lundi 29 mars 2021

Lu « Journal amoureux 1951-1953 » de Benoîte Groult et Paul Guimard paru chez Stock avec une préface de Blandine de Caunes, fille de Benoîte Groult mais qui a été élevée par Paul et l’a toujours considéré comme son père adoptif.

On connaît les deux écrivains et si l’on savait que Benoîte tenait consciencieusement
un journal depuis son adolescence ( d’où la parution du « journal à quatre mains » avec sa sœur Flora ou son « journal de pêche et d’Irlande » paru juste après sa mort et qu’elle n’avait pas eu le temps de vraiment achever), mais on n’imaginait pas une seule seconde le bon Paul dans cet exercice.  Et d’ailleurs, on faisait bien de ne pas l’imaginer puisqu’il n’ a jamais tenu de journal de sa vie sauf...pendant cette courte période, au début de leur mariage.                                                                   L’exercice est amusant et, pour tout dire, très agréable à lire. Les deux époux qui se parlent tous les jours dans la vie familiale quotidienne ( quand ils se sont mariés, Benoîte avait déjà deux filles en bas âge), poursuivent un autre dialogue par le biais de ce journal où ils se succèdent : la place de la femme dans le couple et l’émergence du féminisme de Benoîte, la question de la fidélité, ou bien encore l’éveil d’une conscience écologique sont au cœur de cet échange qui se situant au début des années 50, en dit long aussi sur la période.

mercredi 24 mars 2021

Lu « Vivre avec nos morts » de Delphine Horvilleur paru chez Grasset.

 Delphine Horvilleur est rabbine, vivant à Paris et c’est une personnalité assez
médiatique dont la démarche intellectuelle et culturelle m’intéresse depuis longtemps ce qui m’a naturellement amené à cette lecture. Autant le dire, cet essai, à l’image de son titre, n’est pas d’une gaité folle même s’il est émaillé de quelques blagues juives comme pour détendre l’atmosphère. Car il raconte un certain nombre de « kaddichs », prières juives, prononcés par elle à l’occasion de funérailles de personnalités diverses. Ce livre est, à ce titre, une initiation à la culture juive et à sa liturgie religieuse assez instructive...il comporte deux moments très forts ( ce qui ne veut pas dire que les autres soient sans intérêt !) :

-Le kaddich prononcé à l’occasion des obsèques d’Elsa Cayat, psychologue athée et chroniqueuse à Charlie Hebdo, décédée dans l’attentat de janvier 2015 qui décima cette rédaction dans les conditions que l’on sait. Devant beaucoup d’amis de la défunte et de Charlie, pas vraiment portés sur la ou les religions, Delphine Horvilleur est présentée par les enfants de la défunte comme « une rabbine laïque »...ce qu’elle est effectivement et qu’elle prouve dans ses propos en la circonstance. Profitons-en pour éclaircir ce soi-disant paradoxe : comment peut-on être religieux et laïque ? C’est pourtant simple : il suffit d’accepter que les lois de la République sont supérieures aux lois religieuses...ce qui est le cas de nombreux croyants fort heureusement et d’un certain nombre de religieux. Et ce qui les différencie des croyants ou religieux « intégristes » qui, de toutes religions et pas seulement de l’Islam,  n’acceptent pas cette supériorité des lois de la République. Eh bien, Delphine Horvilleur est une religieuse laïque, ouverte et tolérante.
- le récit de sa participation à la grande manifestation pour la paix à Tel-Aviv le 4 novembre 1995 à l’issue de laquelle le Premier Ministre israélien, Yitzhak Rabin fut assassiné. Occasion de rappeler, ce que l’on oublie trop souvent, que son assassin ne fut nullement un islamiste mais un juif orthodoxe opposé au processus de paix... occasion aussi pour Delphine Horvilleur de prendre conscience avec stupeur et tristesse que le sionisme de ce salaud n’était pas le même que le sien, ne pouvait pas être le même. Occasion de réfléchir tous à cette déviation tragique du sionisme, depuis le sionisme originel de Theodor Herzl et Ben Gourion, celui de la création de l’Etat d’Israël après la tragédie de la Shoah, devenu aujourd’hui avec Netanyahou et les partis religieux de sa coalition, un sionisme colonialiste et oppresseur pour le peuple palestinien. Le premier recueillait l’adhésion des gens de paix comme Delphine Horvilleur bien sûr, le second leur farouche opposition....
Ce livre est inégal et sans doute incomplet. Mais il révèle une sacrément belle personnalité, une intelligence lumineuse qui sait dire des choses profondes dans un langage simple et très moderne, une femme de paix et de concorde qui expose sereinement à ses concitoyens ce qui devrait les réunir, au-delà des religions. Paradoxe bien riche et fécond pour une rabbine...

mercredi 17 mars 2021

Lu « Si c’est un homme » de Primo Levi aux éditions JULLIARD dans la collection Pocket et traduit de l’italien par Martine Schruoffeneger.

Lu, ou plus exactement relu puisque ma première lecture date des années 70...un
livre culte bien sûr.

Primo Levi, italien et juif , chimiste de formation, a 21 ans en 1940, 25 quand il est arrêté en janvier 1944 comme résistant et déporté à Auschwitz où il est affecté au « Lager» camp de travail « annexe » du camp d’extermination. Il y restera un an, jusqu’à la libération du camp par les russes et c’est ce séjour qu’il raconte dans ce livre si poignant. Le combat de tous les instants contre la faim, le froid, les maladies les plus diverses, la violence de kapos, des SS, l’abattement et le désespoir à chaque départ d’un contingent pour la chambre à gaz .
La débrouille et les petites tricheries pour souffrir un peu moins, à peine un peu moins. Les solidarités, petites ou grandes, les mesquineries, les couardises.
Et, surcroît, l’obsession de rester un homme, un humain et de ne pas sombrer dans toute forme d’animalité.
C’est un livre, sérieux, grave, triste, épouvantablement grave et triste, fait tout simplement pour ne pas oublier. Ne surtout pas oublier, ne jamais oublier.

Un livre à faire lire par tous les lycéens.

samedi 6 mars 2021

J’avais beaucoup d’amitié pour Paulette Guinchard qui vient de nous quitter.

De l’amitié fondée sur une grande estime et une affection particulière. Si un mot devait la caractériser, c’est évidemment l’humanisme. Cette fille d’agriculteurs du Doubs, devenue infirmière psychiatrique, aimait les gens et les servait avec une énergie et une douceur incroyables. Nous avons été députés ensemble et membres du gouvernement de Lionel Jospin ensemble. C’est à elle que l’on doit la grande et belle loi sur l’autonomie de 2001, créant notamment l’APA. Je me souviens qu’elle était venue chez moi, dans les Hautes-Pyrénées, et que nous avions rendu visite à plusieurs EHPAD : son empathie directe et douce m’avait marqué.
Paulette Guinchard, une femme simple, chaleureuse et généreuse laisse un grand vide.
Et je veux dire aussi mon admiration pour sa fin de vie choisie courageusement comme une volonté farouche de liberté : malade, elle militait aussi pour le droit à mourir dans la dignité, encore un point qui nous rapprochait. Et sa fin est aussi un message politique : notre pays devra tôt ou tard adopter enfin une législation digne de ce nom en la matière. Le plus tôt sera le mieux. Tel est le dernier message de Paulette .
Une grande dame.

mercredi 3 mars 2021

Je signe avec Gilles Clavreul sur le site de «L’Aurore « à propos de l’islamo-gauchisme »

 https://www.laurorethinktank.fr/blocnote/derriere-la-querelle-de-lislamo-gauchisme-la-liberte-menacee-par-les-anti-lumieres/


Derrière la querelle de «l’islamo-gauchisme», la liberté menacée par les anti-Lumières

Gilles CLAVREUL, Jean GLAVANY - 3 Mars 2021 

 Pouvait-on introduire débat plus légitime de façon plus maladroite ?

Maladroite et, d’une certaine façon irresponsable quand on sait la période de crises (sanitaire, économique, sociale, morale) que traverse notre pays et qui exige que la parole publique donne du sens et des repères et non point sème la confusion, sans parler du malaise et du « mal-être » étudiants sur fond de précarité qui se généralise et qui devrait exiger de la Ministre en charge de ce secteur qu’elle ne se distraie pas de cette urgence.

En déclarant qu’elle voulait « commander une enquête » sur « l’islamo-gauchisme » dans notre université, la Ministre de l’enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, a non seulement déclenché une de ces polémiques inutiles dont notre pays et nos médias raffolent ; elle a surtout manqué une belle occasion de mettre le doigt sur un vrai problème.

Occasion manquée

Passons sur le choix malheureux du mot « enquête » qui résonne par trop comme accroché à l’action de la Justice ou de la police, ce qui n’est jamais innocent dans un milieu marqué par la tradition des franchises universitaires, quand le terme « étude » eût paru plus approprié. Les mots ont un sens, et un poids.

Le vrai problème n’est d’ailleurs pas celui qu’on croit. 

Tout le monde, médias et universitaires en tête, s’est précipité sur ce terme d’ « islamo-gauchisme » comme s’il s’agissait de l’horreur des horreurs. Cachez ce sein que je ne saurais voir....On a même lu et entendu que ce terme venait de l’extrême-droite et n’avait aucune valeur scientifique, ce qui ne manque pas de piment  quand on sait que le concept a été imaginé il y a une vingtaine d’années  par le politiste  Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS et l’un des tout meilleurs spécialistes de l’extrême-droite, justement.

Quant à ceux qui, comme Olivier Faure, déclarent qu’ils ne savent pas ce qu’est « l’islamo-gauchisme », on ne saurait trop leur recommander soit  de réfléchir à une définition simple et à la portée des lycéens du genre « rapprochement stratégique entre certains courant d’extrême-gauche et l’islam politique », ou bien, plus facile encore, de se souvenir de ce qui avait retenu les socialistes de participer à une manifestation fin 2019, place de la République - qui portait bien mal son nom ce jour-là- où,  sous l’égide du CCIF, cet islamo-gauchisme s’exprimait au grand jour. D’accord pour dire que l’initiative de Mme Vidal est mal venue et mal amenée, d’accord, aussi, pour s’essayer à réactualiser ou modifier une expression parce qu’elle s’est chargée d’un sens polémique qu’elle n'avait pas à l’origine ; mais il est absurde de nier le phénomène en lui-même, né des rapprochements de fait observés depuis longtemps, et qui ne font que s’amplifier.

Qu’on le renomme ou qu’on le prenne avec des guillemets, ce que nous préférons, « l’islamo-gauchisme » correspond à une réalité qu’on peut facilement rencontrer : à Trappes où certains semblent découvrir la lune comme dans la société tout entière, y compris au sein des universités, comme un courant de pensée politique. Et comme pendant de cette « islamophobie » qu’il dénonce à longueur de journée, en l’inventant même quand elle n’existe pas, en la martelant matin, midi et soir pour dissuader de toute critique de l’islamisme, fût-ce au grand dam de nombreux musulmans eux-mêmes, premières victimes de celui-ci. Reste que « l’islamo-gauchisme » n’est plus aujourd’hui qu’une partie d’un phénomène beaucoup plus large : la critique des Lumières au nom de l’Identité. Genre, « race », intersectionnalité et autres appels à tout « décoloniser » sont la novlangue d’une offensive qui ne cesse de s’étendre contre l’universalisme et le primat de la Raison, repeints aux couleurs blafardes de « l’Occident blanc patriarcal ».

Les nouveaux anti-Lumières

S’il n’y avait là qu’une bataille d’idées entre deux familles de pensées, entre deux postures, ce serait là le jeu normal, parfois vif, de la démocratie, et nous pourrions tranquillement renvoyer les combattants dos à dos au nom de la liberté d’expression. Or il est là, précisément, le vrai sujet en grande partie manqué par l’intervention de la ministre et la polémique qui s’en est suivi. Le vrai sujet, c’est celui du pluralisme et de la liberté d’expression à l’université et dans la recherche. Car quoi qu’en disent ses contempteurs, ce n’est pas l’Etat qui menace les libertés académiques aujourd’hui, mais bien ceux qui ont appelé à censurer, tour à tour, Marcel Gauchet, Sylviane Agacinski, les Suppliantes d’Eschyle , Elizabeth Badinter, le spectacle autour de la pièce de Charb, et même un ancien Président de la République venu faire une conférence à l’université de Lille ! Au-delà de ces exemples emblématiques, se déploie et tend à s’imposer au champ académique tout une pensée sectaire, jamais mieux résumée que par l’un de ses hérauts, le sociologue Geoffroy de Lagasnerie, qui déclarait au micro de France Inter le 30 septembre dernier : « Je suis contre le paradigme du débat et je l’assume. Il faut rétablir la censure dans l’espace public pour que les idées justes prennent le pouvoir sur les idées injustes ». Au moins, le programme est clair ! Et lorsqu’on voit la situation sur certains campus nord-américains où des enseignants sont poussés à la démission ou à d’humiliantes excuses publiques pour un mot de trop, on se dit que la menace est à prendre au sérieux.

Et, face à cette menace, on s’attriste de voir un pouvoir et une majorité écartelés, le porte-parole du gouvernement évoquant de « situations marginales si elles existent » (sic !)  au mépris de toute réalité, les mêmes s’écartelant dans un même temps sur le menu des cantines lyonnaises, débat dont chacun voit bien les arrières-pensées qui ne sont ni diététiques ni sanitaires !

Face à une majorité embourbée, à une droite comme anesthésiée par le débat sur le projet de loi confortant les principes républicains, et une extrême-droite toujours à l’affût dès qu’il s’agit de donner dans l’anti-intellectualisme le plus douteux, la gauche avait presque la partie facile pour poursuivre son intéressant redressement républicain et universaliste amorcé fin 2019 et dont nous nous étions réjouis en ces pages.

  
Une gauche sans boussole

Las, les mauvaises habitudes sont revenues à toute vitesse : d’abord sur l’affaire de Trappes où toute la gauche s’est retrouvée derrière le maire et toute la droite derrière l’enseignant quand la moindre des sagesses eût été de faire la part des choses dans une commune marquée par le record des départs en Syrie pour le jihad...et par une élection municipale à refaire dans laquelle tous les communautarismes électoraux sont à l’œuvre. Et, à nouveau, dans cette polémique sur « l’islamo-gauchisme » en se joignant à la bronca et en prenant la défense d’une gauche radicale qui, derrière Jean-Luc Melenchon, n’eut qu’un mot à la bouche : Islamophobie ! Au risque de sombrer dans les analogies les plus glauques en évoquant le « maccarthysme » et les chasses aux sorcières des années 1930 comme si les « islamo-gauchistes » d’aujourd’hui étaient dénoncés comme les « judéo-bolcheviques » de l’époque. Affligeant et déshonorant.

Que retiendront nos concitoyens de tout cela ? A en croire les enquêtes d’opinion, ils pensent très différemment de bien des responsables politiques, des médias et des pétitionneurs, fussent-ils universitaires. D’abord, ils pensent que « l’islamo-gauchisme » existe. A droite cela va sans dire, et dans l’électorat de Macron aussi nettement. Mais à gauche aussi et majoritairement ! Une fois de plus le décalage entre les citoyens et les élites est flagrant et ce constat devrait, pour le moins, faire réfléchir ceux qui font profession de connaître et de comprendre la société. De même qu’il devrait faire réfléchir ceux qui se lanceront dans la compétition électorale de l’an prochain : les plus audibles seront celles et ceux qui auront les idées claires sur ces sujets qui préoccupent les françaises et les français. Car ne nous y trompons pas : le devenir des sciences sociales n’intéresse sans doute qu’un public restreint, mais la fracturation culturelle et idéologique qui traverse notre pays est un sujet que nul responsable politique, digne de ce nom, ne doit ignorer.



Lu « La rafle des notables » d’Anne SINCLAIR paru chez Grasset.

 Un joli petit livre plein d’émotion qui résonne essentiellement comme le devoir de
mémoire d’une petite-fille à l’égard de son grand-père, un devoir accompli avec une sorte de soulagement tant cette histoire hantait l’auteure depuis son enfance.

Le 12 décembre 1941 a lieu à Paris la première rafle de grande envergure: 743 juifs sont arrêtés et internés au camp de Compiègne. On appelle cette rafle « la rafle des notables » car les juifs arrêtés étaient chefs d’entreprises, avocats, magistrats, enseignants, écrivains.... 743 dont Léonce Schwartz, le grand-père d’Anne qui en survécut miraculeusement après une hospitalisation au Val-de-Grâce et une évasion de celui-ci. Il survivra tant bien que mal et mourut quelques jours après la libération. Le camp de Compiègne était évidemment la première étape vers les camps de la mort où les prisonniers furent déportés en mars 42, après trois mois de vie dans des conditions épouvantables où la faim sévit comme une faucheuse odieuse : le camp de la mort lente....
Ces 743 « notables » furent vite rejoints par trois cent juifs étrangers venus de toute l’Europe qui s’étaient réfugiés en France croyant y trouver le refuge salvateur. Et c’est sans doute les conséquences de cette mixité, celle de ces deux groupes distincts de juifs emprisonnés, distincts mais réunis dans le même malheur tragique, qui m’a le plus passionné dans ces pages. Car ces deux groupes ne vivaient pas leur judéité de la même façon : les notables étaient des citoyens français très intégrés, français avant d’être juifs, beaucoup ne fréquentant pas les synagogues d’ailleurs, qui ne comprenaient pas pourquoi ils étaient là. Ou, en tout cas, qui ne comprenaient pas bien et pas tout de suite. Tandis que les étrangers, de conditions sociales beaucoup plus modestes, eux, savaient parfaitement que cette étape était la suite logique d’une ségrégation, d’une persécution qu’ils vivaient depuis des mois, des années...Cette confrontation, dans son récit et sa logique tragiques est assez bouleversante. 

Joli petit témoignage bien écrit, agréable à lire et ajoutant utilement à notre devoir de mémoire collectif.