Il
y a beaucoup de confusions et de paradoxes, voire de contradictions
dans les débats européens sur la crise sanitaire que nous
traversons. Pour poursuivre ces débats essentiels, essayons au moins
de les pointer du doigt :
-
Premier paradoxe : on accuse l’Europe d’avoir été défaillante
voire absente dans la gestion de cette crise. Mais l’Europe n’en
a jamais eu la compétence ! Il n’y a jamais eu de décision des
Etats-membres de transférer la compétence «Santé » à l’Union
pour en faire une « compétence commune» et de construire une «
Europe sanitaire ». Comment pourrait-on reprocher à l’Europe de
ne pas s’acquitter d’une tâche qu’on ne lui a pas confiée ?
-
Deuxième paradoxe : ce sont les euro-sceptiques et même, pour
parler franc, les nationalistes les plus anti-européens qui
s’acharnent aujourd’hui sur l’Europe pour dénoncer cette
soi-disant défaillance et qui, en même temps, se sont toujours
opposés et s’opposeraient encore demain à tout transfert d’une
nouvelle compétence de ce type. Et ces partisans de
l’intergouvernemental à tout crin ne vous diront jamais que c’est
justement celui-ci qui n’a pas fonctionné dans la gestion de cette
crise : voyez l’échec du programme de tests...
-
Troisième paradoxe : les mêmes anti-européens primaires ne
voudront jamais reconnaître que pour une compétence transférée et
mise en commun comme la compétence économique et financière,
l’Europe « ça marche », même en cas de crise majeure, même
après des discussions interminables, même avec les résistances
parfois insupportables des orthodoxes budgétaires de l'Europe du
Nord . Oui, ça finit toujours par marcher et cette fois encore ça
va marcher n’en déplaise aux oiseaux de mauvaise augure comme le
démontre courageusement la Banque centrale européenne ( voir plus
loin le cinquième paradoxe)
-Quatrième
paradoxe : les eurobéats se retranchent derrière ces deux premiers
paradoxes pour dédouaner l’Europe de toute responsabilité et,
comme d’habitude, fermer les yeux sur la réaction des peuples : si
on
ne
veut pas que les eurosceptiques nationalistes fassent leur beurre en
spéculant sur les soi-disant ratés de l'Europe, il faut que
celle-ci se saisisse de ce sentiment des peuples de son absence
face à la crise sanitaire et notamment face à la débandade pour le
lancement d’un « programme commun de tests ». En transférant la
compétence « Santé » et construisant une Europe de la Santé ?
Pas sûr que ce soit le meilleur moyen de défendre et promouvoir le
service public hospitalier... mais peut-être en créant une sorte «
d’état-major » de coordination des crises sanitaires, structure
légère et souple mais dotée de moyens véritables. On a attendu
beaucoup trop longtemps que Frontex soit dotée de vrais moyens après
la crise migratoire, ne recommençons pas la même erreur !
-
Cinquième paradoxe venu d'Allemagne avec l’injonction faite par la
Cour constitutionnelle de Karlsruhe donnant trois mois à la BCE pour
justifier son programme de rachat de dettes publiques ( preuve entre
parenthèses que l’Europe « ça marche ») . Mais la BCE est
indépendante ! Et indépendante en particulier face à ce genre
d’injonction nationale. Et vous savez pourquoi ? Parce que ce sont
les allemands qui ont exigé cette indépendance au moment de la
création de l’euro !! Helmuth Kohl - grand homme d’Etat- en
réponse à Mitterrand qui insistait pour la création de l’euro
dont les allemands, forts de leur mark, ne voulaient pas : « bon
d’accord mais à une condition : l’indépendance de la BCE. Nous
ne voulons pas revivre la création monétaire politique de
l’économie de guerre hitlerienne ... » Et l’euro naquit grâce
à ces deux hommes d’Etat avec l’indépendance de la BCE
.
Conclusion
: l’injonction de la cour allemande n’aura aucun effet grâce....
aux allemands !
Voilà
pourquoi, en matière européenne, il faut toujours se méfier des
paradoxes qui cachent de redoutables contradictions . Et, pour
poursuivre l’indispensable débat sur l’avenir de l’Europe,
savoir déjouer ces paradoxes....