lundi 11 janvier 2016

A propos de la déchéance de nationalité


Le débat sur la proposition du Président de la République d'inscrire dans la Constitution la possibilité de déchoir de la nationalité française les coupables de terrorisme contre la France lorsqu'ils ont acquis la nationalité française, qu'ils y soient nés ou pas, a produit un tel fracas à Gauche et entraîné des prises de positions tellement irréfléchies et émotives que j'ai préféré me taire, écouter et me donner le temps de la réflexion . Aujourd’hui, je veux faire part de deux certitudes, deux malaises et une proposition.

Les deux certitudes que j'ai face à ce débat :

1. L'idée de déchoir de leur nationalité française les auteurs d'acte de terrorisme, non seulement ne heurte pas ma conscience de républicain et de socialiste, mais est conforme à l'idée que je me fais de la République. Une République debout et qui se défend quand on l'agresse et non pas une République avachie et défaitiste. Disant cela, je parle bien de la déchéance de la nationalité de tous les français auteurs de terrorisme contre la France, quelle que soit la manière dont ils ont acquis la nationalité française et qu'ils soient binationaux ou pas. Les salauds, les barbares qui tirent à bout portant sur des français, parce qu'ils sont français, qu'ils sont juifs, flics, militaires, dessinateurs ou journalistes libres, parce qu'ils écoutent de la musique ou qu'ils boivent un coup à la terrasse d'un bistrot ne méritent pas d'être français, point. C'est clair et net, sans état d'âme.

2. Deuxième certitude : cette mesure n'aura aucune espèce d'efficacité possible dans la lutte contre le terrorisme. Dire le contraire comme le font tant de responsables de droite avec un angélisme coupable, est irresponsable : imaginer Merah, Nemmouche, Kouachi, Coulibaly et consorts dissuadés d’appuyer sur la gâchette par peur de perdre leur nationalité est tellement dérisoire qu'on en reste confondu.

Donc, si ça n'est pas l'efficacité qui dicte la mesure, c'est autre chose. On a dit le symbole, et j'en accepte l’augure. Le symbole d'une France debout, d'une République qui résiste et qui est fière de ses valeurs, de ce qu'elle incarne, et qui sait exprimer avec force une mesure symbolisant le devoir citoyen. Soit.


À partir de ces deux certitudes, je veux exprimer deux malaises qui sont autant d'éléments de dubitativité et de perplexité :

1. J'entends beaucoup de cris d'orfraies, à gauche, qui en appellent aux consciences républicaines sous prétexte qu'on créerait un distinguo entre français, les " français de souche" - l'expression n'est pas républicaine, convenons-en, et les français binationaux. Soit. Mais cette distinction existe dans notre droit et, en particulier dans notre code civil depuis des décennies sans jamais que ces belles consciences ne s'en émeuvent ! Prétendre qu’harmoniser le traitement accordé à un binational "par héritage" à celui d'un binational "par acquisition" est une insulte à la République a quelque chose de dérisoire à mon sens. Pour être très clair, j'affirme que la République est bien plus mise en cause et en danger quand Matignon- c'était sous Ayrault...- affiche sa volonté de mettre en œuvre des mesures sociétales, relevant du communautarisme le plus intégriste en s'engageant très dangereusement sur le chemin qui mène du droit à la différence à la différence inacceptable des droits , quand elle refuse de créer des lycées publics à Beaupreau dans le Maine et Loire ou à Pontivy en Bretagne, ou quand un dirigeant du parti socialiste propose de développer l'enseignement privé musulman sous contrat sans être démenti...

Quant à ceux qui osent comparer cette proposition à l'attitude adoptée par le régime de Vichy, ils perdent toute raison et vont même jusqu'à rentrer dans un révisionnisme coupable qui frise le négationnisme : les nazis d'aujourd'hui , ce sont ces barbares qui veulent nous exterminer, et personne d'autre. Comparer le gouvernement actuel à celui de Vichy, c'est excuser celui-ci.  Inverser les choses et les rôles n'est pas digne. Que de grandes consciences de gauche, pour qui j'ai pourtant estime et amitié aient osé faire cette comparaison me laisse pantois.

2. Deuxième malaise et interrogation : j'ai dit plus haut " mesure symbolique " et j'ai même ajouté que j'osais y croire. Je voudrais juste être sûr qu'on ne le fait pas, qu'on ne le propose pas .... parce que le peuple le demande, que c'est une mesure très populaire - à droite comme à gauche- et que les responsables politiques français, tous, sont incapables de s'adresser au peuple en lui disant : " je sais que vous demandez cette mesure mais je voudrais vous expliquer pourquoi il ne sert à rien de le faire ". Je sais bien que disant cela, je cède  à une sorte de procès d’intention. Mais enfin : face à un problème compliqué et complexe, on a bien le droit d'avoir une pensée complexe, non ?

Reste ma proposition qui n'a rien d'original : chercher le compromis républicain. C'est d'ailleurs, si j'ai bien compris, ce qui est entrain de se faire dans le dialogue entre l'exécutif et le Parlement, ce qui tendrait à prouver qu'il ne faut jamais désespérer des institutions de la République.
Quel peut être ce compromis, sachant que j'exclue tout abandon du projet, parce que j'exclue  le désaveu du Président, par loyauté à  son  égard, certes, mais aussi par respect de sa fonction, de sa parole devant le Congrès, et parce que je m'accroche au caractère symbolique de la mesure ? 

Il n'y a que deux voies possibles et une synthèse entre les deux:
Première voie : prévoir la déchéance pour tous les français quels qu'ils soient, binationaux ou pas. C'est le plus simple mais ça pose des problèmes de droit et, en particulier de droit international qui nous interdit de "fabriquer " des apatrides. Soit. Mais, quitte à me répéter, rendre apatride un salopard de la dernière espèce ne me choquerait pas. Et que la Cour Européenne des droits de l'homme puisse, éventuellement, condamner la France pour avoir rendu apatride un salaud barbare me laisserait indifférent.


Deuxième voie : prévoir non plus la déchéance mais l'indignité nationale pour tous les salauds. Vous restez français mais vous ne détenez plus aucun droit lié à ce titre. Aucun. Mais je reconnais que le symbole est moins fort et que la parole présidentielle n'est plus strictement respectée.

Reste la synthèse entre les deux : prévoir la déchéance pour ceux que le droit international nous autorise à déchoir, c'est à dire les binationaux, et l'indignité pour les autres, dans le même élan, dans le même mouvement républicain. Pour que le distinguo entre les citoyens soit le plus léger possible et explicable pédagogiquement.

Je livre ces réflexions et propositions au débat, dans le seul souci de faire progresser l'esprit républicain.


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