samedi 25 mars 2017

Faut-il interdire les signes religieux dans les entreprises ?


(article rédigé à partir du sujet de l’émission de RFi du 20 mars).



Quand des questions relatives à l’expression de convictions religieuses sont posées dans les entreprises, a fortiori si elles le sont sous le coup d’une offensive du radicalisme…, il ne faut pas dramatiser en disant qu'il y a des problèmes qui se posent partout avec une violence inouïe. Mais il y a des problèmes qui se posent et il ne faut pas se masquer les yeux, il faut les regarder tranquillement, sereinement et lucidement. Je vais prendre deux exemples que j'ai vécu comme législateur, deux exemples très différents mais qui posent la même question. Un exemple d'une crèche dont vous avez entendu parler qui s'appelle Baby loup, dans les Yvelines, tenue par une jeune femme originaire d'Amérique du Sud, très courageuse, qui avait monté une crèche, cette crèche Baby Loup faite pour les personnes de quartiers populaires des Yvelines, une crèche qui travaillait 24h/24h c'est à dire au fond très adaptée à des boulots de femmes de ménage, très tôt le matin, ou très tard le soir, une crèche qui travaillait en 3-8 et qui rendait des services considérables. Un incident survient : une de ses salariées qui était partie en congés revient voilée de la tête aux pieds –ce qu’elle n’avait jamais fait avant !- dans une sorte de provocation. La directrice de la crèche lui dit: "non c'est pas possible, ici c'est un espace laïque, on reçoit des gens de toutes les confessions, on reçoit des gosses en très bas âge, c'est une sorte de service public, même si ça n'est pas un service public au sens juridique du terme...". Et l'affaire part en conflit devant la justice, où elle a trainé pendant des années, pendant 4, 5,6 ans jusqu'à ce que la cour de cassation, in fine, tranche en faveur d'ailleurs de la directrice de la crèche en allant dans son sens en disant: on peut interdire.

Mais cela avait duré beaucoup trop de temps parce que justement la loi n'était pas claire et que des tribunaux avaient jugé de manière différente le sujet.

Deuxième exemple, une entreprise très connue de collecte et de traitement des déchets qui s'appelle PAPREC, avec des milliers de salariés, des dizaines de nationalités parmi les salariés et qui décide de négocier, dans le règlement intérieur de l'entreprise, avec les syndicats des salariés une Charte de la Laïcité. Et cette Charte est adoptée par un referendum dans l'entreprise à l'unanimité : tous les syndicats la votent, et ça se passe très bien.



Oui mais cette Charte, de fait est fragile juridiquement, au sens où l'entreprise PAPREC est un lieu privé où les règles de laïcité ne s’appliquent pas. C'est pour cela qu'avec d'autres parlementaires, notamment Françoise Laborde sénatrice de Haute-Garonne avec qui je travaille beaucoup sur ces problèmes de laïcité, nous avons voulu, dans une loi que vous connaissez bien puisqu'elle a défrayé la chronique pendant des mois et qu'elle continue, la loi El Khomri du 8 août 2016, nous  avons voulu proposer une disposition qui mette fin à ces atermoiements d'un côté ou à ces illégalités de l'autre. Il ne s'agit pas d'interdire, mais il s'agit de ne pas s'interdire d'interdire.





Parlons donc de cette notion d’ « interdit ».



Il faut savoir que quand on parle des valeurs de la République et la Laïcité en est une fondamentale, il y a toujours eu deux écoles extrêmes : ceux qui maniaient l'interdit matin, midi et soir si vous voyez ce que je veux dire, surtout quand ils regardent une religion, une seule: interdire, interdire, interdire le voile le matin, le midi et le soir. La passion de l'interdiction.

Puis il y en a d'autres qui ont, au contraire la passion de la Liberté: tout autoriser, y compris ce que l'on a connu dans l'idéologie de 68, il est interdit d'interdire.

Et bien la République c'est un subtil équilibre entre les deux ! Il ne s'agit pas d'interdire tout, il ne s'agit pas de permettre tout, il s'agit de permettre et parfois d'interdire. Et la République doit se donner les moyens d'interdire. Et c'est ce que nous avons fait dans cet article de la loi El Khomri. On a dit que le règlement intérieur peut, non pas doit, mais peut contenir des dispositions portant restriction de liberté religieuse, et il dit les conditions dans lesquelles on pouvait le faire:

1. Si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés, c'est toujours: ma liberté finit la où commence celle des autres, donc un conflit entre des libertés.

2. si c'est lié au bon fonctionnement de l'entreprise et à condition que ça soit proportionné au but recherché.

Voilà l'équilibre qu'on a trouvé. Donc il s'agit de dire : oui c'est possible, ça veut pas dire qu'il faut le faire tout le temps, ça ne veut pas dire qu'il ne faut jamais le faire, ça veut dire qu'il faut le faire avec raison et rationalité.

Et je crois que, ce faisant, nous avons fait progresser la Laïcité dans le droit français alors que certains nous assenaient que légiférer en la matière était … interdit !

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