Jean Glavany : "L'Observatoire de la laïcité doit se
pencher sur la neutralité religieuse à l'université"
Article du Monde, paru le 11.09.2013
ENTRETIEN. propos recueillis par Stéphane Le Bars
Jean Glavany
est l'un des spécialistes de la laïcité au sein du Parti socialiste. Membre de
l'Observatoire de la laïcité, le député des Hautes-Pyrénées, auteur de La
Laïcité (éd. Héloïse d'Ormesson, 2011), se félicite, comme plusieurs
responsables politiques de gauche et de droite, de l'affichage, depuis lundi 9
septembre, d'une charte de la laïcité dans les établissements scolaires, tout
en prônant davantage de "pédagogie" sur la question.
Il estime en
outre que l'Observatoire de la laïcité, installé en avril par François Hollande
et présidé par Jean-Louis Bianco, doit se pencher sur le respect de la laïcité
dans l'enseignement supérieur, sous peine de manquer de
"crédibilité". Une approche qu'il devait défendre, mardi 10
septembre, lors de la réunion de rentrée de l'Observatoire.
Le ministre de l'intérieur, Manuel
Valls, a estimé que les préconisations du Haut Conseil à l'intégration (HCI)
sur la laïcité dans l'enseignement supérieur ("Le Monde" du 6 août) –
qui proposait, entre autres, d'interdire le port de signes religieux "dans
les salles de cours" – étaient "dignes d'intérêt". M. Bianco a,
lui, assuré que "la question du foulard à l'université n'est pas, à ce
stade, à l'ordre du jour de l'Observatoire". Quelle est votre position sur
la neutralité religieuse à l'université ?
Je pense
que, naturellement, l'Observatoire doit se saisir de ce sujet. Dire, comme
certains de ses membres l'ont fait, "circulez, il n'y a rien à voir",
ne paraît pas être le meilleur moyen de crédibiliser cette instance créée il y
a six mois. L'Observatoire a besoin de trouver sa place ; il la trouvera par
ses avis, après débats, après écoute. C'est une occasion d'asseoir sa
crédibilité.
Par
ailleurs, sur le fond de la question, j'ai plutôt tendance à faire confiance
aux personnes qui ont fait ce travail pour le HCI. Je ne dis pas qu'il faut
prendre pour argent comptant tout ce qui y est écrit, mais il nous revient de
regarder nous-mêmes les choses et d'enclencher ce travail.
Malheureusement,
ce débat est biaisé, car il a été ramené au seul problème du voile. Or, à
l'université, il ne se pose pas du tout de la même manière qu'à l'école, à la
fois parce que les jeunes femmes sont majeures et parce que le statut juridique
de l'enseignement supérieur est particulier, très protecteur des libertés. Mais
dans ce rapport, il y avait d'autres points, comme la contestation de certains
enseignements, la remise en cause du darwinisme, par exemple, ou des problèmes
de mixité.
Que pensez-vous des propos du
Défenseur des droits, Dominique Baudis, qui prône une "clarification des
zones grises" en matière de laïcité et demande de "lever les
ambiguïtés législatives" ?
Je les
partage, au moins dans la forme. La laïcité a besoin d'être expliquée ; il faut
informer sur les différences d'approche, selon les endroits, selon les espaces,
selon les cas. Il y a des gradations en matière de laïcité. Avant de se
précipiter sur ces sujets à la suite d'un rapport, d'une polémique ou d'une
décision de justice , il y a un besoin de pédagogie sur l'histoire du droit
français. C'est un préalable avant toute modification de ce droit. Les gens ne
comprennent plus forcément pourquoi l'école est plus laïque que l'espace
public, et pourquoi l'espace public est plus laïque que l'espace privé.
Dans ce contexte, que pensez-vous de
la Charte de la laïcité instaurée, lundi, dans les établissements scolaires ?
J'aurais
aimé que l'Observatoire en soit formellement saisi. Cela aurait été, là encore,
une occasion de le positionner. Cela dit, cette charte est une bonne nouvelle
pour la laïcité. Le volet sur le respect et le vivre-ensemble est bien fait,
même si on aurait pu insister sur le dépassement des différences, nécessaire à
l'intérêt général. Mais, autour de cette charte, une pédagogie, des débats,
vont s'organiser ; on est bien dans la morale laïque.
Le président du Conseil français du
culte musulman, Dalil Boubakeur, a regretté, lundi, que "90 % des
musulmans allaient se sentir visés" par cette Charte. Partagez-vous cette
inquiétude ?
Les
musulmans qui pensent cela ont tort sur le fond et la forme. Rien dans la
rédaction de la Charte ne sous-entend une telle logique. Ce qui les rassurera,
c'est la pédagogie des enseignants. Tous les intégrismes religieux doivent être
traités de la même manière. Et si je veux bien admettre que l'intégrisme
musulman est peut-être le plus inquiétant, on a bien vu dans les manifestations
contre le "mariage pour tous" un intégrisme religieux qui n'était pas
musulman. Si on se concentre sur l'islam, on va faire une erreur majeure et
enclencher un processus désintégrateur.
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