mardi 30 juin 2020

J’ai relu « La Peste » d’Albert Camus...

...pour la troisième ou quatrième fois ce week-end, et je l’ai redécouverte avec une délectation toute particulière à la fin de cette crise sanitaire du Covid qui nous occupe tant les esprits depuis quatre mois.
Je sais bien que comparaison n’est pas raison et que «autres temps, autres mœurs », ou bien que la peste n’est pas le Covid et que Oran, dans les années 40, n’a pas grand chose à voir avec la France d’aujourd’hui. Mais enfin... tout y est !
Depuis le dévouement exemplaire du personnel médical, en la personne admirable d’humilité et d’abnégation du bon docteur Rieux, jusqu’à l’incertitude de la science, l’attente du vaccin, les rumeurs, les polémiques, le confinement, les quarantaines, le civisme des uns, l’incivisme des autres...
En passant par la nécessité de se resituer, toujours, dans l’histoire et, en particulier, dans celle des grandes pandémies : à Oran, alors, on se réfère à la peste de Marseille qui, en 1720, avait fait quarante mille victimes, la moitié de la population de la ville.
Et puis, parce que c’est Camus, ces beaux raisonnements sur la mort, le bien et le mal, ( la mort d’un enfant, le mal absolu), cette spiritualité sans Dieu qui côtoie celle du prêtre bien embarrassé pour expliquer la volonté de Dieu justement...
Oui, il faut relire « La Peste » et découvrir non pas qu’on n’a rien découvert cette année avec cette pandémie, mais au moins que d’autres, avant nous, ont vécu des choses comparables, sont passés par les mêmes chemins, les mêmes sentiments.
Oui, il faut relire « La Peste » et s’ébahir de découvrir que ce beau roman écrit il y a près de 70 ans, aurait pu être écrit cette année .

mardi 23 juin 2020

Lu « Virus ennemi » de Jean-Noël JEANNENEY paru chez Gallimard dans la collection « Tracts ».


Un essai d’une petite soixantaine de pages pour exposer le premier regard de l’historien sur la crise du coronavirus qui vient de frapper - et frappe encore- le monde et notre pays en particulier. 
L’auteur a été marqué par le «nous sommes en guerre » du Président de la République et, aussitôt, il trace les parallèles avec d’autres situations de guerre dans notre histoire pour y trouver similitudes et dissemblances. Avec la grande guerre pour nous apprendre que le « ils ont des droits sur nous » du Président à propos des personnels de santé est une formule empruntée à Clémenceau ou bien pour y retrouver des traces de l’Union nationale ou du patriotisme économique. Avec la seconde guerre mondiale puisque la référence aux « jours heureux » est un autre emprunt du Président, au Conseil National de la Résistance celui-là. Pour tout dire, j’ai vu dans ce passage une critique à peine voilée du macronisme et de sa volonté d’unir la gauche et la droite dans le gouvernement du pays qui ne pouvait qu’échouer sauf à reprendre ce flambeau idéologique du CNR ce qui, on en conviendra, fut loin d’être le cas depuis trois ans.
Et ce petit ouvrage, truffé de références culturelles qui n’étonnent pas de la part de cet érudit, remarquablement écrit d’une écriture si classique qu’elle peut paraître parfois délicieusement précieuse, se termine par une ode enthousiaste à l’Etat et aux services publics qui, par les temps qui courent, n’est pas si désagréable à lire.

samedi 20 juin 2020

Quelques commentaires sur l’actualité politique en ce mi-juin 2020 : 


En commençant par ce débat à bien des égards ahurissant sur le «déboulonnage des statues ». Les sectaires fascisants ne se contentent plus de vouloir nous interdire de lire les livres de grands écrivains qui ont - fût-ce gravement - pêché par racisme ou de visionner les films de grands cinéastes qui auraient fauté auprès de jeunes femmes, ils ne veulent pas seulement nous empêcher de distinguer les œuvres des auteurs, ils veulent aussi réécrire l’histoire de France. Et en gommer tout ce qui dépasse en termes de bien-pensance orthodoxe, n’en retenir que les personnages « purs et parfaits» incritiquables en tous points...seulement voilà, la nature humaine est passée par là et l’ambition est non seulement démesurée, elle est aussi totalitaire ( déboulonner les statues est l’apanage de régimes peu recommandables) ou bien alors tartuffière («prenez ce mouchoir et cachez ce sein que je ne saurais voir »...).
De voir l’ancien Premier Ministre Jean-Marc Ayrault prêter son concours à cette entreprise a quelque chose de navrant : il veut débaptiser la salle Colbert de l’ Assemblée Nationale sous prétexte que ce monsieur Colbert ne fut pas seulement l’inventeur d’un État moderne mais aussi l’auteur d’un « code noir » beaucoup plus contestable. Mais Ayrault a siégé dans cette salle pendant trente ans ou presque ( je le sais j’y étais...) sans que cela l’émeuve le moins du monde. Curieuse attitude. Comme il a été maire de Nantes pendant vingt ans qu’il n’oublie pas de débaptiser aussi la rue Colbert de cette ville ! Et puis, là je vais être provocateur, comme il préside désormais la Fondation Jean Jaurès, il faut qu’il la débaptise illico ou bien on devra lui rappeler que cet immense socialiste qui fut et reste le maître, la référence de beaucoup d’entre nous, a aussi beaucoup tardé à prendre partie dans l’affaire Dreyfus, tenant des propos bien peu recommandables sur la « race juive et sa fièvre du gain »...
Où va-t-on ? Où cela s’arrêtera-t-il ? Et que cherche-t-on en la circonstance ? Oubliera-t-on collectivement que l’identité française est complexe, qu’elle est le fruit d’une histoire faite d’ombres et de lumières, que ses héros n’étaient pas tous des hommes ou des femmes parfaits et que juger le passé avec nos connaissances d’aujourd’hui est un exercice qui entraîne bien souvent vers la malhonnêteté intellectuelle ?
Et puisque j’évoque un ancien Premier Ministre, je veux aggraver mon cas en en évoquant un autre : Manuel Valls accorde cette semaine un entretien très remarquable à l’hebdo « Valeurs actuelles » que j’ai lu attentivement. Bien sûr on peut s’interroger sur le fait qu’il accorde cet entretien à cet hebdo si conservateur voire réactionnaire et parfois nauséabond . Ne cherchez pas, j’ai la réponse : Valls est influencé depuis longtemps par certains communicants qui ne jurent que par la fameuse théorie de la « triangulation» selon laquelle il faut aller dans l’autre camp politique chasser sur les terres idéologiques de ses adversaires. Quitte à paraître provocateur. C’est réussi et c’est très contestable sur la forme. Mais sur le fond, il n’y a rien à dire, ni sur l’analyse des violences policières ou du racisme dans la police qui n’a rien à voir avec ce qui se passe aux USA, ni sur le jeu pervers, néfaste, que jouent les indigénistes et post-coloniaux qui, en jetant de l’huile sur ce feu du racisme latent- qu’il ne faut surtout pas minimiser et, encore moins, nier-, font le jeu objectif de l’extrême droite. Comme toujours : les extrêmes se font la courte échelle...
Alors, Valls emploie cette expression qui a fait mouche dans les médias : « la lutte des classes disparaît au profit de la guerre entre races ». Aussitôt le Premier Secrétaire du PS réagit pour dénoncer ce « déviationnisme » idéologique insupportable et condamner Valls avec vigueur. Voilà bien l’un des maux dont souffre la Gauche et qui l’empêchent de se reconstruire : quand survient le débat d’idées, ses dirigeants se précipitent dans le positionnement politicien plutôt que de réfléchir....Car Valls, avec cette formule, n’a nullement émis un souhait ou formulé un projet politique ! Il dénonce, au contraire, ce risque majeur - voir disparaître la réalité sociale au profit d’une guerre des races artificiellement organisée - que veulent nous imposer ces groupuscules et il a raison de dire qu’ils ont contaminé une grande partie de la Gauche. Simplement, il faut commencer par lire les textes avant de les critiquer. De la difficulté du débat d’idées en démocratie ....
Tiens justement, mardi dernier je déjeunais dans un restaurant parisien de la place des Invalides où le même Premier secrétaire du PS arriva tardivement avec un ancien Ministre de Hollande, Patrick Kanner. Petit dialogue improvisé, je suis invité à livrer mon analyse de la situation et je délivre trois messages :
1. La Gauche ne se reconstruira que par le fond des idées et des projets. Sans cela toute stratégie d’alliance porte en elle de grands risques de fragilité. Inventer une social-démocratie écologique ou une social- écologie, oui. Mais pas n’importe quelle écologie et, donc, pas n’importe quels écologistes . Car il en est, parmi eux qui sont de vrais conservateurs, ceux qui pensent que la nature est bonne par nature et l’homme mauvais, dans la lignée de cette école de pensée très réactionnaire au 19 ème siècle.
2. Les socialistes doivent retrouver la République. Ils ont été républicains avant d’être socialistes et ils se sont peut-être, sans doute perdus en oubliant d’être républicains. En octroyant des droits, c’est leur culture et c’est respectable, tout en oubliant les devoirs. En cultivant les différences, qu’il faut respecter bien sûr, mais en oubliant le commun, ce qui nous unit. Et quand j’entends un responsable du PS interpeller violemment Valls justement en proclamant que les socialistes n’auraient jamais manqué à la République, je me pince. Il a dû venir au socialisme bien récemment...
3. Enfin, il nous faut réfléchir à ce qui provoque la déception voire la désillusion quand nous gouvernons. Le décalage entre nos promesses et ce que nous réalisons effectivement quand nous sommes au pouvoir, assurément. Mais est-ce seulement parce que nous trahissons par nature ? N’est-ce pas aussi parce que nous promettons trop et mal ? Vous souvenez- vous d’un certain discours du Bourget et de ce « mon ennemi c’est la finance»? Ses mots à peine prononcés n’entrainaient- ils pas la désillusion assurée ?
J’ai quitté le Premier Secrétaire du Parti Socialiste et Patrick Kanner qui n’étaient là que pour parler des sénatoriales, sujet bien plus important et, sortant sur la place des Invalides, me suis retrouvé au milieu de la manifestation de défense du service public hospitalier. Comme j’allais visiter un ami hospitalisé de l’autre côté de la place, je me dis que je vais traverser celle-ci, ce qui sera ma manière à moi de dire ma solidarité aux personnels soignants. Tout est calme, détendu. Soudain, deux grenades lacrymogènes explosent à mes pieds. Je peste contre les forces de l’ordre qui, sans doute, ont « dégainé » trop tôt . Mais tout aussitôt je vois surgir de la foule quelques dizaines de personnages casqués, cagoulés, tout de noir vêtus qui commencent à caillasser consciencieusement lesdites forces de l’ordre. Les black-blocs, là, sous mes yeux. Bien sûr, je m’éloigne en pressant le pas mais ma pensée n’est plus la même : peut-être ces forces de l’ordre ont-elles réagi à une provocation de ces casseurs qui se contrefoutent de la défense de l’hôpital public et ne viennent là que pour casser du flic ?
Demain, il y aura sûrement un débat sur les violences policières place des Invalides ce jour-là....

vendredi 19 juin 2020

Lu « Il faut changer l’eau des fleurs » de Valérie Perrin dans le Livre de poche.


Violette Toussaint, fille de l’Assistance Publique, sensible et intelligente mais dépourvue de la moindre éducation et de tout bagage culturel initial, trouve un équilibre fragile mais réel en tombant amoureuse avant ses dix-huit ans d’un garçon beau mais maladivement volage avec lequel elle aura une petite fille, Léonine, et en obtenant avec lui des boulots de gardiennage dotés de logements de fonction : d’abord comme garde-barrière, du temps où tous les passages à niveau de la SNCF n’étaient pas automatisés, puis comme gardiens de cimetière dans une petite ville de Bourgogne. La douceur, la gentillesse, la générosité, bref l’humanité de Violette vont rythmer une vie sociale limitée certes mais pleine de douceur, tant avec les croque-morts qu’avec le curé ou les familles des défunts qu’elle accueille chez elle avec chaleur et douceur, jusqu’au drame : la mort accidentelle de leur fille en colonie de vacances dans un incendie. Drame et naufrage pour les parents qui se séparent. Alors, dans un parallèle captivant, le père va sombrer peu à peu dans une fuite en avant sans repères tandis que Violette, grâce à ses qualités humaines hors pair, et deux ou trois rencontres très riches va lentement pouvoir se reconstruire. 
Ce livre est surprenant, notamment par son décor - un cimetière et sa maison de gardien...- , le caractère abrupt des personnages, et même par son humour inattendu. Mais c’est un livre bourré de tendresse. Et ça en fait assurément un très beau livre.

samedi 13 juin 2020

Lu « Croquis de mémoire » de Jean Cau aux éditions de La Table Ronde.


Jean Cau, disparu en 1993, a été longtemps le secrétaire particulier de Jean-Paul Sartre avant de le quitter pour vivre sa vie d’ écrivain, obtenir le prix Goncourt en 1961 pour « La pitié de Dieu », et devenir chroniqueur au Figaro où sa plume magnifique se retourna avec acharnement contre la Gauche qu’il avait quittée.
Cet homme avait un grand talent d'écriture, un sens inné de la formule, une belle culture et avait traversé le siècle en rencontrant de Gaulle, Pompidou ( sa vraie passion politique...), Giscard, ( sa détestation...traitée au vitriol !), Mitterrand mais aussi Sartre, bien sûr, Malraux ( une autre de ses sévérités...) Camus, Lacan, Hemingway ou Orson Welles. Et ce sont les portraits de toutes ces personnalités rencontrées qu’il livre ici.
C’est franchement savoureux et bourré d’anecdotes formidablement édifiantes.

Rendons à César ...



Jeudi 11 juin dernier  sur France Inter, un reportage évoquait l’inauguration, ces jours-ci, d’un « Village Alzheimer » dans les Landes, une réalisation unique en France, créée sur un modèle venu des Pays-Bas, lieu de vie étudié et adapté spécialement pour accueillir dans les meilleures conditions les personnes atteintes par cette terrible maladie. Un modèle du genre.
Seulement le reportage ne disait rien de celui à qui l’on doit cette réalisation parce que, Président du Conseil Départemental des Landes il en avait pris l’initiative et lancé le chantier avant de disparaître pendant les travaux : Henri EMMANUELLI. Je sais que l’homme était un tribun engagé, enflammé, passionné, excessif parfois dans le débat public mais c’est surtout parce qu’il avait des convictions. Ce que l’on sait moins, c’est que c’était un gestionnaire remarquable de sa collectivité, un amoureux passionné de son territoire et un visionnaire avéré. Cette réalisation en est une preuve spectaculaire qu’il nous laisse en héritage.

Rendons à Henri EMMANUELLI ce qui lui appartient et que la radio n’a pas révélé...

lundi 8 juin 2020

« L’affaire » George Floyd...


« L’affaire » George Floyd...ce noir américain « assassiné» -j’emploie évidemment le mot à dessein- par un policier blanc le tenant à terre et enfonçant son genou dans son cou pendant qu’il criait « je ne peux plus respirer », sous l’œil impavide d’autres policiers, le tout filmé presqu’en direct par un vidéo amateur et retransmis grâce aux réseaux sociaux dans toutes les télés du monde. Réseaux sociaux capables du pire si souvent et là, du meilleur : transparence sur une forme de barbarie.
Transparence brutale sur une évidence : le racisme n’est pas mort. Pas plus dans ce que certains appellent encore «la plus grande démocratie du monde» que dans nos pays européens qui se disent patries des droits de l’homme.
Il y a encore du boulot. Beaucoup de boulot.
Alors tout commence par le sentiment spontané : la révolte. Oui, il faut encore se révolter. Sinon, on se résigne à la barbarie. Non, révolte.
Ça se poursuit par un cri, le cri de révolte et de colère.
J’ai apprécié ces jours-ci les cris simples et spontanés de sportifs noirs ou métis, parce qu’il n’y a pas que les gens de culture qui ont droit à l’expression publique, comme Bastareaud le rugbyman qui refuse d’opposer noirs et blancs mais société et racistes, ou Yannick Noah, jeune soixantenaire plein de joie de vivre et, désormais, de sagesse, qui s’étonne gentiment du silence des sportifs blancs...
Et puis il y a le fondement philosophique de cette révolte et de ce cri de colère qui doit trouver son expression politique, bien sûr.
Comment ne pas penser aujourd’hui encore et plus que jamais à l’UNIVERSALISME, né au 18ème siècle, siècle des Lumières qui a fait des hommes des êtres de raison recherchant le consentement universel, des parties d’un tout, la societé et non des individus indépendants les uns des autres.
Des hommes qui, selon la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui a été intégrée à notre constitution en 1971, « naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».
Oui, l’égalité plutôt que la distinction selon des critères physiques.
Oui l’utilité commune plutôt que la couleur de peau.
Oui, l’universalisme, qui traduit l’existence d’une unité du genre humain bien au-delà de la diversité culturelle de l’humanité.
Et l’universalisme républicain, héritage de la philosophie des Lumières qui a armé, idéologiquement, le combat contre l’ancien régime fait de privilèges, particularismes et inégalités pour construire un état de droit destiné à tous les citoyens, la République.
L’universalisme républicain traduit dans tant de lois de la IIIème république et qui put renaître de ses cendres avec le programme du Conseil National de la Résistance.
C’est tout cela qui est en cause là, tout cela qu’il faut défendre.
Par la révolte, le cri, la mobilisation, la vigilance.