:
nous avons été élus à l’Assemblée Nationale pour la première
fois en même temps en 1993 et, mieux encore, nous avons participé
ensemble à ce qui fut sans doute pour moi la plus belle et émouvante
mission parlementaire à laquelle j’ai pu participer : la
surveillance des premières élections libres en Afrique du Sud en
1994 et l’accession de Nelson Mandela à la Présidence de son pays
à l’issue d’un long et courageux combat. Pendant plusieurs
semaines, nous avons témoigné et facilité à notre modeste place
mais avec plusieurs dizaines de parlementaires de toute l’Union
Européenne, de l’éclosion de cette nouvelle démocratie avec la
fin de l’odieux apartheid et l’accession des noirs à la pleine
citoyenneté. Formidable et bouleversant souvenir partagé avec
Christiane qui créa un joli lien entre nous. Bien sûr, elle avait
voté, quelques mois auparavant, la confiance au gouvernement
d’Edouard Balladur mais, comme je ne suis pas aussi sectaire que
certains peuvent le croire, comme elle était chaleureuse et
cultivée, je ne lui en ai pas tenu trop grande rigueur.
En
2002, elle s’est donc présentée à l’élection présidentielle
et, avec l’aide de Jean-Pierre Chevènement, elle a contribué à
l’éparpillement des voix de gauche au premier tour et à
l’élimination de Jospin du 2ème. Bon, mais d’une part je pense
que les capacités de victoire de l’union de la Gauche tient moins
au nombre de ses candidats qu’ à la capacité de rassembler de sa
principale force et que, d’autre part, elle était toujours
chaleureuse et cultivée, nous avons continué à nous parler…
En
2004, lors du vote de la loi sur l’interdiction des signes
religieux à l’école, elle a été une des rares voix de Gauche
avec les communistes - mais la plupart de ces derniers l’ont
regretté depuis, pas elle…- à voter contre. Pas moi. Mais comme
elle était toujours chaleureuse et cultivée….
Sous
le quinquennat de Hollande elle fut la Garde des Sceaux qui fit voter
le mariage pour tous, aboutissement naturel de la brèche ouverte par
le gouvernement de Jospin avec le Pacs. Elle en fut calomniée,
injuriée, menacée par la droite la plus réactionnaire et je l’ai
soutenue publiquement, fortement, sans réserve. Mais je dois
reconnaître que pour le reste, on dira que dans la gestion de son
Ministère elle n’a pas fait progresser d’un iota la prise de
conscience collective de la misère invraisemblable de la Justice de
la République. Mais comme elle était toujours….
Il
y a quelques mois en pleine polémique publique sur la nécessité de
la vaccination, elle a pris une position assez incompréhensible pour
moi dont je ne sais toujours pas si elle était dictée par
l’influence d’un obscurantisme irraisonné ou un manque de
courage flagrant inspiré de considérations guyanaises . Mais
comme…
La
voilà de nouveau candidate à la Présidence, 20 ans après. Sans
jamais que, depuis 20 ans elle ait « balisé » ce chemin ni
contribué à la rénovation de la démocratie française ou au
renouvellement de la pensée de la Gauche.
Et
je dois dire que je ne la comprends pas. Pas du tout. Ma
bienveillance personnelle n’arrive pas à l’emporter sur ma
sévérité politique. Pour moi, ça n’a pas de sens et je dois
dire que ses interventions depuis sa déclaration n’ont en rien
modifié ce jugement. Au contraire.
Mais
comme je devine qu’elle est sinon prisonnière en tout cas
intimement liée à l’initiative dite « la primaire citoyenne »
c’est à partir de l’analyse de celle-ci que je veux approfondir
ma réflexion sur la démarche de Christiane.
D’abord
parce que, comme tout le monde, je m’interroge sur ce calendrier :
pourquoi donc vouloir provoquer cet événement à deux mois de
l’élection quand tous les candidats de Gauche sont en campagne
depuis des mois ? A quoi cela rime-t-il si ce n’est pour «
empêcher » ces derniers ? La soi-disant primaire citoyenne est
objectivement un impeachment de la Gauche !
Pour
le comprendre, il faut mesurer le cynisme de ses animateurs dont l’un
explique doctement dans la presse que leur premier objectif avait été
de « dézinguer » les candidats de gauche sur les réseaux sociaux
pour les faire baisser dans les sondages et dissuader les banques de
financer leurs campagnes… oui, joli cynisme qui n’a rien à voir
avec le débat d’idées ! D’ailleurs avez-vous remarqué qu’alors
même que les responsables de cette initiative déclarent qu’ils
sont porteurs d’une “plate-forme commune” de la Gauche - ce qui
est cocasse en soi tant il y a de divergences importantes entre les
programmes des personnalités qu’ils “ convoquent”- jamais,
mais vraiment jamais dans leurs interventions publiques ils ne
parlent du contenu de ce texte !! Drôle de conception du débat
démocratique. Drôle et douloureuse tant on sait que c’est bien
d’un manque d’idées que souffre la Gauche.
D’ailleurs
pour en avoir la preuve il suffit d’observer de près le mécanisme
de cette initiative qui n’a rien, rien de rien de démocratique. La
démocratie c’est un homme ou une femme égale une voix. Pas là.
Pour ces gens c’est un homme ou une femme égale 7 voix ( s’ils
en restent là) puisque il faudra s’exprimer sur chacun des
candidats . Comment ? Non pas par un vote mais par un jugement . Avec
un choix présélectionné : Très bien, bien, assez bien, passable,
insuffisant. Ce truc n’est pas une primaire démocratique, c’est
une enquête d’opinion façon réseaux sociaux : il faut « liker »
! Et, au-delà de cette concession insupportable à la culture
des GAFAM, tous ceux qui ont un peu d’expérience de la démocratie
et du vote savent très bien que ce type d’exercice est tout sauf
démocratique puisqu’il se prête à ce qu’on appelle le « tir
aux pigeons »: pour être efficace, il faut voter pour un et
dézinguer ( j’emprunte à dessein ce terme déjà utilisé plus
haut..) tous les autres pour faire baisser leurs moyennes. Ce genre
de perversion démocratique est vieille comme ….le vieux monde
démocratique !
Et,
pour combler le tableau, vous allez voir tous les « influenceurs »
se mettre en action…..
Il
y a un autre point qui me choque : le non-respect des candidats déjà
déclarés et en campagne, qui refusent ce machin et que l’on y
fait participer contre leur gré. C’est très choquant, moralement
et en termes de libertés individuelles, et je ne suis pas sûr que
cela résiste à un examen minutieux d’un tribunal. D’autant que,
ne se sentant pas concernés et ne prenant pas part à cet exercice,
celui-ci se traduira inéluctablement par un mauvais coup porté
contre eux. Quand on attendrait de la Gauche qu’elle réserve des
coups à la Droite et l’extreme-Droite….Et, de plus en plus
curieux, on en exclut un candidat de Gauche, celui du Parti
Communiste, sans que l’on sache bien pourquoi. À la
réflexion, il devrait s’en réjouir.
Au
fond, tout cela montre que cette initiative n’a rien d’un
exercice démocratique.
Alors
il faut prendre me semble-t-il cet exercice pour ce qu’il est et
rien d’autre : une initiative politique digne de ce nom,
respectable pour cela et pour cela seulement et pas du tout une «
primaire » et encore moins démocratique.
Et
si l’on retient cette hypothèse, alors il faudra que ses auteurs
et la structure qui les réunit, qui reçoit beaucoup de dons
défiscalisés, notamment d’entreprises, et qui emploie plusieurs
dizaines de salariés soit traitée comme un parti politique en
campagne, avec tous les droits que cela entraîne, et les devoirs de
respecter les règles de la République en la matière.