dimanche 26 novembre 2017

Lu " L'ordre du jour" d'Eric Vuillard, paru chez Actes Sud, la belle maison d'édition arlésienne.


Ce roman vient d'obtenir le Prix Goncourt et cela m'amène à me poser la question : comment et pourquoi obtient-on le Prix Goncourt ?
Si c'est pour la belle écriture et la richesse du vocabulaire, on y est ! Tellement riche que j'ai même dû sortir mon dictionnaire une ou deux fois ...
Si c'est pour le thème choisi, on y est aussi ! 1938, l'annexion de l'Autriche par l'armée allemande et des anecdotes tellement nombreuses et croustillantes qu'on se demande toujours si on est dans un livre d'histoire ou dans un roman. Probablement l'histoire romancée...
Pour le reste, l'ouvrage manque un peu de cohérence et de profondeur.Dommage car ça se lit bien . Étonnant.

mardi 21 novembre 2017

Les images insoutenables d'une chaîne de télévision américaine révélant l'existence d'un véritable "marché aux esclaves" en Libye  , ont provoqué l'indignation, une condamnation sévère quasi-unanime, un haut-le-cœur, une colère, une révolte, bien légitimes. 


Comment en est-on arrivés là ?
Il y a trois ans, j'avais travaillé près d'un an sur la situation libyenne et rédigé un rapport pour la Commission des Affaires Étrangères de l'Assemblée que j'avais intitulé "L'urgence Libyenne". J'étais allé sur place - j'y étais quand l'ambassade de France a sauté- et j'ai rencontré longuement toutes les parties. Trois ans ont passé, l'urgence s'est aggravée, mais mon analyse de l'époque reste valable. 
Il faut avoir le courage de regarder en face notre part de responsabilité dans cette affaire, sans esprit polémique, mais avec honnêteté : en 2011 , l'intervention militaire franco-britannique décidée par le Président Sarkozy, avec David Cameron principalement, si elle a eu des effets "humanitaires " (je mets des guillemets à dessein) réels en protégeant la population de Benghazi d'un massacre annoncé par les troupes de Khadafi ( protéger cette population était d'ailleurs le cœur de la délibération de l'ONU), a eu malheureusement des effets négatifs non moins indéniables  et aujourd'hui avérés : d'une part, en "tordant" le mandat de l'ONU bien au-delà de cette seule protection des populations civiles pour la transformer en intervention "jusqu'à l'élimination de Khadafi", elle a brisé la confiance accordée à la parole de la France sur la scène internationale, à l'ONU notamment. Le Ministre russe des Affaires étrangères, n'a cessé de nous le répéter depuis, même s'il n'était pas le mieux placé pour le faire...
Et, d'autre part, une fois l'intervention achevée, la coalition n'a pas su, voulu ou pu ( il y a là une part de mystère pour moi ) imposer une politique "de l'après" pour accompagner la construction d'une démocratie et d'un état de droit. 
Comme les mots ont toujours un sens , je parle ici de "construction" et non de "reconstruction" dans la mesure où l'on peut se demander si un "État" a jamais existé en Libye : depuis des décennies, le pouvoir était accaparé, confisqué, par un clan familial qui, loin d'être obsédé par la construction d'un état moderne et efficace pour gérer la rente pétrolière -car la Libye est un pays riche !- a régné en s'appuyant sur les bonnes vieilles méthodes des dictatures, le népotisme, la violence et la corruption (et quelle corruption ! La Libye était le royaume de l'argent liquide : j'ai pu recueillir sur place un témoignage me parlant de "containers d'argent liquide "!) .
Et ce clan familial disparu, éliminé, qu'est-il resté des structures politico-administratives de la Libye ? Rien ....
C'est pourquoi, lorsque j'entends aujourd'hui des autorités politiques - en France comme sur la scène internationale -s'adresser aux autorités libyennes, j'ai envie de dire "quelles autorités libyennes"? Il y en a tant...
Le gouvernement ? Il y en a deux. Et un joli tour de passe-passe diplomatique a même fait que le label de "légitimité " accordé par la communauté internationale est passé de l'un à l'autre sans que la population libyenne y comprenne grand chose.
Le parlement ? Il y en a deux. Même musique.
Les forces armées ? Il y en a tant ...l'armée nationale du général Aftar, à l'Est, est sûrement la plus structurée, le gouvernement de Tripoli vivant au rythme des soubresauts des milices nombreuses et surarmées . Sans oublier la présence de lEtat Islamique , défait il y a quelques mois dans ses positions autour de Tobrouk mais dont tout le monde sait que les forces se sont dissoutes en se diffusant dans l'ensemble du territoire.
La réalité de la Libye d'aujourd'hui est claire : c'est un pays atomisé où règnent les tribus, les katibas, les milices. Un pays de désordre et d'anarchie où s'épanouissent tous les trafics . Les trafics de drogues, d'armes ( la rumeur ,hélas crédible, dit qu'il y aurait plus d'armes que d'habitants dans le pays) et, certains le découvrent aujourd'hui, trafics d'êtres humains.
Il y a plusieurs années que les observateurs attentifs ont connaissance des traitements épouvantables que nombre de Libyens infligent aux migrants de passage. Pour ceux-là, les images de CNN ne sont pas une surprise.
Voilà pourquoi, au-delà du légitime soutien que la communauté internationale, et l'Union européenne en particulier, doit à tous ceux qui mènent une action humanitaire en Méditerranée pour sauver ces malheureux qui ne fuient pas seulement la misère de leurs pays d'origine, mais aussi la barbarie d'un pays de passage, l'urgence politique est aussi, et peut-être surtout de rattraper la bévue de 2011 en accompagnant avec force la construction d'un état de droit en Libye.

samedi 18 novembre 2017

En janvier 2015, j'étais Charlie, expression de ma solidarité pleine et entière avec le journal satyrique ravagé par la barbarie. Je le reste.



Je le reste parce que je ne vois pas de raison objective, apparue depuis, qui puisse me faire changer d'avis.
Je le reste parce qu'il me paraît du devoir de tous les démocrates et les républicains de défendre la liberté d'expression et le droit à la caricature humoristique comme des valeurs fondamentales. 
Je le reste parce que, dans le combat laïque contre tous les obscurantismes religieux, l'équipe de Charlie, depuis des années, fait preuve d'un courage et d'une constance remarquables. 
Ca ne veut pas dire que Charlie soit ma " Bible" , ce serait un comble en la circonstance, ni que je partage tout des positions - d'ailleurs très diverses- de l'hebdo satirique. Ca veut dire que sur l'essentiel, il faut se rassembler.
Alors, dans la polémique actuelle entre Charlie et le patron de Mediapart, je reste Charlie, fermement, sereinement, indiscutablement.
Voilà pour le fond . Reste la forme : le poids des mots. Ces mots qui ont un sens et à qui, si on n'y prend garde, on peut faire dire n'importe quoi. Les mots de la langue française qui sont d'une richesse exceptionnelle, au point de recéler le meilleur... comme le pire. Or, dans le maniement des mots et leur manipulation, les réseaux sociaux jouent un rôle 
dramatiquement délétère. Je prends deux exemples , rencontrés lors de mes travaux parlementaires :
- lors d'un travail pour la Commission des Affaires Étrangères sur la " Géopolitique de l'eau" , je me suis rendu - notamment !- en Palestine et, décrivant le traitement infligé aux Palestiniens par l'Etat d'Iraël, dans ce domaine de l'accès à l'eau comme dans beaucoup d'autres, j'avais parlé d'une forme" d'apartheid ". Ce mot, je l'avais emprunté à Desmond Tutu, prix Nobel de la paix, dans les mêmes circonstances, et je l'avais longuement réfléchi, pesé, mûri . Quel séisme ! Pendant six mois les réseaux sociaux se sont déchaînés, animés par les milieux de la droite religieuse israélienne pour m'agonir d'injures, me traiter d'antisémite bien sûr , et me menacer y compris physiquement. Ce fut d'une violence rare.
- lors d'un autre travail parlementaire, ceux d'une mission d'information sur l'interdiction de la burqa dans l'espace public, nous avions auditionné le prédicateur Tariq Ramadan, celui qui, justement, est au cœur de la polémique dont je parle. Et, je dois le reconnaître, je n'avais pas été aimable avec lui : sans lui manquer de respect je lui avais dit combien je pensais que l'Assemblée Nationale de la République française, dans sa volonté respectable d'écouter toutes les opinions, lui faisait  un cadeau tout à fait démesuré en lui accordant une respectabilité qu'il ne méritait pas. Notre échange fut tendu et je ne le regrette pas, aujourd'hui moins que jamais, maintenant que la vérité de cet homme s'éclaire d'un jour si peu reluisant. Aurais-je eu raison trop tôt ? 
Là encore, quel déchaînement sur les réseaux sociaux !!  J'étais , pour le coup, le raciste anti-arabe de service, l'ennemi de l'islam et le suppôt du sionisme destinataire de la même violence verbale et, bien sûr, des mêmes menaces.
Pourquoi dis-je cela ? Parce que le débat public mérite la mesure, le respect de l'autre et de ses idées, qui suppose aussi le respect du poids des mots. Ces mots qui ont un sens avec lequel il ne faut pas jouer dans notre monde  de violence où le terrorisme est là, présent chaque jour et partout, prêt à se jeter sur n'importe quel prétexte.
Le devoir de tous les démocrates, de tous les républicains est de débattre, bien sûr, de confronter les idées, toujours, de faire vivre la démocratie avec ce souci permanent de la liberté d'expression, mais dans la mesure des mots .
Voilà pourquoi la phrase de Monsieur Edwy Plenel, qualifiant la une de Charlie comme "faisant partie d'une campagne générale de guerre aux musulmans " est dangereuse, irresponsable, condamnable.

mardi 14 novembre 2017

Lu enfin "La disparition de Josef Mengele" d'Olivier Guez, paru chez Grasset.


L'histoire romancée de la fuite du médecin-chef, tortionnaire d'Auschwitz, après guerre en Amérique du Sud, d'Argentine au Paraguay puis au Brésil.
    L'histoire d'une traque qui se termine curieusement puisque, alors qu'il a les commandos du Mossad aux trousses, mais aussi les " chasseurs de primes" alléchés par les récompenses promises, Mengele mourra, non pas de sa belle mort - il n'y en a pas de belle pour un homme pareil - mais  curieusement, presque tranquillement , sur une plage brésilienne , en 1979. Plus de trente ans de traque ! Voilà ce que raconte ce roman, historiquement intéressant mais sans beaucoup d'affect...

Lu encore " Le nouveau pouvoir " de Régis Debray, paru aux éditions du Cerf-volant .


Après le regard de l'historien , celui de Jean-Noel JEANNENEY dans " Le moment Macron", si riche et si pertinent, voici celui du philosophe politique qui, derrière le changement politique, voit surtout une profonde mutation culturelle. Une mutation qui, grosso modo, verrait l'avènement planétaire d'une civilisation née-protestante. L'essai, bref mais plein de punch, profond mais didactique, parfois un peu rapide et tendant à la manipulation de concepts à haute dose, ne manque pas de pertinence. Sa référence à Paul Ricoeur , comme possibilité pour la France, de n'être plus une île, est moins convaincante... 

lu toujours " La Fontaine, une école buissonnière"  de l'ami Erik ORSENNA,


publié par Stock en collaboration avec France Inter puisque ce livre est le fruit direct de la chronique que tint notre académicien sur cette radio à l'été 2017. 
Comme toujours avec Erik, les choses sont légères, gaies, vivantes, virevoltantes, parfois un peu faciles. La lecture n'en est que plus aisée ! On découvre pleins de facettes de la vie du génial poète qui fut aussi pauvre que primesautier et mourut dans une repentance religieuse un peu pathétique. 
J'ai découvert, pour ma part , l'existence des " Contes" de La Fontaine, des écrits coquins, érotiques, choquants pour l'époque et donc gardés sous le couvert, mais qui paraîtraient aujourd'hui bien légers. Et puis ces fables, toutes ces fables qui ont tant bercé notre enfance, marqué même toutes nos vies par leurs maximes morales si souvent reprises, oui ces fables restent un joli régal littéraire dans un genre par  trop oublié.

Lu aussi "Lettre ouverte aux animaux " (et à ceux qui les aiment) de Frederic Lenoir, paru chez Fayard.


Un plaidoyer sérieux et équilibré en faveur de la cause animale, une cause que je sers à ma façon : j'ai été le parlementaire qui a fait adopter par le Parlement l'article reconnaissant, dans le Code civil, que les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité et non plus des biens meubles ou immeubles comme c'était le cas jusque là, après un long combat mené avec la Fondation 30 millions d'amis. Et j'en suis plutôt fier.  
Ce livre sert plutôt bien cette belle cause. Mais Boris Cyrulnik ou Elizabeth de Fontenet ont fait beaucoup plus convaincant.

Lu encore " s'il ne restait qu'un chien" de Joseph Andras, l'auteur de " De nos frères blessés" paru chez Actes Sud.


Le livre est vendu avec un CD où le texte est lu et mis en musique par D' de Kabal. J'avais découvert ce court texte (une quarantaine de pages) lors de  mon heureuse visite au festival Ciné -Salé du Havre, où il avait été lu (remarquablement d'ailleurs) par Philippe Torreton.
La grande originalité de cet ouvrage, c'est de voir le port du Havre qui s'exprime à la première personne dans un texte poétique, rugueux et engagé qui survole l'histoire, longue et tumultueuse du port normand . Intéressant.

Lu, toujours, ( je lis beaucoup ces jours-ci, rapport à un séjour sur l'océan, une sorte de navigation..), " Un fauteuil sur la Seine" de Amin Maalouf , paru chez Grasset.


En général, j'apprécie  beaucoup le travail de Maalouf, prix Goncourt il y a une quinzaine d'années pour " Le rocher de Tanios", devenu académicien depuis. Mais quand on apprécie, on devient exigeant, sauf à tomber dans je ne sais quelle idolâtrie. Et là, déception. Maalouf s'est mis dans la tête de raconter la vie  des dix-huit personnalités (tous des hommes !) qui l'ont précédé dans son fauteuil, le 29ème, à l'Académie. Alors, certes, on y trouve Ernest Renan, Montherlant , André Siegfried ou Claude Levi-Strauss, mais ce survol a quelque chose d'un cours de culture générale pour étudiants de khâgne où l'on apprend certes deux ou trois choses mais où l'on s'égare aussi dans le superflu. 

Lu aussi " Comment lire avec les oreilles, et 40 autres histoires sur le cerveau de l'homme" de Laurent COHEN, paru aux éditions Odile Jacob.


Laurent COHEN est Professeur de neurologie à l'hôpital de la Pitié -Salpêtrière et chercheur à l'ICM, l'Institut du Cerveau et de la Moelle épinière, un centre de recherche en neurosciences dont je parle peu, pas assez sans doute, parce qu'il relève plutôt du " jardin secret" de ma vie et qu'il est l'objet d'une de mes plus grandes fiertés.
Je suis membre fondateur de l'ICM, et Secrétaire Général de sa Fondation, tout cela bénévolement bien sûr, il vaut mieux le préciser par les temps qui courent où la suspicion fait tant de dégâts. Depuis une quinzaine d'années, j'ai passé beaucoup de mon temps libre à concevoir, financer, construire et, désormais développer cet Institut de recherche qui regroupe plus de 700 chercheurs dans tous les domaines des neurosciences et des maladies du cerveau, dans un immeuble ultra-moderne et équipé des matériels les plus sophistiqués. Cette histoire est celle d'une bande de copains qui voulaient faire, ensemble, quelque chose d'utile à la société, et qui ont pensé qu'aider au progrès de la connaissance dans ce domaine central pour la connaissance de l'homme et pour lutter, guérir un jour, contre les maladies qui ravagent toutes nos familles : Alzheimer, Parkinson, Épilepsie, Sclérose en plaques, et toutes ces maladies dégénératives du cerveau qui obscurcissent tant de vieillesses. Cet Institut est désormais aux mains des chercheurs, hommes et femmes merveilleux d'abnégation , remarquables de modestie, débordant de projets et d'ambitions, et fascinant par leur humble pédagogie.
Laurent COHEN est l'un d'entre eux et vous avez peut-être entendu sa chronique régulière sur France-Inter ces derniers mois. Il fait ici, oeuvre d'une belle pédagogie sur l'état des connaissances sur le cerveau  à partir d'expériences concrètes et faciles à comprendre : tant d'avancées fascinantes et tant de domaines  à défricher. L'étude du cerveau est un domaine où les connaissances vont exploser dans les années qui viennent et cela rend cette aventure d'autant plus enthousiasmante. 

Voilà encore un bien beau livre : " L'art de perdre " d'Alice Zeniter paru chez Flammarion.


Un ouvrage d'un grande sensibilité, d'une humanité remarquable, sur un sujet difficile et douloureux : les relations France- Algérie vues à travers la saga, sur trois générations,  d'une famille de harkis arrivés en France en 1962 et maltraités de camp en camp par une République bien peu reconnaissante , avant de se voir " implantés " dans l'Orne, dans une cité de Flers peu reluisante. 
 Ces harkis sont kabyles, ce peuple si fier et rebelle, qui s'affirme " kabyle, pas arabe ". Comment devenir français, contre tous les racismes ordinaires (mais le racisme peut-il être ordinaire ?) et en dépit de tous les obstacles à l'intégration que nourrit une République si défaillante. Défaillante encore que ...sur trois générations, ça fonctionne plutôt bien. Comment devenir français quand, ici on vous traite de "sale arabe" et, là-bas , de "sale français"? Et faut-il, peut-on retourner en arrière, c'est-à-dire revenir en Algérie ? Ne serait-ce que pour comprendre ce que les générations d'avant n'ont pas voulu (ou pas pu)  dire ?  
Cette thématique du "plus vraiment algérien, pas encore français" est traité, par cette histoire familiale,  avec une grande mesure et , je l'ai dit plus haut, sensibilité et humanité. Très beau livre.