mercredi 30 octobre 2019

Lu "Une minute quarante neuf secondes" de Riss, paru chez Actes Sud.


Riss, dessinateur, est le Directeur de Charlie Hebdo. Il était présent dans la salle de rédaction du journal le 7 janvier 2015 lorsque l'attentat meurtrier y a été commis. 
Au milieu de tous ses amis décédés il fit partie des rares survivants, grièvement blessé à l'épaule. C'est cela et la suite qu'il raconte dans ce "récit". Mais c'est un récit très différent du " Le Lambeau" , le formidable livre de Philippe Lançon, lui aussi présent, grièvement blessé et survivant : le récit de Lançon est un très beau texte littéraire, sensible, émouvant, construit autour de la reconstruction physique, psychologique, sociale du traumatisé; celui de Riss est d'abord l'histoire de Charlie, fait de portraits vivants de ses acteurs disparus, et un gros coup de gueule politique, une dénonciation diablement efficace de tous les lâches qui, après l'attentat, disaient " je suis Charlie ...mais, quand même, ils exagéraient ", ou bien "je suis pour la liberté d'expression ....mais elle a des limites" ou bien encore "ils l'ont bien cherché". Il y a, d'ailleurs, au milieu du livre, un chapitre extrêmement bien senti développant une analyse des différents groupes politico-philosophiques suivant qu'ils aient été "Charlie" ou pas.
Un livre coup de poing très salutaire .
J'étais Charlie et je le reste avec ce livre.

mardi 22 octobre 2019

Lu " les quatre coins du cœur" de Françoise Sagan, paru chez Plon.


J'avais envie de retrouver les ambiances de "Bonjour tristesse" ou " Aimez-vous Brahms" de l'auteure que j'ai eu la chance de rencontrer deux fois : la première quand j'avais dix-sept ans et qu'elle m'avait pris en stop dans sa voiture de sport au tunnel de Saint-Cloud pour plus de deux heures de route (eh oui...), et la deuxième lors d'un déjeuner dans le Lot dans les années quatre-vingt avec François Mitterrand et Maurice Faure où nous avions beaucoup, beaucoup ri. 
 
Je me suis donc précipité sur cet "inachevé- inédit, publié par son fils qui en signe la préface pour s'en expliquer. Sans doute aurait-il mieux fait de présenter ses excuses ! C'est sans intérêt (l'histoire d'un jeune homme qui a un grave accident de la route dans son cabriolet - ça, c'est très "saganien"! - et qui, après un long coma retrouve la vie mais qui, à l'issue de plusieurs séjours dans des établissements psychiatriques, est considéré comme " fou" par toute sa famille y compris sa femme ; son père, un riche industriel de Touraine, l'emmène dans une maison close pour le désinhiber, et cela marche bien mieux qu'il ne le croit). 

C'est mal écrit et cela frise le coup d'édition à la limite de l'honnêteté.
Mais bon, je suis allé au bout....ne vous croyez surtout pas obligé !

vendredi 18 octobre 2019

Le débat qui a envahi les médias ces derniers jours après l'incident provoqué au Conseil Régional Bourgogne-Franche-Comté a quelque chose d'irrationnel, démesuré, ahurissant, en même temps qu'il est très révélateur de l'état de la démocratie et de la vie politique française.


Commençons par dire que l'attitude du Président en ces moments a eu quelque chose de déroutant : quoi, il y a une semaine à peine il tenait un discours, martial s'il en est, contre l'islamisme radical et il n'avait ni prévu la suite ni préparé ses troupes au risque de les voir s'écharper sur la place publique comme aux pires moments des frondeurs sous HOLLANDE ?! Cela laisse un peu pantois....
Prenons-donc cette affaire par son commencement : un élu du Rassemblement National se livre, en séance publique du Conseil Régional de Bourgogne-Franche-Comté, à une provocation de la pire espèce à l'égard d'une femme voilée assise dans les rangs du public où elle accompagne un groupe scolaire dans lequel se trouve son fils . Tollé...
Tollé et relance, dans les pires conditions, du débat sur le fameux dossier des "accompagnants" des sorties scolaires et sur leur "neutralité " ...
Est-il nécessaire de dire ici la condamnation ferme et sévère de l'attitude et des propos de cet élu ? Cela tombe sous le sens de tout républicain digne de ce nom.
Mais essayons de faire la pédagogie de cet incident, de cette provocation : elle est la preuve formelle, spectaculaire que le RN n'est pas un Parti laïque, quoiqu'il en dise, quoiqu'il s'en revendique, puisqu'avec ce différentialisme d'exclusion, il tourne le dos à l'universalisme républicain. C'est un Parti raciste qui ne peut en aucun cas être qualifié de laïque : sa soi-disant laïcité ne lui sert qu'à combattre une religion et une seule pour défendre une conception de l'identité nationale en laquelle la République ne peut se reconnaître. Une nouvelle preuve est faite.
Poursuivons l'étude de cas : la jeune mère de famille, "traumatisée" dit-elle, ce que l'on serait tout disposé à comprendre, va s'épancher dans les colonnes non pas de la presse locale ou nationale, mais sur le site du.... Comité Contre l'Islamophobie ! Un comité bien connu, proche des Frères musulmans, qui a inventé ce concept , " l'islamophobie", pour en faire un délit alors que ce n'est qu'un délit d'opinion, afin de "coaliser" les musulmans de France contre la République, en défendant la théorie selon laquelle la laïcité serait l'expression d'un "racisme d'Etat" . Et que dit cette femme dans ces colonnes-là ? Qu'elle ne fait pas confiance à la République.....quelle surprise ! Vous pourrez toujours lui expliquer que le RN, ce n'est pas la République, que cet élu idiot et politiquement pervers n'a rien de républicain, elle ne l'entendra pas puisque - on me permettra ce mot qui n'est qu'un mot - sa "religion " est faite . Deuxième partie de la démonstration.
Et nous avons ainsi sous les yeux une nouvelle et spectaculaire démonstration de l'existence de cette "tenaille identitaire" formée de deux pinces, celle de l'identité de la race pure d'une part, celle d'une identité inventée des "indigènes de la République" et des postcoloniaux d'autre part. Entre les deux, la République. Prisonnière et contrainte, malmenée par cette tenaille. Dit-elle la nécessité de respecter les différences et on l'accuse de communautarisme et de lâcheté. Dit-elle la nécessité de préserver notre commun, notre unité et on l'accuse de racisme assimilationniste.
Il faut bien comprendre la "sainte alliance " des deux pinces de cette tenaille : elles s'auto-alimentent l'une et l'autre, elles ont besoin l'une de l'autre.
L'une justifie l'autre. Oui, je l'affirme, le Rassemblement National et les complices de l'islamisme politique - volontaires ou par naïveté - sont des alliés objectifs, deux forces unies l'une et l'autre dans un combat commun contre la République et ses valeurs.
C'est pourquoi il faut que tous les citoyens républicains se dressent pour desserrer cet étau mortifère. Se dressent et tiennent un discours aussi ferme que serein pour rejeter ces deux extrêmes et pour affirmer que la République est universaliste, qu'elle rejette et combat toutes les formes de racisme et d'antisémitisme qui, soyons lucides, sont bien présents de part et d'autre de cet étau, et qu'elle est une terre de liberté, d'égalité notamment entre les hommes et les femmes et de fraternité.
Autant le dire, j'ai plutôt apprécié la mise au point du Premier Ministre à l'Assemblée cette semaine et, transformant - à peine !- sa formule, je dirais que les naïfs et les lâches me sidèrent et que les racistes m'effraient.

Reste la question précise d'où est partie le problème : faut-il légiférer sur les accompagnants de sorties scolaires afin d'interdire- soyons clairs- le port du voile pour les femmes qui y participent ? Sincèrement, je veux être très prudent car le vieux parlementaire que je fus sait très bien qu'on légifère trop et donc mal, et que légiférer dans l'émotion, ce que fit tant Sarkozy à si mauvais escient, est une très mauvaise manière de servir l'intérêt général.
Mais je ne veux pas fuir le débat et je prendrai pour cela deux exemples:
- il y a quelques années, c'était à Angers je crois, sur le passage de Christiane TAUBIRA, Ministre de la Justice, dans une manifestation contre le mariage pour tous, des enfants, tenus par la main par leurs parents tendaient des bananes en criant "c'est pour qui la banane ? C'est pour la guenon !". Les mères de ces enfants n'étaient pas voilées mais je ne veux pas que les enfants de la République soient accompagnés dans leurs sorties scolaires pas ce genre de personnages inqualifiables.
- ces derniers années aussi, une femme dont le fils, soldat de la République, a été assassiné par Mohamed Merah à Montauban, fait le tour de France des écoles pour prôner les valeurs de la République. Elle s'appelle Latifa Ibn ZIATEN et est voilée. Elle est digne d'accompagner des sorties scolaires des enfants de la République.
Pourquoi dis-je cela ? Parce que le problème n'est pas le voile, c'est le prosélytisme.
Je ne méconnais en rien que le voile peut être, est souvent, l'expression d'une domination dont sont victimes les femmes mais il ne faut pas tout mélanger : personne ne demande une législation pour les accompagnatrices de sorties scolaires au nom du féminisme .... non, le risque, le danger dont la République doit se prémunir en la circonstance, c'est bien le prosélytisme.
C'est lui qu'il faut empêcher pour préserver la neutralité du service public de l'éducation et, par là, protéger les consciences de nos enfants.

Alors je me souviens de mon ami Guy Georges, ancien instituteur et syndicaliste républicain s'il en fut, disparu hélas, qui me disait : " Jean, la sortie scolaire est un exercice pédagogique placé, comme le cours, sous la responsabilité du maître. C'est lui et lui seul qui doit l'imaginer, l'organiser, l'animer et en contrôler le déroulé pédagogique. Et, aussi, valider les accompagnateurs dignes, ou pas, d'y participer. C'est lui qui est donc le mieux apte à trancher ce problème."
Alors je réfléchis à une proposition pour le Ministre de l'Education.
Pourquoi ne rédigerait-il pas une circulaire aux enseignants de France pour leur rappeler cette responsabilité et insister, en particulier sur l'absolu nécessité d' empêcher tout prosélytisme des accompagnateurs lors des sorties scolaires ?
Cette circulaire serait inattaquable d'un point de vue juridique, elle.
Et je fais le pari qu'elle ne serait pas inutile.

Jean Glavany

mardi 15 octobre 2019

Au Sud et à l'Est de la Méditerranée soufflent des vents politiques qu'il faut suivre de très près et juger dans la durée :


- au Sud, en Tunisie, l'élection à la présidence de la République tunisienne de Kaïs Saïed, professeur de droit constitutionnel tout juste retraité, ne manque pas d'inquiéter : l'homme est un conservateur invétéré, partisan de la peine de mort, de la pénalisation de l'homosexualité, farouche opposant à l'égalité Hommes-Femmes dans la question de l'héritage ce qui n'a rien, on en conviendra, de réjouissant. D'autant moins réjouissant que cet hyper-conservatisme sociétal lui a valu, bien sûr, le soutien des islamistes d'Ennahdha pourtant en nette régression électorale mais qui s'offrent une victoire inespérée...par procuration.

L'autre pilier de l'inquiétude qu'il génère est ce qu'on peut qualifier sans crainte de "populisme" puisqu'il ne cesse de dénoncer la démocratie représentative comme mère de tous les maux de la Tunisie et qu'il n'a qu'un mot à la bouche, "le peuple". D'où un projet de décentralisation très poussée où l'on créerait des "Assemblées du peuple" un peu partout sans que l'on sache, par exemple, ce que deviendront les pouvoirs régaliens...
Mais, parce qu'il y a toujours un "mais", la vague qui l'a porté, près de 75% des voix, 90% des moins de 25 ans - attention aux jugements hâtifs : la jeunesse l'a massivement soutenu...- est telle qu'elle lui impose une sorte d'obligation de réussir . Et comme l'homme, à force de dénoncer les partis, n'en a pas créé un (y cèdera-t-il comme de Gaulle ?), et que les élections législatives ont commencé de se dérouler sans candidats estampillés par lui, il sera forcément contraint, pour rassembler, de passer des compromis.
Et puis cette vague s'est imposée à un autre populisme, celui des médias et de l'argent-roi, de la corruption et de la fraude auxquelles il a opposé une rigueur absolue, une austérité rébarbative, refusant par exemple de collecter des fonds pour sa campagne, histoire de ne pas se compromettre.
Je ne tranche pas : je ne sais pas ce qui était le mieux - ou le moins pire- de l'hyper-réactionnaire ou du corrompu-corrupteur mais au moins réjouissons-nous de l'élimination du second....
Enfin, n'oublions jamais le poids des femmes dans la société civile tunisienne, un des grands acquis du "Bourguibisme". Leur capacité de résistance et de mobilisation contre toute atteinte, notamment religieuse et intégriste, à leurs libertés fondamentales est exceptionnelle. Et parmi celles-là, il y en a une dont on ne parle pas et qui pourrait avoir un rôle essentiel : l'épouse du nouveau Président. Je ne la connais pas mais je l'observe : C'est une magistrate qui est peut-être croyante, je ne sais, mais qui ne porte pas le voile...et, je ne sais pas pourquoi, sans d'ailleurs que cela nous ramène à un débat d'actualité en France, si mal posé, si contradictoire et brouillon, j'y vois comme un signe d'espoir.

- À l'Est, ERDOGAN.... le Président turc sanctionné récemment par le suffrage universel à Istanbul mais qui sait , comme tous les dictateurs, faire jouer le nationalisme le plus élémentaire pour ressouder son peuple autour de lui. Erdogan qui, avec la complicité explicite de Trump, ce pitre qui ne trompe plus personne avec ses hésitations et ses contradictions, vient donc de lancer son armée, l'une des plus puissantes et des mieux équipées de l'OTAN, - mais au fait, comment lire l'utilité de l'OTAN en la circonstance ?- dans le Nord de la Syrie, à l'assaut des positions kurdes.
Erdogan est un maître-chanteur qui tenait déjà les européens, son couteau sous leur gorge, avec le chantage de l'immigration : " foutez-moi la paix ou bien j'ouvre en grand les portes des camps de réfugiés sur mon sol et des centaines de milliers d'entre eux vont déferler sur l'Europe "...
Ça ne lui suffit pas car ces gens là, comme le disait si bien Thucydide, "vont toujours au bout de leur pouvoir". Il veut donc un deuxième objet de chantage : " Foutez-moi la paix ou bien je relâche les milliers de djihadistes venus de vos pays - et qui n'aspirent qu'à y retourner -, qui étaient les prisonniers des kurdes et qui vont devenir les miens".
Et l'Europe est quasiment mutique. Le Conseil européen a mis des heures à trouver un compromis sur une condamnation bien molle. La France et l'Allemagne, il est vrai, sont allés un peu plus loin avec l'embargo sur les armes et une condamnation plus ferme. Mais faut-il être cruel ? La porte- parole du gouvernement a vendu la mèche en souhaitant que cette opération militaire "se termine au plus vite "... on ne saurait dire plus explicitement "terminez vite cette sale besogne et qu'on n'en parle plus". Sous-entendu" puisque vous nous dites qu'il ne s'agit que de créer une zone de sécurité le long de votre frontière, on veut bien vous croire mais faites-en vite la démonstration" !
Seulement les kurdes sont les kurdes. On ne dira jamais assez combien et avec quel courage ils se sont battus contre Daesch. En première ligne, les armes à la main, rue par rue, immeuble par immeuble, protégeant de leurs vies nos pays et nos libertés. Avec, aux côtés des hommes, ces femmes kurdes combattantes, auxquelles Caroline FOUREST rend hommage dans un film qui sort ces jours-ci et qui tombe bien, ou mal je ne sais, pour nous mettre le nez dans notre honte. Des femmes non voilées, laïques, seulement courageuses.
Ça n'a jamais été dit mais tout le monde le sait, il y avait - et il y a toujours sans doute- quelques centaines de soldats français des forces spéciales pour aider ces combattants kurdes. Il se trouve que je connais bien un officier qui en commanda certains et qui m'expliqua un jour la solidarité admirative et fraternelle que ses hommes éprouvaient pour ce qu'on peut bien appeler en la circonstance ces " frères d'armes" . Frères et sœurs d'armes. Il n'imaginait pas une seconde qu'on puisse un jour les laisser tomber. On va voir......

vendredi 11 octobre 2019

Lu " La maison" d'Emma Becker paru chez Flammarion.


Voilà un sacré livre, étonnant, très étonnant, original, atypique, dérangeant mais pétri d'humanité, de féminité, sensible, émouvant, parfois bouleversant. J'arrête là et je m'explique : Emma Becker est une jeune, puisqu'elle a une trentaine d'années, et très jolie, - ce qui n'est pas sans importance dans le livre-, écrivaine qui, après avoir déjà écrit plusieurs romans, est partie vivre à Berlin où, pendant deux ans, elle a vécu la vie d'une prostituée avec, d'entrée de jeu, l'idée d'en faire un livre. Et c'est cette vie, cette expérience qu'elle raconte avec une distanciation, une lucidité, et en même temps un engagement assumé tout à fait étonnants .
" La maison" ( cf le titre) n'est rien d'autre qu'un bordel de Berlin qui a pignon sur rue puisque les bordels sont autorisés par la loi allemande . Mais c'est une bordel "pas comme les autres" ( j'emploie cette expression avec prudence sur la base du récit de l'auteure qui a vécu, et raconte l'expérience d'un autre bordel que je qualifierais, pour être compris de "mafieux" et potentiellement violent).
" La Maison", elle, est une sorte de pension de famille, où l'on amène pas des clients racolés sur la voie publique mais où on les "accueille", où les femmes viennent librement et vivent une vie de groupe solidaire, amical, presque affectueux.
C'est déjà très étonnant à découvrir . Mais le plus décoiffant est, bien entendu, la manière dont Emma Becker parle des rapports avec les hommes, de sexe, et même de jouissance. (C'est très surprenant de la voir raconter comment, dans la vente de son corps à un rythme quotidien presque inhumain, il lui arrivait, parfois, rarement, d'avoir envie de jouir..... ou bien de l'entendre dire que ce rapport avec son corps lui a permis de mieux vivre les rapports amoureux qu'elle peut avoir en dehors de son métier) .
C'est cru, très cru, décoiffant, très décoiffant, dérangeant quelquefois. Mais c'est d'une telle liberté de ton et d'une spontanéité qui sonnent si juste que cela remet en cause bien des schémas établis et prouve au moins qu'il y a prostitution et prostitution. En tout cas elle assume le fait d'ouvrir ce débat. Bref, c'est le récit d'une femme libre qui est bien écrit, facile à lire au point d'être captivant, et mérite vraiment d'être lu.