Danielle et sa
volonté de changer le Monde
Hommage | par Jean Glavany le 14 janvier 2013
Il y a quelques mois
Danielle Mitterrand nous quittait à l’âge de 87 ans.
Ecrire sur elle, écrire pour elle est le moindre des hommages à
rendre à cette personnalité si riche. Je le fais avec émotion et respect.
Danielle Mitterrand était née à Verdun – étonnant symbole – d’un
père directeur d’école, révoqué en 1940 par Vichy pour ne pas avoir dénoncé les
élèves juifs de son collège, et d’une mère institutrice, tous deux militants de
la SFIO et tous
deux militants laïques. En 1941, âgée d’à peine 17 ans, elle avait rejoint le
maquis comme infirmière bénévole pour devenir l’une des plus jeunes médaillées
de la Résistance.
C’est à Cluny (Saône-et-Loire), dans la maison familiale où
s’était réfugié son père, qu’elle a rencontré le capitaine
« Morland », François Mitterrand, recherché par la Gestapo qu’elle épousa le
27 octobre 1944.
Comme l’écrivait l’ami Robert Schneider : « Ils se
marieront quelques mois plus tard et formeront un couple atypique. Un
demi-siècle de vie commune qu’elle avait récemment résumé ainsi :
" Nous étions mariés, nous avions des enfants et, à un moment, nos
vies affectives ont bifurqué. Mais cela ne nous a pas empêchés de rester des
amis très proches l’un de l’autre. " »
Le 10 mai 1981, j’étais à Château-Chinon avec Danielle et
François Mitterrand pour le résultat de l’élection présidentielle. Quelques
jours plus tard, les deux compagnons de route entrent à l’Elysée, séparés, mais
ensemble…
Très vite Danielle déclara : « Je ne suis pas une
potiche ». La nouvelle Première dame entendait bien préserver sa
personnalité et son indépendance. Si elle assume toutes ses obligations
d’épouse de Président (réception à l’Elysée, visites officielles,
représentation), elle ne veut pas être une simple observatrice.
A l’Elysée, la « Présidente » a son bureau personnel,
ce qui ne devrait choquer personne, ni hier, ni aujourd’hui quand on sait
qu’arrivent au Palais présidentiel des milliers de courriers chaque année
auxquels il faut bien répondre ! Des millions de demandes d’aide,
individuelles ou collectives auxquelles il faut bien donner suite ! Mais,
parallèlement, elle créé très vite la Fondation du 21 juin qui deviendra la fondation
France Libertés en 1986 et qui a pour mission de défendre les droits de l’homme
et le droit à l’autodétermination des minorités ethniques.
Aujourd’hui, et elle s’en serait sans doute réjouie, c’est la
radicalité de l’engagement politique de Danielle Mitterrand qui reste. Un
engagement pour les Droits de l’Homme de l’internationalisme.
Roger Hanin, son beau-frère avec l’humour si particulier et
chaleureux qui le caractérise, a dit un jour : « Si vous lui demandez
l’heure, elle vous répond 5 heures moins Kurdes… » Il est vrai que les
Kurdes ont été « LA » cause de Danielle
Mitterrand, celle pour laquelle elle s’est démenée tous azimuts, montant au
créneau sans cesse, en paroles mais aussi en actes, organisant la
transplantation de réfugiés dans le Massif Central, ouvrant des écoles… Elle
frôlera (avec Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé et de l’Action
humanitaire) la catastrophe dans le Kurdistan irakien, le 7 juillet 1992, quand
un attentat contre son convoi fera sept morts. Mais son activisme était sans
frontières et pléthorique. Citons, de tête et sans exhaustivité :
anti-apartheid, anticolonialisme, antilibéralisme, anti-peine de mort, contre
le sida en Afrique, pour l’alphabétisation au Bangladesh, pro-Amérindiens,
pro-Tibétains, pro-zapatistes mexicains, pro-Saharaouis, pro-sans-papiers,
pro-Fidel Castro, pro-sous-commandant Marcos… La liste de ses combats et de ses
causes atteste une capacité d’indignation, de colère, qu’on pourrait qualifier
de « génétique ». Encore tout dernièrement, alors que l’accès à l’eau
potable était devenu son fer de lance – j’y reviendrai -, Danielle Mitterrand
s’était prononcée en faveur de l’éradication complète des gaz de schiste.
Je me souviens d’une conversation que nous avons eue tous les
deux le 21 avril 2002, au soir du désastre électoral du 1er tour, quand elle
était venue au Q.G. de campagne dire sa tristesse et sa solidarité :
« vous avez perdu parce que vous n’avez pas vu qu’un nouveau monde est en
train de naître autour du commandant Marcos. » C’était tout elle.
Mais redonnons la parole à Robert Schneider : « Le 14
octobre 1994, trois mois après sa seconde opération. François Mitterrand, très
affaibli, m’invite à déjeuner en tête à tête à l’Elysée. Danielle nous rejoint
au café. En souriant, il me dit : " Vous avez de la chance,
votre femme est française ! La femme du président de la République, elle, est
kurde ! Elle m’a fait rencontrer récemment l’un de ses protégés, un
courageux résistant kurde, m’a-t-elle dit, dont j’ai appris ensuite qu’il était
un dangereux terroriste ! " Danielle sourit à son tour de cet
hommage exaspéré à sa foi militante ».
Les combats de sa femme, son entêtement, sa naïveté parfois,
n’ont jamais agacé François Mitterrand contrairement à ce que certains ont pu
dire ou écrire. Ses prises de positions ont été souvent abruptes, notamment son
soutien inconditionnel à Fidel Castro ou au sous-commandant Marcos qui
s’opposaient à la diplomatie française. Certes on raconte qu’à chacun de ses
voyages à risques, les ambassadeurs étaient discrètement chargés de la
surveiller, de corriger ses éventuels dérapages, de faire en sorte qu’elle ait
le moins de contacts possibles avec la presse. Mais lorsqu’on attaquait
Danielle, François Mitterrand la défendait toujours : " il ne
supportait pas qu’on émette la moindre critique sur elle, en sa
présence ", se souvient son ami André Rousselet. »
Il la défendait toujours parce que c’était une caractéristique
fondamentale de leur « couple séparé et maintenu » : il
respectait fondamentalement la liberté de Danielle. Il respectait sa liberté et
son indépendance. Ce qu’elle faisait, ce qu’elle disait l’engageait, elle. Pas
lui. Mais il la respectait profondément.
Un dernier mot : je passe depuis 30 ans mes vacances dans
les Landes, pas loin de Latche. Dans les dernières années de la vie de François
Mitterrand, on s’y voyait régulièrement, à Latche, chez moi, chez des amis
communs. Après sa mort, j’ai gardé l’habitude de rendre visite chaque été à
Danielle. A ma dernière visite, un an avant sa mort, on a parlé de choses et
d’autres, du P.S., de la Droite,
des Droits de l’homme, de ses combats et, notamment, de son dernier combat pour
le droit universel à l’eau, que je voulais relayer au Parlement, d’abord par un
rapport sur la
Géopolitique de l’eau, ensuite, bientôt je l’espère, par une
proposition de Loi. Puis je l’ai interrogé sur sa Fondation.
« - Ah ! Tu ne sais pas ? Il a fallu que je me
sépare encore de toute mon équipe…
– Pourquoi ?
– Figure-toi que je me suis aperçue qu’elle ne faisait que du Droit. Du
Droit et encore du Droit. Alors je leur ai expliqué : « mais nous ne
sommes pas des juristes, nous ne sommes pas là pour faire du Droit !
– Certes mais alors la
Fondation est là pour quoi précisément ?
– Nous sommes là pour changer le monde »
C’était tout elle. Ambitieuse et idéaliste.