(article rédigé à partir du sujet
de l’émission de RFi du 20 mars).
Quand des
questions relatives à l’expression de convictions religieuses sont posées dans
les entreprises, a fortiori si elles le sont sous le coup d’une offensive du
radicalisme…, il ne faut pas dramatiser en disant qu'il y a des problèmes qui
se posent partout avec une violence inouïe. Mais il y a des problèmes qui se
posent et il ne faut pas se masquer les yeux, il faut les regarder
tranquillement, sereinement et lucidement. Je vais prendre deux exemples que
j'ai vécu comme législateur, deux exemples très différents mais qui posent
la même question. Un exemple d'une crèche dont vous avez entendu parler qui s'appelle
Baby loup, dans les Yvelines, tenue par une jeune femme originaire d'Amérique
du Sud, très courageuse, qui avait monté une crèche, cette crèche Baby Loup
faite pour les personnes de quartiers populaires des Yvelines, une crèche qui
travaillait 24h/24h c'est à dire au fond très adaptée à des boulots de femmes
de ménage, très tôt le matin, ou très tard le soir, une crèche qui travaillait
en 3-8 et qui rendait des services considérables. Un incident survient : une
de ses salariées qui était partie en congés revient voilée de la tête aux pieds
–ce qu’elle n’avait jamais fait avant !- dans une sorte de provocation. La
directrice de la crèche lui dit: "non c'est pas possible, ici c'est un
espace laïque, on reçoit des gens de toutes les confessions, on reçoit des
gosses en très bas âge, c'est une sorte de service public, même si ça n'est pas
un service public au sens juridique du terme...". Et l'affaire part en
conflit devant la justice, où elle a trainé pendant des années, pendant 4, 5,6
ans jusqu'à ce que la cour de cassation, in fine, tranche en faveur d'ailleurs
de la directrice de la crèche en allant dans son sens en disant: on peut
interdire.
Mais cela
avait duré beaucoup trop de temps parce que justement la loi n'était pas claire
et que des tribunaux avaient jugé de manière différente le sujet.
Deuxième
exemple, une entreprise très connue de collecte et de traitement des déchets
qui s'appelle PAPREC, avec des milliers de salariés, des dizaines de
nationalités parmi les salariés et qui décide de négocier, dans le règlement
intérieur de l'entreprise, avec les syndicats des salariés une Charte de la
Laïcité. Et cette Charte est adoptée par un referendum dans l'entreprise à
l'unanimité : tous les syndicats la votent, et ça se passe très bien.
Oui mais cette
Charte, de fait est fragile juridiquement, au sens où l'entreprise PAPREC est
un lieu privé où les règles de laïcité ne s’appliquent pas. C'est pour cela
qu'avec d'autres parlementaires, notamment Françoise Laborde sénatrice de
Haute-Garonne avec qui je travaille beaucoup sur ces problèmes de laïcité, nous
avons voulu, dans une loi que vous connaissez bien puisqu'elle a défrayé la
chronique pendant des mois et qu'elle continue, la loi El Khomri du 8 août
2016, nous avons voulu proposer une disposition qui mette fin à ces
atermoiements d'un côté ou à ces illégalités de l'autre. Il ne s'agit pas
d'interdire, mais il s'agit de ne pas s'interdire d'interdire.
Parlons donc
de cette notion d’ « interdit ».
Il faut
savoir que quand on parle des valeurs de la République et la Laïcité en est une
fondamentale, il y a toujours eu deux écoles extrêmes : ceux qui maniaient
l'interdit matin, midi et soir si vous voyez ce que je veux dire, surtout quand
ils regardent une religion, une seule: interdire, interdire, interdire le voile
le matin, le midi et le soir. La passion de l'interdiction.
Puis il y en
a d'autres qui ont, au contraire la passion de la Liberté: tout autoriser, y
compris ce que l'on a connu dans l'idéologie de 68, il est interdit d'interdire.
Et bien la
République c'est un subtil équilibre entre les deux ! Il ne s'agit pas
d'interdire tout, il ne s'agit pas de permettre tout, il s'agit de permettre et
parfois d'interdire. Et la République doit se donner les moyens d'interdire. Et
c'est ce que nous avons fait dans cet article de la loi El Khomri. On a dit que
le règlement intérieur peut, non pas doit, mais peut contenir des dispositions
portant restriction de liberté religieuse, et il dit les conditions dans
lesquelles on pouvait le faire:
1. Si ces
restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés, c'est toujours:
ma liberté finit la où commence celle des autres, donc un conflit entre des
libertés.
2. si c'est
lié au bon fonctionnement de l'entreprise et à condition que ça soit
proportionné au but recherché.
Voilà
l'équilibre qu'on a trouvé. Donc il s'agit de dire : oui c'est possible, ça
veut pas dire qu'il faut le faire tout le temps, ça ne veut pas dire qu'il ne
faut jamais le faire, ça veut dire qu'il faut le faire avec raison et
rationalité.
Et je crois
que, ce faisant, nous avons fait progresser la Laïcité dans le droit français
alors que certains nous assenaient que légiférer en la matière était …
interdit !