lundi 21 décembre 2020

ESPOIRS DE CLARIFICATION , nouvelle tribune signée par Gilles Clavreul et Jean Glavany parue sur L'aurore think tank.


 

ESPOIRS DE CLARIFICATION



Sur le front de la laïcité et celui de la lutte contre les remises en cause du pacte républicain, ces derniers mois auront soufflé le chaud et le glacial, donnant tour à tour matière à espoir, effroi ou déploration. Voici que s’achève le procès des attentats de janvier 2015. Chaotique, jalonné d’interruptions et de rebondissements, inséparablement insoutenable et nécessaire aux survivants et à leurs familles, il accouche d’un verdict net: 11 prévenus, 11 condamnés dont 5 pour faits en relation avec une entreprise terroriste, condamnations auxquelles s’ajoutent celles, par contumace, de deux jihadistes en fuite, respectivement à la réclusion criminelle à perpétuité et à 30 ans dont les deux tiers incompressibles. Recouvertes, les provocations des prévenus et de leurs défenseurs; au moins autant par ce prononcé qui sera de toutes façons frappé d’appel, que par la voix ferme et le sourire indémontable de Me Richard Malka. «Ce procès a été un formidable accélérateur de l’Histoire. Il a provoqué une clarification des positions, il a réveillé une société inquiète, il a alerté les consciences», a confié au journal Sud-Ouest l’avocat de Charlie-Hebdo à l’issue du verdict.
Clarification: ce pourrait être en effet le plus grand motif d’espoir de ces derniers mois. Clarification que ce discours du Président du 2 octobre, que nous avions salué. Clarification encore que ce projet de loi «confortant les principes républicains», dont on pourra toujours discuter tel ou tel manque, ne serait-ce que l’attente toujours déçue de ce plan Borloo désormais érigé en mythe, se montrer sceptiques, surtout, sur l’énième tentative de doter l’islam d’une organisation par validation administrative, mais qui marque une ferme volonté de traduire en actes la parole présidentielle, à charge pour les parlementaires, désormais saisis du texte après qu’il ait été largement validé par le Conseil d’Etat, de l’améliorer et de le compléter. Clarification encore que les dissolutions de ces officines qui sapent depuis des années la confiance dans les institutions de la République et s’appliquent à creuser un fossé infranchissable entre les musulmans, qu’ils ont la prétention de représenter, et ce pays, la France, qui est aussi le leur.


Clairs-obscurs
Qu’en est-il des clarifications politiques, intellectuelles, médiatiques? Là, le tableau est plus contrasté. Saluons d’abord comme il se doit l’ébauche d’une confirmation: le Parti Socialiste poursuit sa convalescence laïque. On s’abstiendra de parler pour le moment de rémission complète, mais disons que la guérison pourrait être en bonne voie: en affirmant sa volonté de replacer la laïcité «au cœur» du projet politique de son parti, et en confiant à Jérôme Guedj, constamment impeccable sur le sujet, l’animation nationale de la réflexion sur la laïcité et les principes républicains, sa direction a montré de la constance depuis la ligne qu’il avait tracée il y a un an, en refusant l’injonction des formations islamistes, CCIF en tête, de manifester le 10 novembre 2019 contre les «lois liberticides» (entendre : celles de 2004 et de 2010, ainsi que les lois anti-terroristes) aux cris de «Allah akbar». Il semble loin, le temps où le prédécesseur de l’actuel Premier Secrétaire - qui prône désormais un retour au pacte républicain qui laisse sans voix tant il apparaît comme un nouveau reniement ou une souplesse idéologique infinie...- conseillait à sa direction de ne pas se mêler de Laïcité faute de n’y trouver «que des coups à prendre», ou recevait le même CCIF rue de Solférino, avant de porter à l’élection présidentielle un candidat multipliant les clins d’œil communautaristes, avec le succès qu’on sait… Si on ajoute la tribune courageuse, de retour du Haut-Artsakh, dans laquelle sont dénoncées sans ambages les exactions de la Turquie et de son allié Azéri contre la minorité arménienne, sans doute tient-on là de quoi entamer, enfin, la reconstruction idéologique de cette formation. Alors pourquoi s’en tenir aux compliments et refuser le tableau d’honneur? Parce qu’ il demeure une répugnance à abandonner tout à fait une grille de lecture qui, en fait d’être sociale, est surtout «économiciste», qui voit dans la relégation des banlieues la cause principale, sinon unique, de la radicalisation, et qui renvoie dos-à-dos le séparatisme des islamistes avec le «séparatisme des riches», comme s’il s’agissait de la même chose. Qu’on s’entende bien: la ghettoïsation est indéniable et insupportable. C’est l’un des grands échecs de la République, même si ce n’est pas un échec complet car, on n’en parle jamais ou en tout cas pas assez, des milliers de familles s’en sortent, des milliers de jeunes hommes et de jeunes femmes s’intègrent, réussissent dans les études et gravissent – pas assez vite, c’est certain – les échelons de la société. Il faut évidemment y répondre bien mieux qu’on n’a su le faire jusqu’à présent. Mais persister à croire que la cité, voire que les «discriminations systémiques» sont la cause du jihadisme, c’est avaliser les arguments des islamistes eux-mêmes, qui voient dans la France une machine à exclure sur des critères ethno-religieux. Relégation et discrimination sont tout au plus un terreau favorable, mais sûrement pas la cause de l’islamisme : celui-ci a ses ressorts propres, et c’est d’abord ces ressorts qu’il faut casser.


Lutter contre l’islam radical ou contre l’islamisme (et non contre «l’islamisme radical», comme s’obstine à l’appeler le Premier ministre, comme s’il pouvait y avoir un islamisme modéré…), c’est donc opposer un refus ferme et non négociable à toute entreprise d’accommodement, de ceux que réclame encore le sociologue Jean Baubérot, que beaucoup à gauche et même au sein de la majorité présidentielle considèrent encore comme le Saint-Jean-Bouche d’Or de la laïcité, alors qu’il n’en délivre, dans le meilleur des cas, qu’une réinterprétation mâtinée de libéralisme anglo-saxon ( Ah ! Son insupportable appel à la retenue dans l’usage des caricatures après l’assassinat de Samuel Paty ....). La tentation de rechercher un compromis avec ces fameux «islamistes modérés», personnages dont le compagnonnage apparait d’autant plus désirable qu’ils sont imaginaires reste vivace chez une partie de nos responsables politiques. Voilà que le ciel s’assombrit : on croit deviner qu’il en est ainsi dans une partie du parti présidentiel, qui dit s’inquiéter d’une «dérive droitière» et semble se cramponner à une laïcité made in Observatoire, c’est-à-dire crépusculaire car dépassée, depuis belle lurette, par les événements. Plus personne aujourd’hui n’oserait encore dire, comme le Président de cet Observatoire le fit quelques mois après la création de celui-ci, qu’il « n’y a pas de problème de laïcité en France»...Pour achever sa mue, le PS devrait expliciter sa rupture avec cette culture-là plutôt que de chercher une synthèse molle comme il en a trop eu l’habitude depuis une vingtaine d’années.
On voit surtout qu’à la gauche du PS, on s’enfonce dans l’obscurité en klaxonnant: de la FCPE et de la Ligue des Droits de l’Homme, qui semblent décidées à reprendre le flambeau de l’activisme judiciaire abandonné par le CCIF en intentant des procès à tout le monde – même à Jean-Pierre Obin le courageux auteur d’un rapport que certains auraient mieux fait de lire plutôt que de le cacher dans un placard ! – aux écologistes, Jadot peut-être mis à part, en passant par Jean-Luc Mélenchon qui n’en finit plus de se renier et fustige, dans une transe plénélienne, une «déclaration de guerre contre les musulmans», cette gauche-là semble décidée à camper du mauvais côté de l’Histoire, là où les intérêts du peuple ne sont pas, surtout pas ceux des musulmans qui sont, faut-il le rappeler, ceux qui subissent l’islamisme en première ligne.


Néo-puritanisme
Qu’en est-il du front intellectuel? Il n’est pas à négliger. Emmanuel Macron, Jean-Michel Blanquer, ont-il eu raison de pointer certaines dérives à l’université en employant le qualificatif «d’islamo-gauchisme» ? On peut discuter le terme, non nier ce qu’il recouvre. Ce que l’on appelle désormais la «cancel culture», ou «culture de l’effacement», menace bien vite de se transformer en effacement de la culture, tant l’ardeur à l’interdit et l’envie de censure s’y lisent à livre ouvert: Les suppliantes d’Eschyle, Sylviane Agacinski et même François Hollande en ont fait les frais, réactivant des campagnes diffamatoires plus anciennes, comme celle qui frappa, en 2006, l’historien Olivier Grenouilleau pour sa magistrale Histoire des traites négrières. Par rapport à ce qu’il se passe aux Etats-Unis, ce n’est qu’un hors-d’œuvre: professeurs mis à pied pour un mot jugé inapproprié, remise en cause des programmes d’histoire de l’art «européo-centrés», critiques des œuvres de Renoir comme pornographiques, etc. Que mille pétitions fleurissent pour s’inquiéter des menaces sur les «libertés académiques» a de quoi rendre songeur: ne sont-ce pas précisément ces mouvements d’idées qui, à force de sectarisme militant et de politisation du travail scientifique, ne cessent de demander censure et auto-censure contre ceux qui ne pensent pas comme eux ?
Le fait est : une puissante aspiration puritaine, sous couvert d’antiracisme, nous vient d’outre-Atlantique. Ce sont sensiblement les mêmes protagonistes qui sont à l’œuvre dans la campagne anti-française menée depuis l’assassinat de Samuel Paty et visant à faire passer la France, depuis les tribunes d’estimables institutions de la presse de la côte est des Etats-Unis, pour un pays «islamophobe». Voilà peut-être le champ que la France a eu le grand tort de négliger dans cette grande bataille contre l’intolérance : l’opinion publique internationale. A moitié par dédain pour des questions jugées subalternes, à moitié aussi par un certain tropisme intellectuel présent dans les milieux diplomatiques, le discours tendant à présenter la France comme la victime d’un mal qu’elle aurait elle-même attisé, insensible aux humiliations arabes et aveugle à la religiosité musulmane n’a pas été considéré sérieusement, quand il n’a pas été tout simplement encouragé in petto. D’une certaine presse américaine aux médias-croupions à la botte de la Turquie et du Qatar, en passant par les officines du soft power islamiste, la France ne manque pas de contempteurs que l’on laisse opérer sans les déranger, ni même leur disputer le terrain médiatique. Il importe dès à présent que nous retrouvions de la voix et des relais, notamment en Europe. La tuerie de Vienne est venue rappeler deux choses: la première est que toute l’Europe est visée; la deuxième, comme l’a dit Richard Malka, est que les caricatures, comme le passé colonial, ne sont que des prétextes. Les islamistes ne tuent pas pour ce que nous avons fait ou ce que nous n’avons pas fait, mais uniquement pour ce que nous sommes.
De l’enceinte de chaque collège jusqu’aux grandes enceintes internationales, de nouvelles batailles pour les libertés seront à livrer. Elles prennent à revers tous ceux qui restent prisonniers des vieux schémas, ou qui sont tentés par des calculs politiciens de court terme : les puritains se font appeler progressistes, les censeurs se nomment défenseurs des libertés ; ceux qui sèment la mort et appellent à la haine se font passer pour des justiciers. Ce sera l’un des défis de 2021, avec la sortie de l’épidémie et la lutte contre la crise économique.

https://www.laurorethinktank.fr

 

 


Lu « 1984 » de George Orwell chez Gallimard dans une nouvelle traduction de Josée Kamoun.

L’ouvrage date de 1949 - c’est dire s’il n’est pas de la première fraîcheur...- soit un an


avant la mort, de tuberculose, de l’essayiste britannique qui voulait faire de l’écrit politique un art et de la dénonciation du totalitarisme et de la manipulation mentale une véritable cause, un engagement de tous les instants. L’intuition était bonne et cet ouvrage fera date dans l’histoire de cet engagement universel. Il a fait date mais il date...car depuis tout a été dit, décrit et surtout, hélas vécu en matière de totalitarisme. Et celui de « Big Brother » imaginé par Orwell pour le Royaume- Uni n’a pas vraiment été la confirmation de sa prédiction....il reste que cet ouvrage, parfois long et ennuyeux, ouvre beaucoup de portes et amène à réfléchir à toutes ces nouvelles formes de totalitarisme qu’Orwell n’avait pas vu venir. Par exemple celui des réseaux asociaux ?

lundi 14 décembre 2020

Un livre que je voulais lire et que je ne lirai pas après avoir lu ses « Bonnes feuilles » dans un hebdo : « Vies parallèles. De Gaulle - Mitterrand » paru chez Robert LAFFONT.

 

Longtemps j’ai eu un intérêt véritable pour Onfray, après la lecture de son «essai sur l’athéisme » par exemple ou bien en observant son expérience d’université populaire en Normandie, cette tentative plutôt respectable de transmettre réflexions et connaissances au plus grand nombre. Puis je me suis lentement mais sûrement éloigné de lui en constatant son caractère de plus en plus péremptoire, son absence absolue de doute, ses certitudes qui le bardaient sur tant et tant de sujets. Et, plus récemment, devant sa pitoyable tentative politique de « Front populaire » réunissant des souverainistes des deux bords ( sans d’ailleurs qu’ils en soient tous prévenus ce qui témoigne d’une méthode douteuse pour un tel donneur de leçons....) ces distances devinrent abyssales.

Mais enfin, à l’annonce de son dernier ouvrage « Vies parallèles. De Gaulle - Mitterrand », je fus tout de même intrigué et même attiré. Il faut dire que, Mitterrandiste historique matiné de gaulliste, n’oubliant pas que mon regretté père fut un gaulliste de Gauche et toujours attaché aussi bien à la stabilité de nos institutions qu’à notre indépendance nationale ou au besoin d’ordre de notre société par exemple, un essai comparatif entre ces deux grands hommes aurait pu m’intéresser. Heureux hebdo qui m’offrit des « Bonnes feuilles » en guise d’avant-goût ! Quelle horreur...
Je vous la joue courte : De Gaulle était un grand homme, Mitterrand un médiocre, le premier servait la France, le second sa carrière, l’un avait tout juste, l’autre tout faux, l’un a tout réussi, l’autre tout raté ... Vous croyez que j’exagère ? Hélas non, pour cet auteur de si bonne foi. Un seul exemple avec ce raccourci qui m’a fait éclater de rire :
« De Gaulle lisait Péguy, Mitterrand lisait Paul Guimard et Eric Orsenna, c’est tout dire » nous assène ce soi-disant philosophe. Il se trouve que j’ai connu, bien connu, très bien connu François Mitterrand et que je l’ai fréquenté presque quotidiennement pendant 10 ans. J’ai connu ses qualités et ses défauts, ses forces et ses faiblesses et si je suis partisan, j’essaye aussi d’être réfléchi, posé, honnête. Je sais, parce que je l’ai vécu, que Mitterrand était un puits de connaissance littéraire impressionnant, un lecteur passionné , un amoureux des livres capable, à chaque instant de quitter les affaires de la France pendant quelques heures pour se plonger dans un livre. Je l’ai vu. Et j’ai vu aussi ce qu’il lisait et l’éclectisme de ses goûts plus portés d’ailleurs sur le classique et l’histoire que sur le roman moderne, n’en déplaise à mes chers amis , le regretté Paul Guimard ou l’insubmersible Eric Orsenna. Alors, l’affirmation d’Onfray, parce qu’elle est tout simplement fausse, est ridicule et discrédite tout le reste si c’était nécessaire. C’est grotesque. Et, à certains égards , honteux car malhonnête, profondément malhonnête. Pauvre ONFRAY, pauvre « Front Populaire » si lamentablement détourné de son histoire et de son symbole de rassemblement de la Gauche, pauvre Université populaire de Normandie où l’on apprend de telles balivernes !! A mes chers étudiants de Sciences Po à qui j’apprends, autant que faire se peut à « penser par eux-mêmes »,à réfléchir posément, à puiser leurs sources à toutes les fontaines, à être curieux de tout sans a priori ni préjugés, je dis : surtout ne suivez pas cet exemple !

mercredi 9 décembre 2020

Lu deux romans contemporains à tendance science-fiction futuriste:

 

- d’abord, le dernier roman policier d’Olivier Norek, « Impact » paru chez Michel Lafon.


Norek, ancien flic du 93 reconverti dans le polar est un auteur que j’apprécie car j’ai toujours pensé que, de temps en temps, un bon polar fait du bien et qu’il a un certain talent lié à son vécu et à une écriture plaisante. Mais là, il se projette dans le futur pour inventer un terrorisme écologiste qui, par le biais de prise d’otages parmi les patrons de grandes firmes multinationales, veut leur faire payer, dans tous les sens du terme, le prix de leurs atteintes mortifères à la planète. Le raisonnement est intellectuellement cohérent mais sa traduction est assez décevante : on ne mord pas à l’hameçon...en tout cas, moi, je n’y ai pas mordu; mais j’ai sans doute tort : tout cela nous guette peut-être !

 
- ensuite « L’anomalie » de Hervé Le Tellier paru chez Gallimard, prix Goncourt de cet automne.


En juin 2021, l’année prochaine, survient un évènement incompréhensible au sens le plus pur du terme : un avion d’Air France réalisant la liaison Paris-New York, se pose en catastrophe sur une base militaire américaine après avoir traversé un orage d’une rare violence et perdu l’usage de tous ses instruments. Seulement voilà : l’avion, la compagnie, l’équipage, et tous les passagers sont exactement les mêmes que ceux d’un autre vol Paris- New York du mois de mars 2021, soit trois mois auparavant. Panique chez les services de sécurité américains qui mettent tout ce beau monde à l’isolement et découvrent que toutes ces femmes « de juin » tous ces hommes sont les «doubles » parfaitement identiques à ceux « de mars ». Confrontations des binômes « mars-juin » et hypothèses diverses ne lèvent pas le mystère malgré l’appel aux autorités scientifiques les plus élevées et aux autorités spirituelles les plus diverses.

Comment dire : là non plus je n’ai jamais mordu à l’hameçon. Il y a comme cela des « anomalies » tellement invraisemblables qu’on ne peut y croire vraiment et qu’on a du mal à se laisser transporter...

dimanche 29 novembre 2020

Je ne comprends toujours pas ce qui a pris le gouvernement avec cette satanée loi sur « la sécurité globale » qu’il tente, bon an-mal an, de faire adopter par le Parlement mais dans laquelle il semble un peu plus empêtré chaque jour qui passe...

 Sur la forme tout d’abord : le Gouvernement nous annonce pour les semaines qui viennent une grande loi sur laquelle il travaille depuis longtemps et qui devrait être la marque d’une doctrine sophistiquée et rassembleuse dans le domaine régalien, une loi qu’il appelait « sur les séparatismes » mais qui a changé de nom car personne ne comprenait ce que ça voulait dire, et qui serait devenue « loi sur le renforcement des principes républicains ». Soit.
Mais alors pourquoi donc polluer la préparation de ce « monument législatif » avec un débat préalable qui embrouille les esprits, détourne l’attention et place le gouvernement sur une position défensive ? On dirait un sabotage organisé. C’est incompréhensible.
Pourquoi donc, au demeurant, traiter de sujets aussi graves que la sécurité par le biais d’une « proposition de loi » d’initiative parlementaire donc et non gouvernementale qui, comme le savent les spécialistes, est toujours plus fragile juridiquement car n’étant pas soumise au filtre du Conseil d’Etat ? On me dit qu’ «il faut bien que la majorité parlementaire vive un peu son autonomie et prenne des initiatives »...je connais cette musique pour l’avoir vécue et, parfois, subie. Mais franchement, de là à prendre ces risques, je trouve l’autonomie bien cher payée !
Sur la forme toujours, je trouve au passage qu’en cette période tourmentée de crises superposées où le pouvoir peut sembler hésitant et contradictoire et où il importe plus que jamais de faire oeuvre de pédagogie, se foutre la presse à dos en s’attaquant à la liberté d’informer est d’une autre maladresse folle...Mais on n’était pas au bout de nos surprises on le verra un peu plus loin.
Voilà pour les donneurs de leçons de 2017 qui voulaient mettre le « vieux monde » au rencard et qui nous annonçaient qu’on allait voir ce que l’on allait voir.
Reste le fond et c’est bien là le plus important.
On pourra nous raconter tout ce qu’on voudra, cet article 24 visant peu ou prou à « encadrer » ( si l’on est indulgent) , à « limiter » si on est moins aimable ou à « contraindre » la liberté d’informer nous est proposé quelques semaines après qu’une vidéo a fait le tour du monde pour démontrer et dénoncer l’assassinat odieux d’un citoyen noir américain, George Floyd, par un policier raciste. Et l’on voudrait que l’opinion ne fasse pas le rapprochement ? Et l’on voudrait que cela ne passe pas comme une volonté délibérée d’empêcher de laisser voir ces vidéos citoyennes ? Peine perdue.
Alors on m’explique que, pas du tout, il s’agit juste de protéger les policiers exposés à la vindicte et à la dénonciation sur les réseaux sociaux, et que cela aurait fait l’objet d’un « deal » avec un syndicat de policier. Je ne savais pas que les syndicats faisaient la loi sous ce gouvernement et j’aimerais bien savoir lequel. Mais ce que je sais c’est qu’un article du projet de loi «Principes républicains » , travaillé si soigneusement par le gouvernement et devant passer par le filtre du Conseil d’Etat aborde ce sujet compliqué et délicat et qu’il eût été utile d’attendre sagement cette discussion et le «mûrissement » de la solution quelques semaines de plus sans agir dans cette précipitation.
Et puis vient le ponpon : une nouvelle bavure policière, raciste très probablement et d’une violence insoutenable est révélée par une vidéo de sécurité. Patatras, on ne pouvait imaginer réquisitoire plus convaincant contre l’article 24 !
On se dit alors que le gouvernement et sa majorité vont comprendre qu’il serait dangereux d’insister. Eh bien non, on voit le Ministre de l’Intérieur se précipiter dans un journal télévisé de 20h annoncer que, « sur sa proposition» ( je me souviens de sa phrase : « je remercie le Premier Ministre d’avoir accepté ma proposition »...) il va demander à une « commission indépendante » le soin de « réécrire » l’article 24.
Une commission indépendante pour écrire la loi !! Une commission indépendante à la place du Parlement élu démocratiquement ??
On croit rêver : jamais le mépris du Parlement ne s’était exprimé si explicitement...
Même le bon Richard Ferrand, Président de l’Assemblée Nationale, a vu rouge ! Il a eu bien raison d’ériger et d’obtenir que cette ineptie soit retirée de la table.
Tout cela laisse pantois. Je n’aime pas accuser d’amateurisme les gouvernants de la République car c’est se placer soi-même au rang des donneurs de leçons que je dénonçais plus haut. Pourtant....

Lu « Nature humaine », le roman de Serge Joncour paru chez Flammarion et qui vient d’obtenir le prix Femina.

 De 1976 à 1999, la fresque familiale d’une exploitation agricole du Lot, exploitation
d’élevage de bovins pour la viande pour être précis, où l’on est agriculteur de grand-père à père et de père à fils. Les filles, elles, vont « à la ville ». Une exploitation « à l’ancienne » où l’on nourrit les bêtes à l’herbe ce qui, entre parenthèses, l’a mise à l’abri de la crise la vache folle véhiculée par ces maudites farines animales... Pendant cette période, la famille et l’exploitation vont vivre ballottées par l’actualité du progrès théorique et de ses accidents, symbolisés par les combats régionaux pour le Larzac et contre Golfech et, plus tard, contre l’autoroute Limoges-Toulouse, et -last but not least- la terrible tempête de 1999 qui ravage l’exploitation. Tout cela est raconté à travers le prisme des amours du fils de la famille entre ses 16 et 36 ans, ses interrogations sur les évolutions à impulser dans l’exploitation, « grandir ou ne pas grandir », et ses amours avec une jeune allemande écologiste rencontrée à Toulouse dans l’appartement de la sœur aînée étudiante, et qui considère que le domaine du Lot est une sorte de paradis sur terre...un paradis qu’elle ne cherche pourtant point à rejoindre.

C’est agréable à lire, bien ancré dans le terroir, branché sur l’actualité presque historique de l’époque et tentant tant bien que mal d’exposer les grandes problématiques rurales du Sud-Ouest de la France et du Lot en particulier.

lundi 23 novembre 2020

Lu « Il est à toi ce beau pays » de Jennifer Richard paru chez Albin Michel.

 Une gigantesque fresque (plus de 700 pages) qui couvre le dernier quart du XIXème 
siècle et relate d’un façon romancée un pan douloureux de l’histoire de l’humanité, l’esclavage, à travers la violente colonisation de l’Afrique noire et, plus particulièrement de ce qu’on appelait le « Congo belge » et l’instauration de la discrimination raciale aux Etats-Unis. Une fresque qui met en scène aussi bien des personnages historiques comme le roi des belges Léopold II dit le « seigneur de l’Afrique », de grands explorateurs comme Livingstone, Stanley, Savorgnan de Brazzaville, le pasteur George Washington Williams, que des missionnaires ou des affairistes inconnus, et décrit concrètement la tragique condition des noirs, massacrés par une colonisation barbare d’un côté de l’Atlantique et écrasés par un système institutionnel totalitaire de l’autre.

C’est un livre puissant, long, douloureux mais tellement utile. Il y a des coups de poing dans la gueule qui rafraîchissent utilement les mémoires.

mardi 10 novembre 2020

Lu « Cochons, Voyage aux pays du Vivant » d’Erik ORSENNA, paru chez Fayard/stock.

 L’ami Erik, académicien de son métier, poursuit ses voyages autour du monde pour


l’élaboration de son « précis de mondialisation » en égrénant les sujets les plus divers: après le coton, l’eau, le papier, le Gulf Stream, les neuf guitares et les villes d’eau, le voici qui nous mène sur les traces du cochon dans le monde...il faut dire qu’il y a de quoi faire : la Chine et ses 450 millions de porcs, l’Europe entre 200 et 250, l’Amérique du Nord un peu plus de 100 millions...la France et ses 25 millions de porcs, essentiellement en Bretagne. Et comme Erik est un breton de cœur ( il est installé dans les côtes d’Armor en face de l’île de Bréhat), il porte un regard affectueux sur l’aventure du porc breton, contant l’histoire de la COOPERL , cette gigantesque coopérative longtemps présidée par le seigneur Alexis Gourvennec qui n’avait de coopérateur que le titre...mais ça, Erik ne s’en soucie guère. Un regard affectueux, donc, mais exigeant aussi, transition climatique oblige, état des rivières de Bretagne aussi, algues vertes accusatrices à la clef. Mais l’ami Erik sait aussi détourner le regard de la quantité pour se tourner vers la qualité et regarder les productions locales ancrées dans les territoires, notamment dans nos Pyrénées avec le Kintoa du Pays Basque et du célèbre Pierre Oteiza ou bien le « Noir de Bigorre », sûrement le meilleur de tous, cela dit en toute objectivité...

Et puis voilà, Erik ayant l’esprit ouvert et curieux, partant du cochon dans le monde il s’engage sur la voie du vivant en général, par un plaidoyer plutôt convaincant en faveur d’une condition du vivant englobant humains et animaux, plaidoyer vigoureux pour la défense de la condition animale qui marque, quoiqu’on en dise la qualité d’une civilisation. Pour avoir fait adopter par le Parlement, il y a quelques années, un amendement reconnaissant dans le code civil que l’animal est « un être vivant, doué de sensibilité » au grand dam de la Droite et de la FNSEA qui m’accusaient de vouloir
« tuer l’élevage » ( rien que ça...) je sais d’expérience que la cause n’est pas encore unanimement reconnue. Et puis enfin, comme Erik collabore depuis plusieurs années avec l’Institut Pasteur, le vivant oblige, il nous emmène aussi sur les chemins des bactéries et des virus...actualité quand tu nous tiens !

Bref rien n’arrête notre cher ami. Qui trop embrasse mal étreint ? Même pas...

mardi 3 novembre 2020

Lu « Enjeux de guerre » des Colonels Pierre-Joseph Givre et Nicolas Le Nen, paru aux éditions Economica en 2012 ( depuis, les deux auteurs sont devenus généraux) avec une préface d’Hubert Védrine.

J’ai connu Nicolas Le Nen lors d’une mission parlementaire en Afghanistan au moment de la participation française à la force multinationale engagée sur place après les attentats de 2001 à New-York. C’était un peu après l’embuscade meurtrière de la Kapisa et il y commandait une base fortifiée, la FOB TORA, à la tête d’un régiment de chasseurs alpins. Ambiance de guerre sur un théâtre avancé, mission passionnante. 

J’avais été impressionné et séduit par les raisonnements et les propos de ce jeune colonel, beau prototype d’officier républicain, et nous ne sommes pas perdus de vue, nouant même une vraie amitié. J’ai voulu relire ce livre à l’aune de la situation très particulière que traverse notre pays. Car, après tout, nous sommes en guerre. Une guerre sur deux fronts. Une double guerre : contre le virus et contre le terrorisme de l’islamisme radical. Ce qui, on en conviendra, a quelque chose d’exceptionnel et crée une ambiance dans le pays d’une grande gravité, où les sentiments se mêlent dans l’opinion, à la fois responsable mais aussi accablée et parfois en colère.
D’entrée de jeu, je veux préciser que par éducation d’une part - mon père fut un héros de la deuxième guerre mondiale et fut ensuite un général d’aviation-, mais aussi par culture républicaine, quand nos soldats sont au front. - j’entends ici par «soldats » tant nos personnels soignants si dévoués et courageux que toutes nos force de l’ordre mobilisées contre le terrorisme -, je ne conteste pas ceux qui les commandent, je ne discute pas la pertinence de la stratégie. Il sera temps après.
Mais cela ne m’empêche nullement d’y réfléchir, et ce livre y aide. 
Il traite de l’art de faire la guerre autour de beaucoup de références historiques et évoque les révolutions stratégiques du temps présent, où l’on n‘affronte plus l’ennemi puissant, organisé et délimité,  sur un « théâtre » défini mais où l’ennemi est masqué, caché, et le théâtre diffus....
Je pense en particulier à l’importance de ce que les auteurs appellent «  La trinité », c’est-à-dire le triangle Pouvoir politique-Armée-Population, que Jaurès appelait, lui, «le lien armée-Nation ». Cette impérieuse nécessité d’associer le peuple à l’effort de guerre. Ne le laisser ni dans l’ignorance ni dans l’indifférence. Le mobiliser, lui expliquer, faire la pédagogie de la guerre. En l’occurrence les deux guerres, contre le virus et contre le terrorisme. La leçon vaut plus que jamais. J’imagine, j’espère que nos dirigeants en sont convaincus....


samedi 31 octobre 2020

Vu « Adieu les cons » le dernier film d’Albert Dupontel, avec lui-même et Virginie Efira.

 L’histoire a, au fond, assez peu d’importance : une femme, apprenant qu’elle est
gravement malade, part à la recherche de l’enfant dont elle a accouché sous « X » 25 ans auparavant. A la première étape de son périple, dans les services administratifs de l’adoption, elle est témoin de la tentative de suicide d’un cadre administratif qui rate complètement son coup et provoque involontairement une petite catastrophe. Et elle se retrouve en fuite avec cet homme qui, à défaut de s’être éliminé, décide de mettre ses compétences à son service, à l’aide d’un ordinateur portable qui a, manifestement, bien des vertus... Ils vont finir par retrouver ce jeune homme dans des circonstances abracadabrantes et loufoques et, refusant de se présenter à lui, l’héroïne parviendra à lui transmettre un message qui le mettra sur le chemin du bonheur....mais peu importe.

Un film déjanté, décalé, surprenant, tendre, émouvant et drôle.
Albert Dupontel est fidèle à lui-même, professionnel et convaincant. Virginie Efira est belle, souriante, émouvante.
Et, au total, un film qui a une sacrée personnalité, un style particulier, une signature très originale.

dimanche 25 octobre 2020

Pour une laïcité pleine et entière, Voici la tribune que j’ai signée avec 47 personnalités dans le Journal du Dimanche de ce jour, à partager.

Ne capitulons pas, ne capitulons plus !

Pour un rassemblement laïque des citoyens77

 

 

La mort dun professeur de collège vient d’ébranler la France, cristallisant toutes les aspirations et les préoccupations dun peuple, tant est immense sa portée.

 

 

On a tué un homme. De la manière la plus barbare et la plus expressive qui soit, dans le rituel codifié dexécution religieuse de lislam radical. On a assassiné un homme pour avoir accompli sa tâche avec modestie et sans frémir. On a exécuté un professeur qui remplissait la mission la plus noble, celle de contribuer à l’émancipation et à la construction de la conscience des jeunes élèves dont il avait la charge pédagogique et morale. On sest attaqué au creuset de la République, son École.

 

Après les 266 morts dont le souvenir pèse sur nos cœurs depuis 2012, ce mort-là est l’électrochoc qui donne aux Français la force de ne plus accepter linacceptable. Et comme dans ces sursauts que peuvent accomplir les peuples souverains lorsquils prennent conscience de leur unité, en quelques jours ce qui semblait impossible devient possible et saccomplit même déjà

 

La remise en question permanente de la liberté dexpression et les assauts répétés contre notre école publique sont les symptômes évidents de la volonté ultime de nos ennemis : saper les fondements démocratiques de la République française. En voulant détourner une partie de la jeunesse de nos principes, en tentant de la liguer contre ses lois et ses institutions, cest la promesse de tout un peuple que lon tente darracher, cest notre futur que lon souhaite anéantir. Les Français en ont aujourdhui conscience, dans leur immense majorité

 

Les mêmes qui depuis trois décennies tentent de convaincre les Français quils sont coupables de tout, quils ne voient pas ce quils voient, que sils meurent sous les balles et les lames des couteaux, cest bien leur faute et non celle des assassins, restent à l’écart de ce mouvement populaire et démocratique profond. Ceux-là ne comprennent pas ce qui est en train de se passer, ils ne comprennent pas l’éphémère et délicate union dun peuple et de ses représentants autour dun projet de salut public.

 

Pour accompagner cette prise de conscience et pour rétablir une laïcité pleine et entière, seule garante de la paix et de la concorde civile dans notre République, il est du devoir des responsables politiques dinsuffler une nouvelle dynamique. Des organismes publics adaptéà cet horizon politique transformé doivent voir le jour, nourris dune ambition sans autres limites que celles de la raison, de la science et du droit. 

 

Nous attendons du président de la République, du gouvernement et des représentants du peuple quils créent ces moyens inédits et orchestrent leur action pour porter haut lidéal laïque, en remplacement de ceux qui ont fait leur temps et dont lesprit, les objectifs, lorganisation et les travaux ne correspondent plus aux ambitions nouvelles. Ceux-là se sont écartés de la défense de la laïcité, allant jusqu’à prendre constamment le parti de ses adversaires, de tribune en préface, de critiques des laïques les plus respectés en prise de position des plus ambigües. 

 

 

Lespoir suscité parmi les Français ne peut être déçu. La mise en œuvre de nouveaux outils, de nouvelles instances, adaptéà ce paysage laïque transformé, est essentielle. Cest tout l’édifice laïque qui est aujourdhui à restaurer sur la base de la Loi de 1905, son fondement le plus solide. Cela ne pourra se faire quavec des femmes et des hommes, intimement convaincus de leur mission de redonner aux Français la fierté de leur modèle émancipateur et fraternel.

dimanche 18 octobre 2020

Comment dire des choses justes quand l’horreur frappe une nouvelle fois comme elle vient de le faire à Conflans-Sainte-Honorine sous une forme toujours plus barbare dont fut victime un enseignant, Samuel PATY ?

 D’abord réagir avec mon cœur en disant mon émotion très profonde et la compassion solidaire à l’égard de la famille et des proches de la victime.
Ensuite comme enseignant que je fus, au début de ma vie active dans des lycées de la banlieue parisienne, que j’ai été à plusieurs reprises de ma vie dans le supérieur, que je suis toujours passionnément à Sciences Po Paris, pour dire un message de solidarité et de détermination à tous mes collègues enseignants : tous ensemble, solidaires, tenons bon ! Ne nous résignons pas, ne cédons pas à la peur quelque légitime qu’elle puisse être. Poursuivons avec ardeur notre mission si essentielle pour enseigner les valeurs de la République.
En militant laïque encore : j’espère que, cette fois-ci, l’unité républicaine sera bien au rendez-vous et qu’on n’entendra pas un seul « oui mais » : « oui, nous condamnons l’horreur mais quand même... en montrant des caricatures de Charlie, il a exagéré...». Que l’on n'entendra pas non plus des «attention ! Non à l’islamophobie » quand certains auront le courage de mettre en cause l’islamisme radical.

Ça suffit ! Tous ces aveugles doivent ouvrir les yeux, comprendre par lucidité ou se taire par décence.
Un dernier mot pour le Ministre de l’Education Nationale, Monsieur Blanquer, que je ne connais pas : autant j’ai été - et reste - très sévère pour certaines de ses décisions - je pense en particulier à la semaine de quatre jours qui fut un coup très rude portée contre l’école de la République- où certaines de ses méthodes -par exemple, lors du confinement, dans son mépris arrogant des maires confrontés sur le terrain à l’application concrète des protocoles sanitaires dans les écoles-, autant je dis avec force qu’en matière de laïcité il est impeccable. Vraiment impeccable. Tant mieux pour la République, pour ses « hussards noirs » et pour ses enfants.


lundi 12 octobre 2020

Je viens de lire, bien tardivement et je le regrette infiniment, « L’étrange défaite » de Marc Bloch paru chez Gallimard dans la collection Folio-histoire.

 Ouvrage magistral, passionnant et poignant.


Marc Bloch, né en 1886 fut un historien remarquable ( auteur, notamment, de « Les rois thaumaturges » ou « L’histoire, la guerre, la résistance ») , et un universitaire prestigieux qui fut professeur en chaire à La Sorbonne à partir de 1936. Mais il fut aussi un patriote courageux (et plus encore, on le verra après) qui, après avoir recueilli plusieurs citations pour son courage lors du conflit de 14-18, demanda par dérogation à être mobilisé en 1940 à l’âge de 54 ans et vécut la douloureuse campagne des Flandres.

Ce livre est né là, à ce moment, en cette période qu’il vécut dans un Etat-major sur le terrain où il était en charge du ravitaillement en essence des troupes sur la frontière belge... Rédigé, donc, en 1940, « L’étrange défaite » est d’abord une analyse « militaire et stratégique » de la défaite :

les illusions de la ligne Maginot, les délais de réaction dans une guerre de mouvement, les faiblesses du renseignement, le sous-armement en blindés et avions...Mais cette analyse dépasse largement le seul terrain militaire et stratégique pour en chercher les causes dans le pays profond, ses racines culturelles, la paresse de la bourgeoisie, les failles du système éducatif. Et le livre devient d’autant plus passionnant qu’il résonne parfois d’une brûlante actualité. Où l’on découvre un humaniste que je qualifierais plutôt de «Camusien », féru de Marxisme mais retenant l’analyse et non la pratique de Marx, préférant évidemment l’approche et la culture de Condorcet et l’engagement passionné du pédagogue. Ah! Ce propos : « Il lui faudra enfin à ce peuple se remettre à l’école de la vraie liberté d’esprit ».
Et il devient pathétique et poignant parce que Marc Bloch est juif, par sa famille s’il ne l’est pas de confession. Juif mais d’abord français qui ne souhaite pas que les juifs s’isolent de la communauté nationale, ce qui évidemment sonne pathétiquement en cette période si infiniment douloureuse. Et le livre devient définitivement bouleversant quand on sait que son auteur, décidément très courageux, héroïque même, s’engagea dans la Résistance où il joua un rôle éminent dans la région lyonnaise : il fut ce « Narbonne » qui devait diriger la résistance lyonnaise. Mais arrêté par la Gestapo, affreusement torturé, il fut exécuté avec vingt-six autres de ses compagnons à Saint-Didier-de-Formans le 16 juin 44. Un témoin raconta qu’à son voisin d'exécution, un gosse de 17 ans qui lui exprimait son angoisse, il répondit quelque chose comme « ne t’inquiète pas, ça ira vite et ça ne fait pas mal »...
Livre bouleversant où l’on lit ces lignes : « Ces pages seront-elles publiées ? Je ne sais. Je me suis cependant décidé à les écrire »... « Un jour viendra, tôt ou tard, j’en ai la ferme espérance, où la France verra de nouveau s’épanouir, sur son vieux sol béni déjà de tant de moissons, la liberté de pensée et de jugement ».