Ouvrage magistral, passionnant et poignant.
Marc Bloch, né en 1886 fut un historien remarquable ( auteur, notamment, de « Les rois thaumaturges » ou « L’histoire, la guerre, la résistance ») , et un universitaire prestigieux qui fut professeur en chaire à La Sorbonne à partir de 1936. Mais il fut aussi un patriote courageux (et plus encore, on le verra après) qui, après avoir recueilli plusieurs citations pour son courage lors du conflit de 14-18, demanda par dérogation à être mobilisé en 1940 à l’âge de 54 ans et vécut la douloureuse campagne des Flandres.
Ce livre est né là, à ce moment, en cette période qu’il vécut dans un Etat-major sur le terrain où il était en charge du ravitaillement en essence des troupes sur la frontière belge... Rédigé, donc, en 1940, « L’étrange défaite » est d’abord une analyse « militaire et stratégique » de la défaite :
les
illusions de la ligne Maginot, les délais de réaction dans une
guerre de mouvement, les faiblesses du renseignement, le
sous-armement en blindés et avions...Mais cette analyse dépasse
largement le seul terrain militaire et stratégique pour en chercher
les causes dans le pays profond, ses racines culturelles, la paresse
de la bourgeoisie, les failles du système éducatif. Et le livre
devient d’autant plus passionnant qu’il résonne parfois d’une
brûlante actualité. Où l’on découvre un humaniste que je
qualifierais plutôt de «Camusien », féru de Marxisme mais
retenant l’analyse et non la pratique de Marx, préférant
évidemment l’approche et la culture de Condorcet et l’engagement
passionné du pédagogue. Ah! Ce propos : « Il lui faudra enfin à
ce peuple se remettre à l’école de la vraie liberté d’esprit
».
Et
il devient pathétique et poignant parce que Marc Bloch est juif, par
sa famille s’il ne l’est pas de confession. Juif mais d’abord
français qui ne souhaite pas que les juifs s’isolent de la
communauté nationale, ce qui évidemment sonne pathétiquement en
cette période si infiniment douloureuse. Et le livre devient
définitivement bouleversant quand on sait que son auteur, décidément
très courageux, héroïque même, s’engagea dans la Résistance où
il joua un rôle éminent dans la région lyonnaise : il fut ce «
Narbonne » qui devait diriger la résistance lyonnaise. Mais arrêté
par la Gestapo, affreusement torturé, il fut exécuté avec
vingt-six autres de ses compagnons à Saint-Didier-de-Formans le 16
juin 44. Un témoin raconta qu’à son voisin d'exécution, un gosse
de 17 ans qui lui exprimait son angoisse, il répondit quelque chose
comme « ne t’inquiète pas, ça ira vite et ça ne fait pas mal
»...
Livre
bouleversant où l’on lit ces lignes : « Ces pages seront-elles
publiées ? Je ne sais. Je me suis cependant décidé à les écrire
»... « Un jour viendra, tôt ou tard, j’en ai la ferme espérance,
où la France verra de nouveau s’épanouir, sur son vieux sol béni
déjà de tant de moissons, la liberté de pensée et de jugement ».
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