mardi 21 novembre 2017

Les images insoutenables d'une chaîne de télévision américaine révélant l'existence d'un véritable "marché aux esclaves" en Libye  , ont provoqué l'indignation, une condamnation sévère quasi-unanime, un haut-le-cœur, une colère, une révolte, bien légitimes. 


Comment en est-on arrivés là ?
Il y a trois ans, j'avais travaillé près d'un an sur la situation libyenne et rédigé un rapport pour la Commission des Affaires Étrangères de l'Assemblée que j'avais intitulé "L'urgence Libyenne". J'étais allé sur place - j'y étais quand l'ambassade de France a sauté- et j'ai rencontré longuement toutes les parties. Trois ans ont passé, l'urgence s'est aggravée, mais mon analyse de l'époque reste valable. 
Il faut avoir le courage de regarder en face notre part de responsabilité dans cette affaire, sans esprit polémique, mais avec honnêteté : en 2011 , l'intervention militaire franco-britannique décidée par le Président Sarkozy, avec David Cameron principalement, si elle a eu des effets "humanitaires " (je mets des guillemets à dessein) réels en protégeant la population de Benghazi d'un massacre annoncé par les troupes de Khadafi ( protéger cette population était d'ailleurs le cœur de la délibération de l'ONU), a eu malheureusement des effets négatifs non moins indéniables  et aujourd'hui avérés : d'une part, en "tordant" le mandat de l'ONU bien au-delà de cette seule protection des populations civiles pour la transformer en intervention "jusqu'à l'élimination de Khadafi", elle a brisé la confiance accordée à la parole de la France sur la scène internationale, à l'ONU notamment. Le Ministre russe des Affaires étrangères, n'a cessé de nous le répéter depuis, même s'il n'était pas le mieux placé pour le faire...
Et, d'autre part, une fois l'intervention achevée, la coalition n'a pas su, voulu ou pu ( il y a là une part de mystère pour moi ) imposer une politique "de l'après" pour accompagner la construction d'une démocratie et d'un état de droit. 
Comme les mots ont toujours un sens , je parle ici de "construction" et non de "reconstruction" dans la mesure où l'on peut se demander si un "État" a jamais existé en Libye : depuis des décennies, le pouvoir était accaparé, confisqué, par un clan familial qui, loin d'être obsédé par la construction d'un état moderne et efficace pour gérer la rente pétrolière -car la Libye est un pays riche !- a régné en s'appuyant sur les bonnes vieilles méthodes des dictatures, le népotisme, la violence et la corruption (et quelle corruption ! La Libye était le royaume de l'argent liquide : j'ai pu recueillir sur place un témoignage me parlant de "containers d'argent liquide "!) .
Et ce clan familial disparu, éliminé, qu'est-il resté des structures politico-administratives de la Libye ? Rien ....
C'est pourquoi, lorsque j'entends aujourd'hui des autorités politiques - en France comme sur la scène internationale -s'adresser aux autorités libyennes, j'ai envie de dire "quelles autorités libyennes"? Il y en a tant...
Le gouvernement ? Il y en a deux. Et un joli tour de passe-passe diplomatique a même fait que le label de "légitimité " accordé par la communauté internationale est passé de l'un à l'autre sans que la population libyenne y comprenne grand chose.
Le parlement ? Il y en a deux. Même musique.
Les forces armées ? Il y en a tant ...l'armée nationale du général Aftar, à l'Est, est sûrement la plus structurée, le gouvernement de Tripoli vivant au rythme des soubresauts des milices nombreuses et surarmées . Sans oublier la présence de lEtat Islamique , défait il y a quelques mois dans ses positions autour de Tobrouk mais dont tout le monde sait que les forces se sont dissoutes en se diffusant dans l'ensemble du territoire.
La réalité de la Libye d'aujourd'hui est claire : c'est un pays atomisé où règnent les tribus, les katibas, les milices. Un pays de désordre et d'anarchie où s'épanouissent tous les trafics . Les trafics de drogues, d'armes ( la rumeur ,hélas crédible, dit qu'il y aurait plus d'armes que d'habitants dans le pays) et, certains le découvrent aujourd'hui, trafics d'êtres humains.
Il y a plusieurs années que les observateurs attentifs ont connaissance des traitements épouvantables que nombre de Libyens infligent aux migrants de passage. Pour ceux-là, les images de CNN ne sont pas une surprise.
Voilà pourquoi, au-delà du légitime soutien que la communauté internationale, et l'Union européenne en particulier, doit à tous ceux qui mènent une action humanitaire en Méditerranée pour sauver ces malheureux qui ne fuient pas seulement la misère de leurs pays d'origine, mais aussi la barbarie d'un pays de passage, l'urgence politique est aussi, et peut-être surtout de rattraper la bévue de 2011 en accompagnant avec force la construction d'un état de droit en Libye.

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