mardi 19 janvier 2021

Lu les deux derniers ouvrages de Régis Debray, «D’un siècle l'autre » paru chez Gallimard et le tract-Gallimard intitulé « France laïque ».

 Et Régis que je connais depuis longtemps et dont j’apprécie la virtuosité


intellectuelle, le brio culturel et le style ciselé et flamboyant à la fois, en vient à me décevoir et me déconcerter.

« D’un siècle l’autre » est une œuvre autobiographique sous forme de vaste divagation intellectuallo-philosophique sur la vie de l’auteur. Pour tout dire, ça part dans tous les sens....ça part dans tant de sens et à une telle vitesse, qu’on se sent perdu, distancé, et parfois même ignare tant le philosophe, en la circonstance, sait se montrer ésotérique en diable ! Il y a bien deux ou trois passages où il prend son temps, se montre pédagogue et convaincant comme son éloge d’ Auguste Comte ou son analyse amusante sur la crise «présencielle-distancielle » que nous traversons, ou bien encore son retour sur l’enseignement des faits religieux dans l’école laïque, mais ils sont bien rares ! Quant à son approche désormais classique sur le besoin de sacré qu’il n’aborde que dans les dernières pages pour suggérer qu’il puisse désormais s’appliquer à la nature et à l’écologie, il en dit si peu que ça nous laisse sur notre faim. Sur notre faim avec un soupçon d’inquiétude : Régis suggèrerait-il que « la terre ne ment pas » ou que « la nature est bonne mais l’homme mauvais » ?


Quant à « France laïque », un tract de quelques dizaines de pages qui n’est publié par Gallimard que sous forme d’e-book, c’est un écrit carrément déconcertant : Régis qui fut un des premiers intellectuels français avec Elizabeth Badinter ou Catherine Kintzler à signer un appel à la vigilance en 1989 lors de l’affaire du voile de Creil, première épisode de l’offensive islamiste dans notre pays, épisode sans doute sous-estimé à l’époque par toute la Gauche, de Mitterrand à Rocard en passant par Jospin et Joxe ou le Parti Communiste dans laquelle je m’inclus bien sûr), Régis, donc qui depuis n’a jamais cessé de défendre la République laïque, notamment par ses contributions à la Fondation « Res-Publica » , opère là un volte-face assez ahurissant. Son message devient quelque chose comme « France laïque ? Bof... tout cela est dépassé, la laïcité ne peut pas servir de boussole tant elle est incomprise à travers le monde.... et quant à la liberté d’expression, il faut savoir en user avec modération »....Bref, une bouillie de chat invraisemblable et incompréhensible ! Alors je m’interroge : pourquoi ce changement, ce volte-face, cette contradiction ? Est-ce simplement le dandysme d’un enfant gâté qui recherche l’originalité et le clivage à tout prix ? J’avance une autre hypothèse que je retiens de son ouvrage « D’un siècle l’autre » justement :
Régis y affirme son bonheur d’avoir toujours été minoritaire... ce revirement serait-il donc un bon signe ?

mercredi 6 janvier 2021

Lu « Change ton monde » de Cédric Herrou paru aux éditions LLL (Les Liens qui Libèrent).

 Cédric Herrou est ce niçois issu d’un quartier très populaire de Nice, petit-fils


d’immigrés italiens qui, après un échec scolaire et un début de vie active tumultueux fait d’errance et de petits boulots, a fini par s’installer comme agriculteur dans le haut-pays niçois, dans la vallée de la Roya très exactement, une vallée si enclavée que pour la rejoindre depuis Nice, il vaut mieux passer par l’Italie. Il y élève donc des poules et cultive une oliveraie sur trois hectares et vend tant bien que mal ses productions sur les marchés locaux.

En 2016, sa vie bascule : il recueille en pleine nuit, au bord de la route qui le mène chez lui, une famille de migrants Érythréens égarés, apeurés, assoiffés, crevant de faim....et depuis, il a accueilli des milliers d’exilés, leur tendant la main dans un geste élémentaire de fraternité. Cédric Herrou a fait la une des journaux, est devenu une vedette médiatique malgré lui, pourchassé par les diatribes des élus de droite extrême et d’extrême droite de la Région ( Ah ! Ce Monsieur Ciotti, son meilleur ennemi, que l’on retrouve tout au long du livre jetant de l’huile sur le feu, attisant les peurs et les haines....est-il de droite-extrême ou d’extrême-droite celui-là ? Cet obsédé des frontières terrestres a su effacer cette frontière idéologique-là ! ). Mais Cédric Herrou a aussi été harcelé par la justice, la police, la gendarmerie : 11 fois mis en garde à vue, « victime » (j’ose dire le mot) de procès, perquisitions, saisies abusives. Relaxé à chaque fois tandis qu’il a fait condamner le Préfet des Alpes Maritimes à de nombreuses reprises pour abus de pouvoir...
C’est là que ce livre est édifiant et balaye les quelques réticences que l’on pourrait encore avoir. Car Cédric Herrou n’est pas un « écolo-gauchiste » irresponsable et encore moins un révolutionnaire : il connaît par cœur la législation française en matière d’immigration, les jurisprudences du Conseil Constitutionnel et du Conseil d’Etat et ne demande rien d’autre que leur application. Il n’enfreint pas les lois et, en particulier n’est pas un « passeur » ( il s’insurge même, contre l’attitude de l’Etat, qui ferme les yeux devant les réseaux de passeurs qui exploitent les migrants). Il s’insurge contre une Administration, un État et l’Europe qui se trompent de combat, qui enfreignent la loi, qui tournent et le dos au devoir de fraternité. Un devoir de fraternité que son long et difficile mais honorable combat a fini par faire reconnaître par le Conseil Constitutionnel dans sa décision « historique » de juillet 2018.
Aujourd’hui, Cédric Herrou a fui les projecteurs qu’il n’aime pas particulièrement et, là-haut, dans sa vallée de la Roya, il a fondé la première communauté paysanne de la Fondation Emmaüs. Parcours éminemment respectable.

lundi 4 janvier 2021

A tous et à toutes amis lecteurs de ce blog ou de cette page, je souhaite une très bonne année 2021.

 

Que votre vie soit douce ! Aussi douce que possible ...
Pour nous tous, que nous sortions de cette période pénible et que l’on retrouve la joie, le bonheur de relations sociales riches, le goût de l’autre, le plaisir du contact et de l’échange direct, la fête en famille ou entre amis, la preuve que la culture est un bien ESSENTIEL ....
Pour notre pays, que la rationalité l’emporte sur tous les obscurantismes, la passion de la vérité sur tous les complotismes, que l’esprit-critique et le libre-arbitre voient s’épanouir mille fleurs contre toutes les vérités assénées et les jugements à l’emporte-pièce, que le goût du commun, de tout ce qui nous réunit l’emporte sur nos divisions et nos particularismes.
Que la République soit un peu plus laïque, démocratique et sociale en 2021 !!

Lu « Le bonheur, sa dent douce à la mort. Autobiographie philosophique » de Barbara Cassin paru aux éditions Fayard.

 Barbara Cassin est philosophe, Normalienne, qui se targue presque d’avoir échoué
plusieurs fois à l’agrégation, et directrice de recherche émérite au CNRS. Son autobiographie philosophique est très originale parce qu’elle part d’anecdotes vécues, et plus précisément de phrases entendues dans la bouche d’interlocuteurs divers pour...philosopher.
Ça commence par son fils, jeune enfant qui, quand elle l’interroge sur l’origine d’une forte odeur et lui demande si il a fait dans sa culotte, lui répond avec appoint « bien sûr que non » puis se tourne vers le miroir qui est devant lui et dit en se regardant « menteur! ». Et voila notre auteure de disserter sur le mensonge et la vérité.
Cela se poursuit avec sa rencontre avec René Cassin, le grand René Cassin, un oncle  qui la reçoit après 1968 quand elle s’interroge sur son avenir et son orientation et lui dit « apprend la sténo »...elle ne l’a plus jamais revu !
Et puis sa rencontre avec René CHAR, connu dans un séminaire de philosophie et avec lequel elle eut une liaison et qui, alors qu’elle repart de sa maison du Lubéron au volant de sa Méhari, lui fait de grands signes qu’elle voit dans son rétroviseur et, la rattrapant en courant, dépose quelques pièces de monnaie sur son tableau de bord « pour le péage »...René Char l’immense poète et philosophe et sa simplicité pratique et délicate.
Dans ce séminaire, elle fréquente Heidegger, ponte ( « pape » ?) de la philosophie moderne. Mais on sait les liens troubles et coupables que celui-ci entretint avec le régime d’Hitler dans l’Allemagne d’avant-guerre. Alors un jour, dans un bureau de poste de ce même Lubéron où se tenait ce séminaire chez Char, un homme entendant son nom au guichet lui dit «  et vous fréquentez ce nazi ?! ». Heidegger le compromis, fréquentait Char le grand résistant. De quoi philosopher effectivement...
Il y a un épisode qui m’a particulièrement ému et passionné compte tenu de mes liens anciens et amoureux avec l’Afrique du Sud de Mandela que j’ai rencontré plusieurs fois et qui aura marqué profondément mon engagement politique, c’est celui qui relate la participation de Barbara Cassin aux travaux de la Commission « vérité et réconciliation » présidée par Desmond Tutu et crée à l’instigation de Mandela pour « expurger » toutes les violences barbares du temps de l’apartheid et tourner la page par le seul fait de dire les choses, les dire publiquement et sereinement, afin d'éviter un bain de sang de la vengeance tous azimuts . A un moment, la femme d’un avocat des droits de l’homme, sauvagement assassiné dit «  Il y avait des morceaux de mon mari partout dans notre garage, comment voulez-vous que je pardonne ? ». Réponse de la présidente de séance : «  Ma sœur, nous te comprenons et te soutenons. Nous ne te demandons pas de pardonner mais nous, nous allons amnistier ». Pas d’autre sanction que la honte, c’est ce que notre philosophe appelle « l’équation amorale »....
Enfin, il y a cette phrase que le mari de l’auteure prononce alors qu’il rentre de voyage plus tôt que prévu et qu’ils se retrouvent par hasard sur le trottoir devant chez eux , elle revenant d’une nuit de « liberté » : « j’aime quand ton corps est gai »...
Comme elle le dit elle-même , « je l’aime parce qu’Etienne est bon ». Etienne qui va mourir mais qui, dans son agonie va lui faire connaître des moments de partage exaltants : «  dans son agonie, nous étions merveilleusement heureux »... paradoxe des paradoxes. 
Ce livre est passionnant, vivant, dérangeant dans le bon sens du terme. C’est celui d’une femme libre assurément qui raconte une vie riche, assurément riche. Alors, bien sûr, il y a un long chapitre où « les philosophes parlent aux philosophes » dans un verbiage non pas abscons mais suffisamment obscur pour ennuyer mais le reste est plein de ce charme intellectuel dont on ne peut que raffoler.