jeudi 28 juin 2018


Si vous passez par Paris, allez faire un tour à l'Institut Giacometti récemment inauguré rue Victor Schoelcher dans le 14ème arrondissement et voyez l'exposition " L'atelier d'Alberto Giacometti vu par Jean Genet »!. Cet institut situé dans un magnifique  mais petit et hôtel particlier Art Deco tarabiscoté, est aussi un centre de recherche et de documentation sur l'œuvre du célèbre sculpteur et il est si petit qu'il  faut réserver et prendre ses billets à l'avance car 40 personnes maximum peuvent y coexister..
Cette expo est fort intéressante, d'abord parce qu'il y a plusieurs vidéos de Giacometti où il parle avec passion de son art et qu'on le voit sculpter, que l'on peut observer ses doigts malaxer la matière, mais aussi parce que son amitié avec Jean Genet est exposée à travers un certain nombre d'échanges de courriers  manuscrits assez passionnants. À voir.

Si vous voulez aller voir le nouveau film de Gilles Lellouche " Le grand bain" comme je l'ai vu en avant-première, alléché que vous pourriez être par une distribution exceptionnelle ( de Mathieu Amalric à Guillaume Canet ou BENOIT Poelvoorde,de Jean-Luc  Anglade à Félix Moatti, de Virginie Efira à Leïla Behkti ...il faut dire que celle-ci en impose) ne vous attendez pas à voir un chef d'œuvre. C'est drôle et sympa, parfois même un peu émouvant, mais l'histoire est tellement invraisemblable ( six hommes plutôt abîmés par la vie se retrouvent dans une piscine et décident de participer aux championnats du monde de natation synchronisée...masculine bien sûr !)  qu'on a quand même beaucoup de mal à s'y accrocher....

lundi 25 juin 2018


Lu " Heurs et malheurs de l'autorité " de Henri Madelin, sous forme d'entretien avec Yohan Picquart aux éditions Lessius.



Henri Madelin est un jésuite, il fut même "provincial" des jésuites français c'est-à- dire à la fois leur chef et leur autorité de référence, politologue et écrivain. Il représente aujourd'hui l'Office catholique d'information et d'initiative pour l'Europe au Parlement de Strasbourg. Henri Madelin a été mon prof à Sciences Po et j'avais noué une belle relation intellectuelle avec lui avant de le perdre de vue. Je compte d'ailleurs profiter de cette lecture pour renouer des liens précieux pour l'athée que je suis. Il livre ici un ouvrage au caractère autobiographique centré autour de la question de l'autorité, celle qui se perd chez les parents comme chez les enseignants, celle qui devient rare chez les politiques quand elle est naturelle, celle qu'il ne faut pas confondre avec l'autoritarisme, celle des personnes qui comptent vraiment parce qu'elles "font autorité", celle qui ne se décrète pas et qu'aucune école ne peut enseigner. C'est sérieux et grave et pas "people" pour deux sous, tout comme l'auteur.

Lu encore " Parlez-vous cerveau ?" de Lionel et Karine Naccache aux éditions Odile Jacob, encore une transcription de chroniques radiophoniques  tenues par l'auteur sur France Inter l'été dernier. 


Je connais un peu Lionel Naccache, neurologue, Professeur à La Pitié Salpêtrière et chercheur à l'ICM, l'institut du cerveau dont je suis membre fondateur et administrateur. Mon petit " jardin secret " en dehors de la politique auquel je consacre de plus en plus de temps maintenant que la politique m'en laisse beaucoup. Il a tenu à écrire ce livre de vulgarisation avec son épouse qui n'est pas neurologue mais romancière, histoire d'être sûr d'être compris et convaincant. Et c'est assez réussi , permettant d'avoir un point assez exhaustif des progrès de la connaissance sur notre cerveau, cet organe de 100 milliards de neurones sur lequel on dit un peu tout et n'importe quoi. Très intéressant.

Lu toujours " Le lambeau" de Philippe LANÇON aux éditions Gallimard. 


Formidable livre d'une sensibilité exceptionnelle et d'une véracité bouleversante. L'auteur est journaliste à Libération et à Charlie Hebdo, mais il est aussi écrivain et cela se sent tant il aime l'écriture et le choix des mots. Le 7 janvier 2015, il était dans la salle de conférence de Charlie quand les deux terroristes djihadistes ont surgi et provoqué le carnage que l'on sait . Au milieu de tous ses compagnons morts, Philippe Lançon fut un des rares survivants. Rescapé miraculeux mais salement amoché de plusieurs blessures par balle aux bras et, surtout au visage, le bas de celui-ci, la mâchoire inférieure, véritablement explosé et béant. Commençait alors pour lui, en même temps que le deuil et la gestion d'un choc psychologique insoutenable, une longue et lente reconstruction faite de dix-sept opérations dont de nombreuses greffes, les longs séjours à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière d'abord, des Invalides ensuite. C'est tout cela que l'auteur raconte, depuis ce qu'était sa vie avant le drame, les jours et les heures qui l'ont précédé, le moment de l'attentat et sa vie à partir de là. C'est raconté avec une grande pudeur, une humanité touchante, une sensibilité extrême. Ce livre est, de facto, un hymne mérité à la gloire des personnels hospitaliers, chirurgiens, internes, infirmières et aides-soignantes, psychologues et kinésithérapeutes, et un hommage plein de respect à leur dévouement et leur efficacité. C'est une autobiographie d'une très brûlante actualité et ça fait un grand livre .

J'ai lu aussi, dans cette période de grande lecture, " Faire mouche" de Vincent Almendros aux Éditions de Minuit. 

Ou comment faire de l'ambiguïté une vertu littéraire : un jeune homme retourne dans son Auvergne natale, où il n'est pas retourné depuis bien longtemps bien que sa mère y vive, pour le mariage de sa cousine. Curiosité : on ne sait pas pourquoi, il y revient sans sa femme mais avec une amie qu'il fait passer ... pour sa femme ! Pas grave puisque personne ne connaît cette dernière par ici. Alors on découvre une atmosphère lourde et oppressante, beaucoup d'arrière-pensées et de non-dits, de sous-entendus et de soupçons, dans une drôle de famille de la France rurale profonde. Sauf que...sauf que le problème, comme on dit, n'est pas là. Le problème, on ne le découvre qu'à la dernière ligne du livre et ça donne un résultat curieux. Je sais que certains raffolent de cette littérature-la. Elle me laisse plus perplexe. 

Et puis j'ai lu aussi " La vie secrète des arbres" de Peter Wohlleben, publiée un aux éditions " les Arènes" , le fameux best-seller traduit en trente-deux langues de ce forestier allemand.  

Comment s'organise la société des arbres, ces végétaux qui n'ont pas de cerveau comme les hommes ou les animaux, mais qui n'en sont pas moins des êtres vivants. Et qui, comme dans les familles, aident leurs enfants à  grandir - mais pas trop !..- , comme dans les sociétés solidaires, aident leurs congénères  voisins et malades à se nourrir, et inventent des stratégies sophistiquées pour se défendre contre les agressions animales ou parasitaires. C'est assez passionnant même si, parfois, cela verse dans le scientifique moins pédagogique. Et cela donne encore plus envie de se balader en forêt avec toujours plus d'attention à la vie secrète qui s'y niche.

Lu aussi : " Un été avec Homère" de Sylvain Tesson paru aux Éditions des Équateurs.
Ce livre est la transcription d'une série d'émissions diffusées à l'été 2017 sur France Inter ce qui explique son caractère plutôt décousu lié à cette juxtaposition de chroniques de deux ou trois pages. Mais c'est Homère et son héros Ulysse, c'est l'Iliade et l'Odyssée, c'est la Méditerranée et la Grèce, c'est une invitation au voyage et à la méditation. Et, à titre personnel, ça nourrit utilement un travail que j'ai entrepris sur la Mare Nostrum qui pourrait bien faire l'objet d'un livre prochain...

Lu toujours : " la petite fille sur la banquise" d' Adélaïde BON aux éditions Grasset.


J'avais vu cette jeune auteure à la télévision, dans la passionnante émission de Francois Busnel, "La grande librairie" et elle m'avait particulièrement ému. Je m'étais donc promis de lire son livre qui est un livre fort au sens pur du terme, puisque c'est un récit autobiographique relatant le viol qu'elle a subi à l'âge de 9 ans dans l'escalier de l'immeuble de ses parents , et les conséquences épouvantablement douloureuses que ce tragique événement a eu sur sa vie, son équilibre, sa psychologie. C'est un livre fort parce que la sensibilité y est extrême, que les mots sont justes et souvent bouleversants, mais aussi parce que l'auteure prend bien garde à restituer son drame personnel dans un contexte plus large, celui des violences faites aux enfants et aux femmes, et à témoigner pour toutes leurs victimes. Et puis, cette interpellation sous forme d'un cri de colère : comment appeler ces criminels des "pédophiles" comme si ils aimaient vraiment alors qu'ils ne sont que violence et barbarie ? Ce sont des "pédocriminels" , point.
Enfin, pour clore cette période de grande lecture, j'ai lu "le suspendu de Conakry" de Jean-Christophe Ruffin, paru chez Flammarion.
Une sorte de roman policier qui se passe à Conakry, dans la Guinée contemporaine, où l'on retrouve un navigateur français assassiné et suspendu au mat de son voilier dans la marina. Un drôle de fonctionnaire du consulat français, d'origine roumaine et mis au placard par sa hiérarchie, mène l'enquête. Bon. Ça se lit facilement puisque c'est un polar mais à part le personnage atypique de ce sieur Aurel, l'intérêt du livre n'est pas majeur.

dimanche 3 juin 2018

Je déjeune avec Haïm KORSIA, le grand rabbin de France, que je connais et apprécie depuis longtemps.

Je me souviens avoir visité Auschwitz avec lui : dans une cérémonie improvisée dans le camp à la nuit tombante, nous avions allumé quelques chandelles et il m'avait demandé d'en allumer une " à la laïcité"....Nous échangeons en confiance sur divers sujets de ce que j'appellerais " l'actualité de la République " et je l'interroge : 

-dans tes interventions publiques, utilises-tu l'expression "communauté juive" ?
Jamais de la vie,me répond-il catégoriquement.
Et pourquoi donc ? 
-Parce que pour moi, il n'y a qu'une communauté, c'est la communauté nationale. 
Comme quoi on peut exercer de Hautes fonctions religieuses et avoir une vraie culture républicaine et laïque...

Le 12 mai dernier, la dénommée Maryam Pougetoux, Présidente du Syndicat d'étudiants UNEF de l'Université de Paris IV, intervenait sur M6 pour commenter le blocage de certaines universités.

Jusque là, pas de problème, on est dans l'habituel et le fonctionnel, presque l'anecdotique..
Sauf que, pour ce faire, cette chère responsable syndicale portait un hijab, ce voile noir qui entoure le visage chez certaines femmes musulmanes. Polémique publique. Polémique alimentée par les propos ingénus ( faussement ?) de l'intéressée, affirmant que ce port n'était pas un message politique, mais juste l'expression de sa foi personnelle....
Et, évidemment, comme dans toute polémique, on a entendu toutes les bêtises possibles, de bonne ou de mauvaise foi.
Bêtise de la Droite extrême et de l'extrême-droite qui, dès qu'elles aperçoivent un voile, crient à l'envahissement et, une fois de plus, une fois encore, ne conçoivent la laïcité républicaine que comme une arme -qu'elle n'est pas !- pour combattre non pas les religions, mais une religion et une seule, l'Islam. Ces faux-laïcs, si aveugles quand il s'agit des atteintes à la laïcité par les religions chrétiennes, si complices même quand il faut porter des coups à l'école de la République, ne seront jamais de vrais laïcs.
Bêtise plus sournoise de tel responsable de l'Observatoire de la Laïcité qui, à force de l'observer, ne sait plus -s'il a jamais su!- ce qu'elle est dans sa globalité et sa richesse majeure, et qui nous explique doctement, long raisonnement juridique à l'appui, qu'elle a tout à fait le droit de porter le voile. " Elle a le droit !"... la belle affaire. Bien sûr qu'elle a le droit de porter le voile mais la question n'est pas là. Dans ces débats publics un peu polémiques, il faut toujours qu'il y en ait un pour prendre les autres pour des imbéciles et caricaturer leurs positions pour mieux les démolir. Personne d'intelligent et de sensé n'a mis en cause le droit de cette jeune femme de porter un voile, la question n'est pas là . La question est évidemment politique, elle n'est pas juridique. Et, dans ce genre de cas, réduire la laïcité à un corpus juridique n' est pas seulement inepte, c'est coupable. 
Bêtise de tous les bien-pensants de la presse et d'une grande partie de la Gauche qui, devant l'expression de l'émotion provoquée par cette image ont évidemment crié à l'islamophobie, ce refuge trop facile de tous les communautarismes et de tous les abandons.
Eh bien non !
On a bien le droit de s'émouvoir que cette jeune femme porte le voile quand elle s'exprime au nom de son Syndicat, non pas parce qu'elle n'aurait pas le droit d'exprimer une conviction personnelle, mais bien parce qu'elle s'exprime dans un débat public, au nom d'une organisation qui se disait laïque et républicaine. Je voudrais bien entendre les cris d'orfraie de tous ces faux-laïcs si le responsable d'un Syndicat étudiant de Droite s'exprimait à la télévision avec une grosse croix chrétienne autour du cou !
J'essaye de garder une position mesurée sur ces sujets si sensibles et, par exemple, je ne suis pas favorable à l'extension à l'université de l'interdiction des signes religieux valable dans les établissements scolaires. D'abord parce que les étudiants sont majeurs et que la République n'a plus à protéger leurs consciences. Ensuite parce que la tradition des franchises universitaires en fait des territoires de liberté très particuliers. Mais à condition qu'on ne nous prenne pas pour des imbéciles et qu'on ne nous empêche pas, au nom de je ne sais quelle pensée d'abandon et de compromission, de voir dans ces actes-là des actes politiques et de les aborder politiquement. Ca n'est pas parce que le port du voile est autorisé dans l'espace public et l'université que, pour autant, mon devoir de citoyen m'interdirait de m'interroger sur la signification politique de ce voile et d'y voir, quoi qu'on en dise, bien plus que l'expression individuelle et privée d'une foi. Derrière la sempiternelle rengaine selon laquelle " il y a aussi des femmes musulmanes qui portent le voile librement et de leur plein gré" , ce qui est sans doute vrai, on a bien le droit aussi de rappeler que des millions de femmes sont mortes à travers le monde pour avoir le droit... de ne pas le porter !
Et , avec l'universalisme  et le combat pour l'égalité femmes-hommes au cœur, on a bien le droit de poser la question : combien d'hommes portent le voile, librement ou pas ?