lundi 26 novembre 2018

Un édito que je signe ce jour pour " l'Aurore".

Réformer la loi de 1905 ? Attention danger....


Ainsi donc, après la Garde des Sceaux, le Ministre de l'Intérieur vient de le confirmer : le gouvernement sous l'égide du Président de la République s'apprêterait à réformer la loi de 1905 dite "de séparation des églises et de l'Etat". Avant d'en venir au fond, je voudrais faire quelques remarques préalables .
D'abord une réflexion de prudence : nous n'avons pas pour habitude à "L'Aurore" ni de nous lancer dans des spéculations hasardeuses à partir de rumeurs ou de bruits de couloirs, ni d'intenter des procès d'intention à quelque autorité publique que ce soit. Notre volonté, au contraire, est bien d'alimenter le débat public avec des contributions de fond aussi sérieuses et argumentées que possible. Or, à ce stade, nous ne connaissons pas le contenu réel du projet gouvernemental et nous ne pouvons pas, sérieusement nous prononcer à partir de "pseudo-fuites " d'un quotidien en mal de scoop. Nous le ferons donc, le moment venu, en livrant notre analyse approfondie au vu des propositions officielles et, dans l'attente, ne pouvons que lancer quelques remarques et avertissements préalables.
Rappelons que ce gouvernement et ce Président ne sont pas les premiers dans l'histoire contemporaine de la République à vouloir réformer la loi de 1905 ! Sans être désobligeant, Nicolas Sarkozy, avant eux, s'était engagé dans cette voie avec renfort de tambours et trompettes, employant d'ailleurs les mêmes mots que l'actuel Ministre de l'Intérieur, " il n'y a pas de tabou",.....avant d'y renoncer piteusement devant l'épreuve concrète de la tâche ! Alors, restons prudents et attendons de voir.
On peut néanmoins rappeler à nos ambitieux réformateurs que cette obsession qui est la leur - et de certains de leurs prédécesseurs - de "faire une place", comme ils disent, à la religion musulmane, puisqu'il faut appeler un chat un chat, s'est toujours heurté à une réalité incontournable : il est d'autres religions en France qui attendent à la porte de l'éventuelle réforme avec leurs listes de revendications dont certaines sont très anciennes, et qui non seulement n'attendent qu'une chose, que la porte s'entr'ouvre, mais en outre auront beaucoup de mal à admettre que celle-ci ne s'ouvre que pour une religion et par pour elles. Si j'ose dire elles sont dans la file d'attente depuis beaucoup plus longtemps.... Je pense en particulier à la religion protestante dont certains responsables ont rappelé publiquement et à juste titre cette vérité, lors de ces derniers jours. Il y a donc toujours un premier risque qu'un responsable politique ne doit surtout pas sous-estimer : celui d'ouvrir une boîte de Pandore dont on ne mesurerait pas les limites.
Venons-en au fond : s'il y a bien des articles de la loi de 1905 qu'il ne faut toucher à aucun prix, ce sont les deux premiers qui touchent aux principes républicains majeurs , "La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions...dans l'intérêt de l'ordre public" et "La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte". Ce sont les principes-mêmes de la séparation. Non seulement il ne faut pas y toucher dans la mesure où ils sont constitutifs du pacte républicain qui fonde la cohésion de la Nation, mais si l'on voulait bien m'écouter, on les "mettrait à l'abri" de toute volonté de réforme dangereuse....en les constitutionnalisant ! En 2012, je l'avais proposé à François HOLLANDE, alors candidat, qui l'avait accepté.....le temps de quelques jours . Le temps du discours du Bourget où cette annonce fut la plus applaudie - ce qu'il me fit remarquer lui-même...- , jusqu'à ce que les rédacteurs de son programme aient, avec son aval hélas, honteusement saboté cette proposition sonnant très vite l'heure des désillusions et des reniements.
Si l'actuel Président veut reprendre cette proposition, je l'applaudirais volontiers ! Sans tomber dans le piège du procès d'intention que je dénonçais plus haut, ça n'est pas exactement la philosophie qu'il a exposée dans son discours des Bernardins et je ne me fais donc pas trop d'illusion.
Restent les dispositions pratiques qui, dans les 42 autres articles de la loi, visent à appliquer concrètement ces principes. Ils ont fait, c'est vrai, l'objet de plusieurs révisions depuis 1905 et l'on ne voit pas qu'on puisse s'en fermer la porte, sous les réserves-mêmes énoncées plus haut. Mais à condition que l'on commence par se demander si une ou des modifications législatives sont bien nécessaires quant il s'agirait d'abord de faire appliquer fermement et sereinement les lois de la République. Le contournement de la loi de 1905 sur les associations cultuelles par celle de 1901 ? Une tolérance et des abus sur lesquels on ferme les yeux depuis trop longtemps. Les protestants de France qui sont, ne l'oublions pas, les principaux "bénéficiaires" du statut des associations de 1905 le savent mieux que quiconque. Fermer des mosquées, expulser des imams intégristes ne demande nulle loi nouvelle mais un peu de courage et de fermeté ! La République s'en trouve toujours confortée.
L'idée de "mieux contrôler" pour éviter les dérives intégristes ne me gêne pas, bien au contraire s'il s'agit d'impulser de la transparence, mais cette histoire de "label" accordé par l'Etat à ces associations me parait tout à fait contraire aux principes de séparation . Quant à savoir si des fonds qui financent des mosquées sont liés ou pas à des puissances étrangères, question que personne n'a jamais posé pour le Vatican, il me semble que la République et son bras séculier, l'Etat, a tous les moyens de le savoir sans user de quelque loi que ce soit.
On le voit, ce projet pose beaucoup de questions qu'il importera de regarder posément le moment venu, quand les intentions du Président et du gouvernement seront précisées. Là encore, je conseillerais volontiers à ceux-ci de se défier de toute forme d'arrogance et de vanité telle qu'on a pu en connaître dans un passé récent : " Moi je"... "Moi je vais régler la question de l'Islam de France là où tant de politiques ont échoué.."
Posons-nous la question : la question de l'Islam de France, de l'Islam en France ne se pose évidemment pas comme en 1905 quand cette religion n'existait que dans des départements d'outre-mer ou dans les " colonies". Mais elle ne se pose pas non plus comme elle se posait il y a 20 ans ! Ce qu'on appelait "l'Islam des caves" , faute de mosquées suffisantes, a complètement disparu de notre paysage. Sait-on qu'en vingt ans on a construit plus de 2500 mosquées en France ? Avec la loi de 1905 ! Il en va de même avec les prières dans les rues qui ont aussi disparu après avoir été trop longtemps tolérées. Sur tous ces sujets la République a su s'adapter sans se renier. Veillons à ce qu'elle poursuive dans cette voie.
Jean Glavany
Ancien Ministre , Président de l'Aurore.


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