mercredi 27 octobre 2021

Lu «  Ivo & Jorge » de Patrick Rotman paru chez Grasset.

L’auteur est essayiste, scénariste, réalisateur, historien de formation qui a écrit
plusieurs ouvrages sur la vie politique française contemporaine, notamment avec Hervé Hamon. Un intellectuel de gauche assurément, versus deuxième gauche, pas vraiment mitterrandienne, plutôt anticommuniste. Il livre ici un ouvrage original et assez passionnant : Ivo, c’est Ivo Livi plus connu sous le pseudonyme d’Yves Montand, l’immense chanteur, acteur, fils d’une famille d’immigrés italiens, issu d’un quartier pauvre, très pauvre de Marseille, ayant quitté l’école à 9 ans, amant d’Edith Piaf pendant deux ans vers la fin de la guerre, longtemps mari de cette femme exceptionnelle de beauté, d’intelligence et de sensibilité, Simone Signoret, tous deux longtemps compagnons de route du Parti Communiste; et Jorge, c’est Jorge Semprun, républicain anti-franquiste, réfugié très jeune en France avec sa famille, résistant arrêté par la Gestapo et déporté à Buchenwald puis ancien dirigeant du Parti Communiste espagnol clandestin sous Franco, avant d’être Ministre dans le gouvernement socialiste de Felipe Gonzalez, et auteur prolixe amoureux de la France et de sa langue, membre aussi de l’académie Goncourt.

Le livre, très vivant, dresse un parallèle entre les deux vies contemporaines des deux hommes qui vont se rencontrer et devenir amis, passant de l’un à l’autre en permanence à partir d’épisodes parfois anecdotiques de leurs vies.
Outre de nombreuses anecdotes et informations sur les vies de ces deux hommes qui permettent de mieux les connaître ( c’est surtout sur Semprun que j’ai appris tant la vie de Montand fut publique, même si j’ai regretté qu’il ne soit fait aucune allusion aux douloureux épisode du « rapport Semprun » sur Robert Antelme, aboutissant à l’exclusion de celui-ci du PC, épisode confirmé par Marguerite Duras et Edgard Morin, qui démontre qu’avant de rompre avec le stalinisme, il y avait bien cotisé….).
Car c’est sur la rupture avec le stalinisme que le livre est le plus interessant, Semprun précédant de quelques années Montand sur cette voie, et le long voyage d’Yves et Simone à Moscou et dans les pays de l’Est en 1956 étant à la fois édifiant et pitoyable.
Mais la conversation de Montand avec son frère ainé, vieux militant du PC, refusant d’ouvrir les yeux et l’accusant de « faire le jeu » de la Droite et du capitalisme parce qu’il se met (enfin !…) à dénoncer la tragédie du stalinisme, a quelque chose de bouleversant. Et la rencontre des deux hommes avec le troisième compère, Costa-Gavras, pour écrire et tourner « Z » et « L’aveu », deux immenses œuvres de dénonciation des totalitarismes, est particulièrement passionnante.
La démonstration est faite là que rompre avec le stalinisme comme au fond avec toute forme de totalitarisme, ouvrir les yeux et comprendre puis dénoncer, est un chemin de croix, une bien douloureuse expérience . Car il s’agit de rompre avec une part de soi-même.

mercredi 20 octobre 2021

Lu « La mécanique du ciel » de CharlElie Couture paru aux Editions Le Castor Astral.

On connaît l'auteur-compositeur-interprète aux nombreux succès dont le formidable «Comme un oiseau sans aile » mais on connait moins le peintre qui vient d’exposer à Paris une série fort intéressante de portraits d’Arthur RIMBAUD « actualisé » c’est-


à-dire « Made in 21ème siècle» mais à romantisme inchangé. Et on ne connait pas assez le poète qui a pourtant été primé l’an dernier par l’Académie française pour ce recueil de poésies. Dans ces textes inédits de 1973 à nos jours,

qui nous font voyager de Nancy ( la ville de sa naissance et de son enfance) à Paris et New York où il a vécu une grosse dizaine d’années, l’auteur nous entraine dans la poésie de rencontres, d’amours parfois torrides, de la vie des banlieues ou de la rade de Toulon. D’abord, il y a beaucoup d’humanité dans tout cela, la chose humaine en est la composante essentielle. Ensuite, il y a de la colère voire de la révolte contre le cours injuste des choses du monde, une citoyenneté bien comprise. Enfin il y a la musique des mots, dans une grande liberté de style et, en particulier, sans esclavage à l’égard de la rime. Bref, de l’humanisme et de l’élégance.

Je connais un peu, pas assez, et apprécie beaucoup CharlElie Couture qui m’avait fait l’amitié de venir peindre à Maubourguet il y a une vingtaine d’années. Je l’ai retrouvé avec grand plaisir il y a peu pour son exposition autour de Rimbaud. J’aime l’éclectisme créatif de cet homme.

jeudi 14 octobre 2021

Lu « Les raisons du cœur » de Jean-Paul ENTHOVEN, paru chez Grasset, une maison d’édition dont il a longtemps été un des piliers.

 Ce roman est autobiographique et s’organise autour du récit du grave accident de
santé rencontré par l’auteur il y a deux ans, commençant par un malaise sur un terrain de tennis et se poursuivant par une très lourde opération à cœur ouvert dans une clinique de Neuilly.

Mais ce n’est pas un récit comme un autre, journaliste ou historique, détaillé et minutieux. Non, c’est un récit psychologique et philosophique où sont convoqués des «grands témoins » intimes de l’auteur, dont les noms de famille ne sont jamais prononcés: morts comme Michel, on devine vite qu’il s’agit de Michel Berger ( décédé suite à un malaise cardiaque sur un terrain de tennis justement et qui fut son ami dès le lycée) ou Françoise, comprenez Sagan, ou vivants comme Bernard Lesvies - là, c’est facile à deviner, BHL…- son ami intime, son frère, ou…son fils ainé. Ce fils ainé, c’est Raphaël ENTHOVEN, le jeune philosophe médiatique, avec lequel il a écrit « Le dictionnaire amoureux de Marcel Proust », entretenant avec lui une relation étroite, fusionnelle, jusqu’à la parution il y a deux ans d’un roman où le fils dresse du père un portrait d’une sévérité violente. Les deux hommes ne se parlent plus depuis. Cette rupture affective douloureuse est-elle, directement ou indirectement, à l’origine de la rupture des vaisseaux du cœur ? Le livre tourne autour de cette question mystérieuse et passionnante qui se conjugue avec une autre :la « révolution » physique ( au sens sanitaire du terme) du père alité : change-t-on avec une telle opération, quand son cœur s’arrête de battre pendant 155 minutes ? Il faut croire que la réponse à cette deuxième question est oui puisque l’auteur finira par adresser à son fils un message de paix et de réconciliation, comme une bouteille jetée à la mer…
J’ai dévoré ce livre. Vraiment. Quelques heures à peine, trop vite achevées. Ce mélange d’auto-biographie sans étalage et de réflexions psychologiques ou philosophiques spontanées et vivantes est un vrai genre littéraire. Alors, bien sûr, comme l’auteur le fait dire à son éditeur Olivier ( comprenez NORA..) comme pour s’en excuser, on n’est pas dans le Paris du peuple et des gens qui souffrent mais plutôt dans le Neuilly-Auteuil-Passy ( avec une grosse touche de Saint-Germain des Prés) des riches et des gens connus, mais je ne sais pas pourquoi, talent de l’écriture, ça ne pèse pas, ça ne compte pas . Les raisons du cœur dépassent tout cela.

samedi 9 octobre 2021

Lu « Nocturne indien » d’Antonio Tabucchi paru chez Gallimard avec une traduction de Bernard Comment.

 Je n’avais encore rien lu de Tabucchi, cet auteur italien né à Pise en 1943 et mort à
Lisbonne en 2012, qui partagea sa vie entre nos trois pays, Italie, Portugal et France, auteur de nombreux ouvrages traduits dans le monde entier. Voilà une lacune comblée, en tout cas très partiellement puisqu’il me faudra y revenir pour aller un peu plus loin que ce petit livre si je veux affiner mon jugement.

 
Ce « Nocturne indien » qui obtint le Prix Médicis étranger en 1987, est un roman qui fut adapté au cinéma par Alain Corneau, roman d’invitation au voyage puisque l’auteur y raconte son périple en, Inde à la recherche d’un ami, manifestement intime et disparu là-bas. L’Inde, de Bombay à Goa, dans sa diversité si contrastée d’hôtels pouilleux aux palaces les plus luxueux, des prostituées de Bombay aux prêtres d’un couvent de jésuites portugais. Tout est subtil et en nuances ou en allusions dans ce récit, jusqu’à la fin, mystérieuse et suggestive. 

Ça se lit aisément même si on reste un peu sur sa faim ( sa fin ?). Je reviendrai lire d’autres Tabucchi.

mardi 5 octobre 2021

Honneur à Jean-Marc Sauvé !

 Jean-Marc Sauvé est cet homme qui présidait la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’église catholique qui vient de rendre son rapport aujourd’hui. Et quel rapport, quelles conclusions, quel courage, quelle lucidité!! Quels chiffres !
Et quel choc…
J’ai connu Jean-Marc Sauvé et l’ai croisé plus d’une fois, et même si nous n’étions pas intimes, j’ai pu apprécier ses qualités immenses de serviteur de l’Etat. Je n’oublie pas qu’il fut un proche collaborateur de Robert Badinter au moment de l’abolition de la peine de mort, mais il n’y a sans doute pas de vrai hasard.
Je me souviens qu’il ne fut pas seulement un « Haut fonctionnaire » comme il est présenté aujourd’hui dans la presse, mais « Le plus haut des fonctionnaires » puisqu’après avoir été Secrétaire Général du Gouvernement - c’est alors que je l’ai connu-, il fut Vice-Président du Conseil d’Etat ( qui préside de fait ledit conseil puisque l’autorité politique lui a, de fait, délégué ce pouvoir il y a longtemps ), la plus haute autorité de la justice administrative de la République.
Ce parcours et les qualités personnelles exceptionnelles qu’il a révélées expliquent le sérieux et l’honnêteté du travail rendu public aujourd’hui.
Mais il est un point qui m’intéresse encore plus à son sujet : c’est que Jean-Marc Sauvé est un catholique assumé. Mais, et là j’ajoute un qualificatif personnel qui va encore m’attirer des critiques véhémentes, c’est un «catholique laïc ». Que veux-je dire par ce concept ? Cela signifie que, pour lui, les lois de la République sont supérieures aux lois religieuses et, en particulier, que la justice de la République doit l’emporter sur la justice religieuse. Tu crois ou tu ne crois pas, si tu crois tu crois à la religion de ton choix, si tu ne crois pas tu peux être athée ou agnostique ou simplement indifférent à la chose religieuse, mais on a les mêmes droits et les mêmes devoirs, nous sommes égaux en droit.

Ce rapport est une démonstration spectaculaire, une démonstration appliquée et concrète du principe de laïcité et de l’universalisme républicain dans la mesure où le catholique qu’il est, au nom des lois de la République, condamne sévèrement l’église de sa religion. Et ça lui donne une valeur supplémentaire.
Oui, honneur à Jean-Marc Sauvé.

lundi 4 octobre 2021

Lu « un homme pareil aux autres » de René Maran datant de 1947 et paru aux Editions du Typhon.

René Maran, né en Martinique en 1887 et mort en 1960 est le premier auteur noir à
recevoir le prix Goncourt en 1921. Ce ne fut d’ailleurs pas pour ce livre mais pour « Batouala ». Sans s’en revendiquer lui-même, il fut considéré rétrospectivement comme un précurseur de la Négritude. Ce roman qui se passe entre Bordeaux et l’Afrique dans les années 20 : Jean Veneuse retourne en Afrique où il doit de nouveau servir comme administrateur colonial, laissant en France Andrée Marielle, jeune parisienne dont il est amoureux. Mais un amour impossible. En tout cas, impossible selon lui. Pourquoi ? On touche là une forme de racisme bien particulière, le racisme introjecté : car Andrée est blanche et Jean est noir. Mais le racisme ne vient pas de l’arrogance suprémaciste de la femme blanche, qui est au contraire respectueuse, amicale, affectueuse, ( amoureuse ?), il est vécu, profondément, par Jean, épouvantablement assigné à sa couleur de peau. La violence raciale, il la vit en permanence mais…tout seul. Elle le déchire, le tourmente, le traumatise : non, cet amour n’est pas possible puisqu’elle est blanche et que je suis noir. Et le livre nous fait vivre ces tourments tout au long du voyage maritime vers l’Afrique avec cette question permanente, obsédante: l’amour qui pousse deux êtres l’un vers l’autre saura-t-il vaincre cet invraisemblable obstacle?

Revenons en 2021 et au nouveau débat sur le racisme que voudraient nous imposer les indigénistes : ce traité sur l’assignation à la couleur de peau est d’un subtile et remarquable actualité…

dimanche 3 octobre 2021

Lu « Temps sauvages » de Mario Vargas LLOSA paru chez Gallimard et traduit de l’espagnol ( péruvien) par Albert Bensoussan et Daniel Lefort.

Le prix Nobel de littérature 2010, péruvien de naissance mais naturalisé espagnol, a
écrit là ce qu’on peut appeler un roman historique : roman car c’est une vraie fiction issue de l’imagination créative de l’auteur, historique car il raconte ce qui fut un moment fort de la guerre froide : le coup d’Etat au Guatemala en 1954, par lequel les Etats-Unis et en particulier bien sûr, la CIA sur ordre d’une multinationale du secteur fruitier United Fruit, renversa le Président légitime, Jacobo Arbenz pour le remplacer par Johnny Abbes Garcia, un « copain » du dictateur de Saint-Domingue, l’affreux Trujillo. C’est remarquablement écrit, vivant, mêlant pour le plus grand plaisir du lecteur les intrigues politiques et les histoires amoureuses, et ça se lit presque comme un roman policier. Mais le plus intéressant me semble-t-il relève de l’analyse politique : on sait ce que fut le parcours politique de Vargas Llosa : venu du communisme et soutien inconditionnel de Castro, il fit sa « révolution libérale» à la fin des années 60 et ne cessa depuis de dériver vers la droite, ce qui prit parfois des tours surprenants comme son soutien aux gouvernements d’Aznar en Espagne, Berlusconi en Italie, ou son récent appui à la fille de l’ex-président Fujimori, ( condamné pour corruption...) contre le candidat de gauche à l’élection présidentielle péruvienne. Et pourtant... dans ce livre très récent, il ne cesse de présenter le coup d’Etat de 54 au Guatemala, comme une erreur stratégique et historique ! Car Arbenz, soutient -il, contrairement aux thèses de la CIA et du pouvoir américain, évidemment sous influence de United Fruit, n’avait rien d’un « rouge », communiste et révolutionnaire, mais était bien un social-démocrate réformiste, épris de justice et de démocratie.... Compte tenu du parcours politique de l’auteur, ce retour en arrière en forme de mea-culpa apparaîtra comme savoureux pour les uns, déplacé pour les autres, choquant pour les derniers. C’est l’occasion de relancer le débat d’actualité en France à propos de la distinction entre l’auteur et son œuvre : je n’ai que peu d’estime pour cet homme et son parcours politique, mais ses écrits et celui-là en particulier sont de très belle facture....