pour comprendre ce livre, il faut savoir d’où il vient et d’où il parle : journaliste algérien employé par le journal Le Soir, il échappe en 1996, en pleine décennie noire de la guerre civile algérienne, à un attentat à la voiture piégée contre la maison de la presse d’Alger qui fait de nombreuses victimes dont trois de ses collègues et amis. Puis, correspondant de Jeune Afrique à Alger, il fait l’objet de pressions, intimidations, gardes à vue du pouvoir algérien au point que, pour échapper à la prison, il s’exile en France où il vit depuis plus de 20 ans, et dont il a acquis la nationalité. Il se sent pleinement citoyen français, profondément républicain, reconnaissant à la France de l’avoir accueilli et défenseur intransigeant d’une République dont il loue les valeurs. Mais son passé, qui l’a confronté tant au terrorisme islamique qu’au totalitarisme d’un pouvoir militaro-bureaucratique et les nombreuses menaces reçues à ces deux titres, fait qu’il vit sous protection policière quotidienne.
Directeur de la publication de la chaîne Islamoscope TV, il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’Islamisme et le terrorisme islamiste. Il livre ici le fruit d’une enquête longue, documentée, sérieuse, sur ce que l’on a coutume d’appeler désormais « l’islamo-gauchisme » et que, dans un esprit moins polémique on appellera « les convergences politiques » entre les islamistes et une partie de la Gauche, française et européenne ( d’ailleurs, point intéressant, en élargissant le champ de la réflexion, il note que ces convergences sont bien plus fortes dans d’autres pays d’Europe , Belgique, Royaume-Uni, qu’en France…). Il plonge dans l’histoire pour retrouver les vieilles tendances de la Gauche à considérer que « l’ailleurs » est toujours un modèle, d’où les passions pour les révolutions russes, chinoises, cubaines, d’où aussi, ce courant « orientaliste » qui a toujours imprégné la culture de celle-ci. Il retrouve, bien sûr, les convergences cohérentes, incontestables alors, apparues au moment du colonialisme et des guerres de libération, en Algérie notamment. Et, moins classique, il revient sur l’épisode de la révolution khomeyniste en 1979, et les convergences apparues dans la résistance au régime dictatorial du Shah et de sa terrible police politique, la Savak. Il plonge dans la philosophie politique pour évoquer cette théorie qui voit dans les musulmans des pays occidentaux les nouveaux «damnés de la terre » pour reprendre l’expression de Frantz Fanon. Il évoque les grands intellectuels de gauche qui ont alimenté ces convergences, explicitement comme Roger Garaudy (dont j’ai mieux mesuré avec cette lecture la part active qu’il avait prise dans cette construction) ou plus implicitement Edgard Morin ( quelle sévérité de SIFAOUI pour MORIN ! Sur ce terrain-là, en tout cas, elle semble fondée sans que l’on comprenne comment le grand théoricien de la complexité a pu se laisser aller à tant de simplisme…). Et, bien sûr, il évoque ces nouvelles théories fumeuses de la «cancel culture », indigénisme, post-colonialisme, néo-féminisme, et démontre comment elles sont au cœur de l’offensive de l’islamo-gauchisme. Bref, celui-ci existe ! Ce livre le démontre suffisamment si l’on avait encore à en douter ce qui n’est évidemment pas mon cas. Si l’on pouvait simplement faire admettre à certains que, disant cela, on n’est pas dans l’injure ou l’invective mais dans l’argumentation raisonnée ! Mais si j’ai un reproche à faire à son auteur , c’est qu’en la circonstance, il en profite pour régler un certain nombre de comptes. Avec agressivité et parfois excès, ce qui est d’autant plus dommage que c’est employer les mêmes méthodes que ceux à qui on les reproche.
Je l’ai dit en commençant ce billet : sachant d’où parle SIFAOUI et ce qu’il a enduré, on l’explique aisément. Mais c’est plus difficile à excuser.