tout a
priori. Ça n’a pas toujours été facile tant parce qu’un passé
« colonial » fût-il
apaisé nous unit à tel ou tel de ces pays (on pense bien évidement à la
Tunisie) que parce que notre mission étant plurielle, de tels préjugés nous
auraient probablement divisés…
C’est
pourquoi, il nous est apparu important de préciser les erreurs à ne pas
commettre dans l’approche de ces processus révolutionnaires.
La
première erreur à ne pas commettre est celle de l’amalgame ou plutôt des
amalgames
Amalgame entre les pays
concernés : certes, ces révolutions ont des « points communs »
(révolte contre des régimes dictatoriaux autant que contre la misère économique
et sociale, position hégémonique des partis se réclamant de l’islamisme, atomisation
des partis progressistes ou démocrates, libération de la presse, de la parole,
de l’expression, éclosion d’un multipartisme « échevelé », etc.) mais
chacun de ces pays et de ces processus révolutionnaires a son « caractère
propre ». Qu’y-a-t-il de commun entre un pays de 85 Millions d’habitants,
l’Egypte, et un autre de 12 Millions d’habitants, la Tunisie ?
Amalgame entre les partis et les forces
politiques qui ont tous et toutes leurs identités particulières : même les
salafistes égyptiens sont bien différents des salafistes tunisiens.
Amalgame, surtout, dans l’approche de
l’Islam.
Contrairement à ce que croient trop de nos
compatriotes, il n’y a pas « un » Islam monolithique et cohérent (et
donc pas, soit dit en passant « une » menace islamique ou islamiste).
L’Islam n’a pas de chef, de « grand
imam » jouant un rôle dirigeant et une puissance d’influence comme le pape
peut le jouer sur la religion catholique.
L’Islam a « des » chefs, autant de
chefs qu’il y a de mosquées et donc, d’imams. Certains exégètes avisés du Coran
vous expliqueront même qu’il y a autant d’Islams que de musulmans dans la
mesure où le Coran est source d’interprétations diverses et que c’est une des
caractéristiques de cette religion que de confier à chaque croyant la liberté
de choisir son « mode de croyance ».
Quel rapport, par exemple, entre le cheikh
Taïeb (grand imam) de la grande Mosquée Al Azaar au Caire, modèle de modération
et d’ouverture et Yasser Burhani l’imam de la prédication d’Alexandrie,
pourtant pédiatre de formation, créateur du parti salafiste Al Nour, ou Abou
Ismael salafiste révolutionnaire, incarnations presque caricaturales l’un et
l’autre du conservatisme échevelé et de la réaction la plus extrémiste ?
Et, même, quand on parle des forces
politico-religieuses, il faut se garder de tout amalgame ! Quand on parle
des « salafistes » par exemple, on peut avoir le sentiment d’avoir
ciblé un mouvement précis et catégorisé…jusqu’à ce qu’une rencontre – étonnante
– avec des dirigeants du parti Al Nour au Caire nous expliquent en détails
« les 5 écoles du salafisme, différentes et à bien des égards opposées
entre elles » !
Le monde est complexe, le monde
arabo-musulman plus encore…
L’amalgame et le raccourci sont les erreurs à
ne pas commettre pour appréhender cette complexité.
La
deuxième grande erreur serait de rechausser peu ou prou nos lunettes de vue
d’ancienne puissance coloniale et de porter des jugements ou d’émettre des
conseils de caractère néo-colonialiste. Pour la France, cela vaut en
particulier dans notre approche de la Tunisie.
Une
telle approche provoquerait irrémédiablement une réaction puissante de rejet et
une accusation d’ingérence bien compréhensible : « nous n’avons nul
besoin de vos conseils et, encore moins, de vos consignes ».
Les opinions de ces pays sont, de traditions
et de culture, très structurées par le nationalisme identitaire.
Et elles ne dépassent ce nationalisme
identitaire que pour repousser toute influence occidentale d’une façon plus «panarabique »
et, bien sûr, pour faire front commun derrière la Palestine et contre Israël…
La meilleure preuve tient aux auteurs de
l’attaque contre l’ambassade d’Israël au Caire : elle ne fut pas le fait
des islamistes mais des « ultras », ces supporters de football très
violents et pas très cultivés…
Au-delà de cette prudence, il nous faut,
comme le dit Hubert Vedrine « nous désintoxiquer de l’idée que c’est nous
qui tirons les ficelles au Maghreb »…Ou que nous aurions des leviers
puissants pour agir.
La troisième grande erreur à ne pas commettre
est d’aller vers ces processus révolutionnaires avec nos yeux de français, les
acquis de notre expérience et même nos mots, nos qualificatifs.
On a déjà dit à quel
point l’amalgame d’une partie des penseurs politiques français décrivant
l’Islam comme un « bloc cohérent » et, donc, une menace potentielle
était un obstacle majeur à la compréhension de la complexité du monde
arabo-musulman et de ses processus révolutionnaires.
Mais il en va de
même, dans une moindre mesure certes, quand on fait référence à notre héritage
révolutionnaire : allez dire aux révolutionnaires du Caire, de Tripoli ou
de Tunis que la France a mis près d’un siècle avant de stabiliser sa révolution
de 1789 et d’inscrire la République dans la durée et ils vous répondront,
excédés, « oui je sais, mais au Portugal, ils n’ont mis que 6 ou 7 ans
après la révolution des œillets et, de toutes façons, à l’heure d’internet et
des réseaux sociaux, nous n’attendrons pas longtemps »
Quant à nos mots, à
nos qualificatifs, ils doivent être employés avec la plus grande prudence. Je
pense, en particulier, au beau mot de « laïcité », du substantif
« laïc » ou du qualificatif « laïque », belle invention
française mais dont nous savons, nous, qu’elle est une valeur à vocation
universelle comme la démocratie et les droits de l’homme.
Eh bien, qualifier certains des partis de
Tunisie, d’Egypte ou de Libye de « partis laïques », c’est leur
porter tort !
Car c’est leur coller une étiquette
« occidentale » ou de « Partis de la France », c’est
évoquer un modèle venu de l’extérieur.
Même en Tunisie où l’amitié avec la France
est profonde et où les liens avec notre pays sont très étroits, mieux vaut
qualifier ces forces politiques de « démocrates » ou de
« républicaines » voire de « progressistes » ou libéraux.
Mais pas laïques. Hélas.
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