Le débat sur la
proposition du Président de la République d'inscrire dans la
Constitution la possibilité de déchoir de la nationalité française
les coupables de terrorisme contre la France lorsqu'ils ont acquis la
nationalité française, qu'ils y soient nés ou pas, a produit un
tel fracas à Gauche et entraîné des prises de positions tellement
irréfléchies et émotives que j'ai préféré me taire, écouter et
me donner le temps de la réflexion . Aujourd’hui, je veux faire
part de deux certitudes, deux malaises et une proposition.
Les deux
certitudes que j'ai face à ce débat :
1. L'idée de déchoir
de leur nationalité française les auteurs d'acte de terrorisme, non
seulement ne heurte pas ma conscience de républicain et de
socialiste, mais est conforme à l'idée que je me fais de la
République. Une République debout et qui se défend quand on
l'agresse et non pas une République avachie et défaitiste. Disant
cela, je parle bien de la déchéance de la nationalité de tous les
français auteurs de terrorisme contre la France, quelle que soit la
manière dont ils ont acquis la nationalité française et qu'ils
soient binationaux ou pas. Les salauds, les barbares qui tirent à
bout portant sur des français, parce qu'ils sont français, qu'ils
sont juifs, flics, militaires, dessinateurs ou journalistes libres,
parce qu'ils écoutent de la musique ou qu'ils boivent un coup à la
terrasse d'un bistrot ne méritent pas d'être français, point.
C'est clair et net, sans état d'âme.
2. Deuxième
certitude : cette mesure n'aura aucune espèce d'efficacité possible
dans la lutte contre le terrorisme. Dire le contraire comme le font
tant de responsables de droite avec un angélisme coupable, est
irresponsable : imaginer Merah, Nemmouche, Kouachi, Coulibaly et
consorts dissuadés d’appuyer sur la gâchette par peur de perdre
leur nationalité est tellement dérisoire qu'on en reste confondu.
Donc, si ça n'est
pas l'efficacité qui dicte la mesure, c'est autre chose. On a dit le
symbole, et j'en accepte l’augure. Le symbole d'une France debout,
d'une République qui résiste et qui est fière de ses valeurs, de
ce qu'elle incarne, et qui sait exprimer avec force une mesure
symbolisant le devoir citoyen. Soit.
À partir de ces deux
certitudes, je veux exprimer deux malaises qui sont autant d'éléments
de dubitativité et de perplexité :
1. J'entends beaucoup
de cris d'orfraies, à gauche, qui en appellent aux consciences
républicaines sous prétexte qu'on créerait un distinguo entre
français, les " français de souche" - l'expression n'est
pas républicaine, convenons-en, et les français binationaux. Soit.
Mais cette distinction existe dans notre droit et, en particulier
dans notre code civil depuis des décennies sans jamais que ces
belles consciences ne s'en émeuvent ! Prétendre qu’harmoniser le
traitement accordé à un binational "par héritage" à
celui d'un binational "par acquisition" est une insulte à
la République a quelque chose de dérisoire à mon sens. Pour être
très clair, j'affirme que la République est bien plus mise en cause
et en danger quand Matignon- c'était sous Ayrault...- affiche sa
volonté de mettre en œuvre des mesures sociétales, relevant du
communautarisme le plus intégriste en s'engageant très
dangereusement sur le chemin qui mène du droit à la différence à
la différence inacceptable des droits , quand elle refuse de créer
des lycées publics à Beaupreau dans le Maine et Loire ou à Pontivy
en Bretagne, ou quand un dirigeant du parti socialiste propose de
développer l'enseignement privé musulman sous contrat sans être
démenti...
Quant à ceux qui
osent comparer cette proposition à l'attitude adoptée par le régime
de Vichy, ils perdent toute raison et vont même jusqu'à rentrer
dans un révisionnisme coupable qui frise le négationnisme :
les nazis d'aujourd'hui , ce sont ces barbares qui veulent nous
exterminer, et personne d'autre. Comparer le gouvernement actuel à
celui de Vichy, c'est excuser celui-ci. Inverser les choses et
les rôles n'est pas digne. Que de grandes consciences de gauche,
pour qui j'ai pourtant estime et amitié aient osé faire cette
comparaison me laisse pantois.
2. Deuxième malaise
et interrogation : j'ai dit plus haut " mesure symbolique "
et j'ai même ajouté que j'osais y croire. Je voudrais juste être
sûr qu'on ne le fait pas, qu'on ne le propose pas .... parce que le
peuple le demande, que c'est une mesure très populaire - à droite
comme à gauche- et que les responsables politiques français, tous,
sont incapables de s'adresser au peuple en lui disant : " je
sais que vous demandez cette mesure mais je voudrais vous expliquer
pourquoi il ne sert à rien de le faire ". Je sais bien que
disant cela, je cède à une sorte de procès d’intention.
Mais enfin : face à un problème compliqué et complexe, on a bien
le droit d'avoir une pensée complexe, non ?
Reste ma
proposition qui n'a rien d'original : chercher le compromis
républicain. C'est d'ailleurs, si j'ai bien compris, ce qui est
entrain de se faire dans le dialogue entre l'exécutif et le
Parlement, ce qui tendrait à prouver qu'il ne faut jamais désespérer
des institutions de la République.
Quel peut être ce
compromis, sachant que j'exclue tout abandon du projet, parce que
j'exclue le désaveu du Président, par loyauté à son
égard, certes, mais aussi par respect de sa fonction, de sa
parole devant le Congrès, et parce que je m'accroche au caractère
symbolique de la mesure ?
Il n'y a que deux
voies possibles et une synthèse entre les deux:
Première voie :
prévoir la déchéance pour tous les français quels qu'ils soient,
binationaux ou pas. C'est le plus simple mais ça pose des problèmes
de droit et, en particulier de droit international qui nous interdit
de "fabriquer " des apatrides. Soit. Mais, quitte à me
répéter, rendre apatride un salopard de la dernière espèce ne me
choquerait pas. Et que la Cour Européenne des droits de l'homme
puisse, éventuellement, condamner la France pour avoir rendu
apatride un salaud barbare me laisserait indifférent.
Deuxième voie :
prévoir non plus la déchéance mais l'indignité nationale pour
tous les salauds. Vous restez français mais vous ne détenez plus
aucun droit lié à ce titre. Aucun. Mais je reconnais que le symbole
est moins fort et que la parole présidentielle n'est plus
strictement respectée.
Reste la synthèse
entre les deux : prévoir la déchéance pour ceux que le droit
international nous autorise à déchoir, c'est à dire les
binationaux, et l'indignité pour les autres, dans le même élan,
dans le même mouvement républicain. Pour que le distinguo entre les
citoyens soit le plus léger possible et explicable pédagogiquement.
Je livre ces
réflexions et propositions au débat, dans le seul souci de faire
progresser l'esprit républicain.