lundi 4 janvier 2021

Lu « Le bonheur, sa dent douce à la mort. Autobiographie philosophique » de Barbara Cassin paru aux éditions Fayard.

 Barbara Cassin est philosophe, Normalienne, qui se targue presque d’avoir échoué
plusieurs fois à l’agrégation, et directrice de recherche émérite au CNRS. Son autobiographie philosophique est très originale parce qu’elle part d’anecdotes vécues, et plus précisément de phrases entendues dans la bouche d’interlocuteurs divers pour...philosopher.
Ça commence par son fils, jeune enfant qui, quand elle l’interroge sur l’origine d’une forte odeur et lui demande si il a fait dans sa culotte, lui répond avec appoint « bien sûr que non » puis se tourne vers le miroir qui est devant lui et dit en se regardant « menteur! ». Et voila notre auteure de disserter sur le mensonge et la vérité.
Cela se poursuit avec sa rencontre avec René Cassin, le grand René Cassin, un oncle  qui la reçoit après 1968 quand elle s’interroge sur son avenir et son orientation et lui dit « apprend la sténo »...elle ne l’a plus jamais revu !
Et puis sa rencontre avec René CHAR, connu dans un séminaire de philosophie et avec lequel elle eut une liaison et qui, alors qu’elle repart de sa maison du Lubéron au volant de sa Méhari, lui fait de grands signes qu’elle voit dans son rétroviseur et, la rattrapant en courant, dépose quelques pièces de monnaie sur son tableau de bord « pour le péage »...René Char l’immense poète et philosophe et sa simplicité pratique et délicate.
Dans ce séminaire, elle fréquente Heidegger, ponte ( « pape » ?) de la philosophie moderne. Mais on sait les liens troubles et coupables que celui-ci entretint avec le régime d’Hitler dans l’Allemagne d’avant-guerre. Alors un jour, dans un bureau de poste de ce même Lubéron où se tenait ce séminaire chez Char, un homme entendant son nom au guichet lui dit «  et vous fréquentez ce nazi ?! ». Heidegger le compromis, fréquentait Char le grand résistant. De quoi philosopher effectivement...
Il y a un épisode qui m’a particulièrement ému et passionné compte tenu de mes liens anciens et amoureux avec l’Afrique du Sud de Mandela que j’ai rencontré plusieurs fois et qui aura marqué profondément mon engagement politique, c’est celui qui relate la participation de Barbara Cassin aux travaux de la Commission « vérité et réconciliation » présidée par Desmond Tutu et crée à l’instigation de Mandela pour « expurger » toutes les violences barbares du temps de l’apartheid et tourner la page par le seul fait de dire les choses, les dire publiquement et sereinement, afin d'éviter un bain de sang de la vengeance tous azimuts . A un moment, la femme d’un avocat des droits de l’homme, sauvagement assassiné dit «  Il y avait des morceaux de mon mari partout dans notre garage, comment voulez-vous que je pardonne ? ». Réponse de la présidente de séance : «  Ma sœur, nous te comprenons et te soutenons. Nous ne te demandons pas de pardonner mais nous, nous allons amnistier ». Pas d’autre sanction que la honte, c’est ce que notre philosophe appelle « l’équation amorale »....
Enfin, il y a cette phrase que le mari de l’auteure prononce alors qu’il rentre de voyage plus tôt que prévu et qu’ils se retrouvent par hasard sur le trottoir devant chez eux , elle revenant d’une nuit de « liberté » : « j’aime quand ton corps est gai »...
Comme elle le dit elle-même , « je l’aime parce qu’Etienne est bon ». Etienne qui va mourir mais qui, dans son agonie va lui faire connaître des moments de partage exaltants : «  dans son agonie, nous étions merveilleusement heureux »... paradoxe des paradoxes. 
Ce livre est passionnant, vivant, dérangeant dans le bon sens du terme. C’est celui d’une femme libre assurément qui raconte une vie riche, assurément riche. Alors, bien sûr, il y a un long chapitre où « les philosophes parlent aux philosophes » dans un verbiage non pas abscons mais suffisamment obscur pour ennuyer mais le reste est plein de ce charme intellectuel dont on ne peut que raffoler.


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