jeudi 12 avril 2018

MACRON, LES RELIGIONS ET LA LAÏCITÉ : LES LIMITES DU "EN MÊME TEMPS"


J'ai voulu me donner du temps après le discours du Président de la République devant la conférence des évêques de France aux Bernardins. Le temps de la lecture, stylo en mains, du texte officiel sur le site de l’Élysée et non pas des extraits de presse plus ou moins tronqués. Le temps de la réflexion et de quelques échanges avec des personnes de confiance. Le temps de ne pas me précipiter...
Il faut dire que la cascade des réactions précipitées n'encourageait pas à s'y noyer !
MELENCHON, qui n'est pas suspect, historiquement, de manquer au devoir de laïcité même s'il fait preuve d'une indulgence invraisemblable à l'égard de certains - certaines!- élus ou dirigeants de son Parti, aurait mieux fait de s'en tenir à sa première réaction, sobre et nette. Pourquoi, ensuite, qualifier le Président de "sous-curé "? Ca ne fait pas vraiment avancer le débat dans la dignité...
Benoît HAMON, défenseur d'une conception très souple et relative de la laïcité, sans doute plus en accord avec MACRON qu'il ne le dit, a livré, pour s'en démarquer sur une radio publique des explications aussi alambiquées qu'incompréhensibles.
Olivier FAURE a rappelé opportunément la loi de 1905...qu'il proposait, il y a peu de modifier, ôtant toute crédibilité à son propos.
Et le génial BIANCO , qui "observe" la laïcité avec la loyauté qui s'impose à l'égard des Présidents qui le nomment, n'aura retenu que deux paragraphes du discours pour lui accorder son label, occultant tout le reste et ressortant des déclarations de MACRON datant de l'an dernier pour se réjouir d'être ainsi conforté. Drôle de rigueur pour le Président d'un observatoire qui, il est vrai, n'a rien d'indépendant...
Revenons donc au discours. Il est long, très long, et d'une qualité littéraire et intellectuelle indiscutable.
Et dans cette longue dissertation, peu avant la fin du discours, deux paragraphes définissent la laïcité d'une façon juridique et républicaine quasi-parfaite. J'y adhère et pourrais les signer.
Seulement voilà : "en même temps " - car il faut bien, désormais, s'inscrire dans ce balancement quasi-protocolaire de la pensée et de l'expression - oui, en même temps que ces deux paragraphes incontestables, des dizaines d'autres participent d'une "religiosité" assez invraisemblable, non pas en tant que telle dans la bouche du citoyen Emmanuel MACRON qui a bien le droit de penser et d'exprimer ce qu'il veut, mais dans celle du Président d'une République "indivisible, laïque, démocratique et sociale " comme le dit l'article premier de notre constitution.
D'où, au total, une formidable ambiguïté, des interrogations et des inquiétudes légitimes et, évidemment, une première question incontournable : le Président a-t-il cédé à la tentation de plaire à son auditoire avec cette pointe de démagogie traditionnelle des orateurs qui aiment plaire et se faire applaudir... ou bien est-ce vraiment ce qu'il pense ?
Ne soyons pas mesquin et retenons la deuxième hypothèse. Mais c'est presque plus grave...
Car au fond, ce faisant, le Président commet quatre erreurs et non pas des moindres, dont chacun jugera si ce sont des erreurs ou des fautes.
- Première erreur, la plus marquante, relevée par tous parce qu'elle est assénée d'entrée de jeu : cette histoire "du lien abîmé entre l'Eglise et l'Etat". Première observation : vous avez remarqué comme le Président, tout au long de son discours et à de nombreuses reprises, parle de "L'Eglise" et non pas " des églises" ? Comme s'il n'y en avait qu'une, l'église catholique. Comme si la loi de séparation "des églises et de l'Etat" de 1905 n'avait pas de valeur intemporelle à l'égard de toutes les églises. Deuxième observation : " le lien" ? Quel lien? La loi de séparation, loi de la République, n'a-t-elle pas, justement, coupé ce lien ? N'a-t-elle pas instauré une indépendance réciproque, celle du pouvoir politique vis-à-vis des églises et, inversement, l'indépendance de celles-ci à l'égard du pouvoir politique et de ses tentations concordataires ? Alors pourquoi parler d'un lien quand la loi de la République l'a fait disparaître ? Voulait-il parler de "relation" , l'indépendance n'interdisant en rien la relation, le dialogue, l'échange dans le respect mutuel ? Non, il a parlé de lien et cela résonne comme une négation de la loi de 1905.
Quant au terme "abîmé ", il est tout aussi étrange, d'autant qu'assez explicitement le Président en exonère l'église de toute responsabilité, l'Etat seul en étant responsable. Diable !... Et comme chacun comprend que le Président fait allusion au mariage pour tous, on ne peut s'empêcher de poser la question : du législateur qui a voulu faire progresser les droits universels et mieux protéger une catégorie de citoyens, ou bien des parents qui ont emmené leurs enfants tendrent une banane sur le passage de Christiane TAUBIRA en criant " C'est pour qui la banane ? C'est pour la guenon !" , qui a le plus abîmé la République ?
Comprenons-nous bien : si le Président avait évoqué "la relation distendue entre les églises et l'Etat" , il eût été incritiquable. Mais il a parlé "du lien abîmé entre l'église et l'Etat" et les mots ont un sens.
- Deuxième erreur du Président : évoquer, s'adressant aux catholiques , " la République que vous avez si fortement contribué à forger" est une réécriture de l'histoire de France assez stupéfiante ! Le pape Pie X doit se retourner dans sa tombe... Sa condamnation du Sillon et de Marc SANGNIER, désireux de réconcilier l'église et la République fut-elle une illusion ? Et les menaces d'excommunication contre les parlementaires qui voteraient la loi de séparation, illusion aussi ? Le Président ne sait-il pas que la République , depuis les lois Ferry jusqu'à la loi de séparation-et même bien au-delà ! - , s'est forgée dans un combat acharné contre "le Parti religieux " ?
- Troisième erreur : ce long dégagement confus par lequel le Président réduit la question de la spiritualité à celle du "salut" et, par extension, suggère que celle-ci, la spiritualité, serait affaire exclusive des religions et, mieux encore de " l'Eglise". C'est une double offense : à tous ces grands penseurs, CAMUS le premier, bien sûr, mais tant d'autres qui ont démontré si heureusement le contraire, et à tous les citoyens athées, agnostiques, ou tenants de philosophies humanistes, qui cherchent, réfléchissent, s'interrogent en permanence sur les questions liées à cette spiritualité. Derrière cette troisième erreur s'en cache une autre : Monsieur le Président, si vous êtes un vrai libéral, ce qui ne fait plus guère de doute, s'il vous plait, sur ces sujets si intimes, ne vous immiscez pas dans le dialogue des citoyens avec eux-mêmes....
- Quatrième et dernière erreur : le Président s'adresse aux catholiques, les interpellent, les enjoint, les encouragent. Mais le Président de la République, Président de tous les français, n'a-t-il pas pour vocation première de s'adresser à tous les français ? Dit autrement:  Que va-t-il dire aux autres désormais ? Et si son discours aux français se résume à une juxtaposition de discours aux différentes catégories de français dans la diversité de leurs engagements philosophiques ou religieux - ah! Le futur discours aux athées ...- on voit bien poindre le danger, celui, quoiqu'on en dise, du communautarisme.
Quatre erreurs, ou quatre fautes, chacun en jugera, et une énorme ambiguïté justifiant inquiétudes et questionnement : voilà bien les limites du "en même temps". C'est tout de même embêtant quand il s'agit de la République et de ses valeurs .
Jean Glavany

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