vendredi 26 avril 2013

Commission sur les révolutions arabes, une mission d’information


La mission de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale  n’est pas une commission d’enquête à l’issue de laquelle au bout d’une quelconque instruction nous devrions procéder ou émettre des jugements ou, encore moins, des condamnations.

Elle est une mission d’information. Nous avons travaillé depuis 6 mois dans une double optique : apprendre et comprendre. Aussi bien dans de très nombreuses auditions à l’Assemblée nationale que dans nos deux missions sur place, nous avons été uniquement motivés par cette double démarche : apprendre ces pays, ces peuples, leurs situations politiques, économiques et sociales et comprendre les mouvements en profondeur qui les animent depuis le début de ce que certains ont appelé « les printemps arabes » et que nous préférons, nous, appeler les « révolutions arabes ».

            Pour ce faire, nous nous sommes efforcés de nous départir de tout préjugé, de tout a priori. Ça n’a pas toujours été facile tant parce qu’un passé « colonial »        fût-il apaisé nous unit à tel ou tel de ces pays (on pense bien évidement à la Tunisie) que parce que notre mission étant plurielle, de tels préjugés nous auraient probablement divisés…

            C’est pourquoi, il nous est apparu important de préciser les erreurs à ne pas commettre dans l’approche de ces processus révolutionnaires.

                        La première erreur à ne pas commettre est celle de l’amalgame ou plutôt des amalgames

            Amalgame entre les pays concernés : certes, ces révolutions ont des « points communs » (révolte contre des régimes dictatoriaux autant que contre la misère économique et sociale, position hégémonique des partis se réclamant de l’islamisme, atomisation des partis progressistes ou démocrates, libération de la presse, de la parole, de l’expression, éclosion d’un multipartisme « échevelé », etc.) mais chacun de ces pays et de ces processus révolutionnaires a son « caractère propre ». Qu’y-a-t-il de commun entre un pays de 85 Millions d’habitants, l’Egypte, et un autre de 12 Millions d’habitants, la Tunisie ?

Amalgame entre les partis et les forces politiques qui ont tous et toutes leurs identités particulières : même les salafistes égyptiens sont bien différents des salafistes tunisiens.

Amalgame, surtout, dans l’approche de l’Islam.

Contrairement à ce que croient trop de nos compatriotes, il n’y a pas « un » Islam monolithique et cohérent (et donc pas, soit dit en passant « une » menace islamique ou islamiste).

L’Islam n’a pas de chef, de « grand imam » jouant un rôle dirigeant et une puissance d’influence comme le pape peut le jouer sur la religion catholique.

L’Islam a « des » chefs, autant de chefs qu’il y a de mosquées et donc, d’imams. Certains exégètes avisés du Coran vous expliqueront même qu’il y a autant d’Islams que de musulmans dans la mesure où le Coran est source d’interprétations diverses et que c’est une des caractéristiques de cette religion que de confier à chaque croyant la liberté de choisir son « mode de croyance ».

Quel rapport, par exemple, entre le cheikh Taïeb (grand imam) de la grande Mosquée Al Azaar au Caire, modèle de modération et d’ouverture et Yasser Burhani l’imam de la prédication d’Alexandrie, pourtant pédiatre de formation, créateur du parti salafiste Al Nour, ou Abou Ismael salafiste révolutionnaire, incarnations presque caricaturales l’un et l’autre du conservatisme échevelé et de la réaction la plus extrémiste ?

Et, même, quand on parle des forces politico-religieuses, il faut se garder de tout amalgame ! Quand on parle des « salafistes » par exemple, on peut avoir le sentiment d’avoir ciblé un mouvement précis et catégorisé…jusqu’à ce qu’une rencontre – étonnante – avec des dirigeants du parti Al Nour au Caire nous expliquent en détails « les 5 écoles du salafisme, différentes et à bien des égards opposées entre elles » !

Le monde est complexe, le monde arabo-musulman plus encore…

L’amalgame et le raccourci sont les erreurs à ne pas commettre pour appréhender cette complexité.

                        La deuxième grande erreur serait de rechausser peu ou prou nos lunettes de vue d’ancienne puissance coloniale et de porter des jugements ou d’émettre des conseils de caractère néo-colonialiste. Pour la France, cela vaut en particulier dans notre approche de la Tunisie.

                        Une telle approche provoquerait irrémédiablement une réaction puissante de rejet et une accusation d’ingérence bien compréhensible : « nous n’avons nul besoin de vos conseils et, encore moins, de vos consignes ».

Les opinions de ces pays sont, de traditions et de culture, très structurées par le nationalisme identitaire.

Et elles ne dépassent ce nationalisme identitaire que pour repousser toute influence occidentale d’une façon plus «panarabique »  et, bien sûr, pour faire front commun derrière la Palestine et contre Israël…

La meilleure preuve tient aux auteurs de l’attaque contre l’ambassade d’Israël au Caire : elle ne fut pas le fait des islamistes mais des « ultras », ces supporters de football très violents et pas très cultivés…

Au-delà de cette prudence, il nous faut, comme le dit Hubert Vedrine « nous désintoxiquer de l’idée que c’est nous qui tirons les ficelles au Maghreb »…Ou que nous aurions des leviers puissants pour agir.

 La troisième grande erreur à ne pas commettre est d’aller vers ces processus révolutionnaires avec nos yeux de français, les acquis de notre expérience et même nos mots, nos qualificatifs.

On a déjà dit à quel point l’amalgame d’une partie des penseurs politiques français décrivant l’Islam comme un « bloc cohérent » et, donc, une menace potentielle était un obstacle majeur à la compréhension de la complexité du monde arabo-musulman et de ses processus révolutionnaires.

Mais il en va de même, dans une moindre mesure certes, quand on fait référence à notre héritage révolutionnaire : allez dire aux révolutionnaires du Caire, de Tripoli ou de Tunis que la France a mis près d’un siècle avant de stabiliser sa révolution de 1789 et d’inscrire la République dans la durée et ils vous répondront, excédés, « oui je sais, mais au Portugal, ils n’ont mis que 6 ou 7 ans après la révolution des œillets et, de toutes façons, à l’heure d’internet et des réseaux sociaux, nous n’attendrons pas longtemps »

Quant à nos mots, à nos qualificatifs, ils doivent être employés avec la plus grande prudence. Je pense, en particulier, au beau mot de « laïcité », du substantif « laïc » ou du qualificatif « laïque », belle invention française mais dont nous savons, nous, qu’elle est une valeur à vocation universelle comme la démocratie et les droits de l’homme.

Eh bien, qualifier certains des partis de Tunisie, d’Egypte ou de Libye de « partis laïques », c’est leur porter tort !

Car c’est leur coller une étiquette « occidentale » ou de « Partis de la France », c’est évoquer un modèle venu de l’extérieur.

Même en Tunisie où l’amitié avec la France est profonde et où les liens avec notre pays sont très étroits, mieux vaut qualifier ces forces politiques de « démocrates » ou de « républicaines » voire de « progressistes » ou libéraux.

Mais pas laïques. Hélas.

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