mercredi 16 novembre 2022

Lu « La désindustrialisation de la France » de Nicolas DUFOURCQ paru aux éditions Odile Jacob.

 Nicolas DUFOURCQ est un inspecteur des finances que je connais bien pour des
raisons personnelles et qui dirige depuis sa création il y a une dizaine d’années la BPI, Banque Publique d’investissement une des rares mais très spectaculaires réussites du quinquennat de François Hollande. Il publie là un livre d’autant plus intéressant sur ce phénomène de désindustrialisation de la France, qu’il décrit, date et chiffre d’une façon incontestable, qu’il est étayé par des dizaines de témoignages d’industriels eux-mêmes, de politiques et de hauts fonctionnaires. C’est très interessant et concret. Trois remarques cependant:

1. D’abord sur les témoignages des politiques de Gauche: dommage que seul Chevènement soit dans cette liste. Car son côté « je l’avais bien dit mais on ne m’a pas écouté « aurait mérité d’être contre-balancé…de hauts fonctionnaires comme Louis Gallois ou Pascal Lamy le font un peu mais quand même, cela manque.


2. Les 35 heures. Sans vouloir vexer l’auteur, je ne m’attendais pas à autre chose que cette descente en flamme des 35 heures compte tenu de la doxa libérale ambiante…mais , car il y a un mais ! Il suffit d’ailleurs de lire Madelin dans le texte : après avoir dénoncé le « non-sens » de la mesure ( on n’en attendait pas moins de sa part…), il ajoute avec une honnêteté inattendue d’une part qu’il n’y a pas eu de surcoût du travail puisqu’elles ont été compensées et, d’autre part, qu’elles ont ouvert un espace de dialogue social appréciable. Tiens donc… alors je renchéris sur Madelin: on ne peut pas dire que la compensation financière des 35h, versée par l’Etat aux entreprises pour éviter l’augmentation du coût du travail et la perte de compétitivité, a représenté une fortune pour les finances publiques, ce qui est vrai et, en même temps, qu’elles ont représenté un surcoût pour les entreprises. Quant au dialogue social, c’est un point qui échappe habituellement aux libéraux mais il est essentiel : les 35h ont fait faire un progrès considérable à celui- ci avec l’annualisation du temps de travail notamment. Et je plaide même pour les vertus économiques de cette dernière car je connais des chefs d’entreprises ( plusieurs ! Et il doit y en voir bien d’autres … Mais ils ne sont jamais cités ni par le MEDEF ni par les médias, ni …dans ce livre) qui m’ont dit « sans la souplesse de l’annualisation, je n’aurais pas sauvé mon entreprise »…
Je suggère un argument différent à l’auteur: si les 35h ont eu un effet négatif sur les entreprises c’est peut-être aussi parce qu’elles ont servi d’exutoire au patronat sur le thème « c’est la faute aux 35h ! », empêchant nombre d’entrepreneurs de se remettre en cause… je reconnais que l’argument est un peu politique mais est-il si faux ?


3. À propos de l’apprentissage, l’auteur indique que les enseignants des lycées professionnels l’ont refusé dans leurs établissements. Ce n’est pas tout à fait exact et je connais bien le sujet car j’étais en charge de ce dossier quand j’étais dans le gouvernement de Pierre Beregovoy et il est dommage que Nicolas DUFOURCQ ne m’en ait pas parlé. La réalité, qui m’a d’ailleurs opposée à Martine Aubry qui avait ce projet, c’est que j’ai fait remarquer au sein du gouvernement qu’il était difficile voire impossible d’avoir au sein des mêmes établissements des jeunes en formation rémunérés et d’autres pas et que pour répondre à la volonté de Martine, il serait préférable de rapprocher les deux systèmes sur le fond. Beregovoy m’a donné raison et nous avons décidé de généraliser l’alternance sous statut scolaire. Ça ne clôt pas le débat mais ça rétablit les faits.


Pour le reste, il y a un point évoqué dans le livre qui, à mon sens, n’est pas assez développé c’est celui de ce que j’appellerais les « exceptions territoriales » : pourquoi alors que cet environnement politico-administratif était si défavorable, certains territoires de la République - cités dans le livre - ont-ils échappé à la désindustrialisation? Ils vivaient et vivent toujours dans le même cadre législatif que les autres non ? Alors pourquoi ? Voilà une réponse qui m’intéresserait bigrement.
Mais le grand mérite de ce livre est de finir sur une note d’espoir, une note d’ailleurs largement imprégnée de l’action de la BPI depuis 10 ans: la France serait enfin sur de bons « rails industriels », à preuve, cette multitude de projets soutenus et qui sont en voie d’éclosion sur le territoire national. J’en accepte volontiers l’augure…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire