Je poursuis mon travail sur le Maghreb
par une visite aux autorités algériennes. Du point de vue des
rapports à la religion et, en particulier du combat contre
l'intégrisme islamiste radical, l'Algérie vit une double
particularité :
- d'abord parce que, dans les années
90, après la "presque victoire "du parti islamiste, le
FIS, aux élections de 91 et le coup d'état militaire, l'Algérie a
vécu une "décennie noire" de véritable guerre civile
d'une violence terrible et de dizaines - centaines ? - de milliers de
morts qui a profondément traumatisé la population.
Même si ces années s'éloignent dans
le temps, on sent encore, profondément ancré dans la population un
sentiment de " plus jamais ça". Quand on pense l'Algérie,
il ne faut jamais oublier ce facteur majeur. Combien de mes
interlocuteurs algériens me l'auront rappelé : " le coup
d'Etat d'entre les deux tours des élections de 91 était peut-être
un coup d'Etat constitutionnel, mais il a sauvé la République et
empêché l'instauration d'un État islamiste".
En France, beaucoup de donneurs de
leçons, à Droite comme à Gauche, à Gauche surtout parce que
le "scrupule démocratique" y est culturellement plus
développé, mais aussi au Quai d'Orsay où l'on préfère
naturellement les processus démocratiques aux coups d'état,
oublient cette réalité : obsédés par l'exigence démocratique,
ils ont exercé une pression très puissante pour protéger les
partis islamistes, "qui avaient bien le droit de se présenter
aux élections et d'exercer le pouvoir si le peuple en décidait
ainsi" et, donc, condamner le coup d'état. Et l'idée selon
laquelle " la France n'aurait pas été aux côtés de l'Algérie
dans cette terrible épreuve" ( je me demande, d'ailleurs qui
était à ses côtés...) est le fruit d'un regard porté
aujourd'hui, 20 ans après, mais qui fait abstraction de ces
réactions et attitudes de l'époque.
De fait, il y avait une sorte
d'aveuglement devant le caractère totalitaire de ces forces
religieuses que la suite de l'histoire a pu permettre de faire
évoluer. Je dis cela parce que le coup d'Etat de 91 éclaire une
grande partie d'autres événements ultérieurs dans le monde
arabo-musulman, et en particulier le coup de force de Sissi en Egypte
après la démonstration totalitaire des frères musulmans au
pouvoir, ou, plus remarquable, la mobilisation et la réussite du
quartet tunisien face au totalitarisme d'Ennahda.
- ensuite parce que l'Etat algérien a
"fonctionnariséé" l'Islam puisque les imams sont
recrutés, formés et payés par l'Etat. J'ai été marqué par mon
entretien avec le Ministre des cultes, un homme sage et modéré,
m'expliquant dans son bureau : "l'Algérie compte 17.000
mosquées environ avec une moyenne de 1000 croyants par mosquée ;
quand les imams de ce Ministère s'exprime dans le sens que nous
voulons, celui d'un islam de Cordoue, ouvert et tolérant, nous
touchons 17 millions de citoyens et ça a une certaine influence...
ça ne veut pas dire qu'il n'y a plus de trace de radicalisme dans le
pays mais disons que nous nous sommes donnés les moyens de maîtriser
les choses et, notamment, d'être renseignés rapidement sur ces
phénomènes." C'est cette capacité qui a d'ailleurs amené
notre remarquable Ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, à
signer un accord de coopération avec le gouvernement algérien, pour
bénéficier de ces compétences, notamment pour la formation des
imams algériens en France.
Je retrouve à Alger ce cher Rachid
BOUGHERBAL, que je connais depuis longtemps pour l'avoir croisé dans
différentes instances politiques internationales, et qui est
désormais Président de la Commission des Affaires Étrangères du
Conseil de la Nation, le Sénat algérien. L'homme a 74 ans et est
professeur de cardiologie. C'est un humaniste comme il y en a peu,
doté d' un beau charisme et d'une élocution riche et libre. Il me
parle avec sa franchise habituelle : "Nous avons contenu le
terrorisme mais il n'est pas éradiqué et nous devons rester
vigilants. En particulier, nous devons faire face à la matrice du
terrorisme qu'est la radicalisation des jeunes". Et l'on
comprend que, sur l'une ou l'autre berge de la Méditerranée, cette
question de la radicalisation des jeunes reste un problème autant
qu'une énigme. Je repense au Ministre des cultes qui me disait
quelques heures plus tard "Mais qui a dit, chez vous, que ça
n'était pas l'islam qui se radicalisait mais la radicalité qui
s'islamisait ?". Je lui réponds "C'est Olivier Roy. Et
l'on peut prolonger sa pensée en précisant que c'est la radicalité
qui se franchise - au sens presque commercial du terme - en
s'islamisant."
Le sage Bougherbal poursuit : "
Islam et radicalité ne sont pas synonymes. L'islam peut être
radical mais l'Islam doit être tolérant comme les autres religions
monothéistes".
Je résiste à la tentation de lui
rappeler l'histoire des guerres de religions qui n'a pas prouvé,
spontanément, cette nature tolérante mais... "L'Islam du
Maghreb, poursuit-il, c'est l'Islam de Cordoue, celui de
l'Andalousie, l'Islam des lumières, pas l'islam salafiste et encore
moins wahabite. Ca n'est pas non plus un islam modéré, car ça
n'existe pas. C'est un islam de séparation des églises et de
l'état, comme à Cordoue". Là encore, je résiste à la
tentation de lui rappeler à quel point l'islam algérien est étatisé
....
Mais dans notre long dialogue qui a
suivi, je suis frappé de voir à quel point cet homme sage est à la
fois lucide est inquiet, "J'ai peur" me dit-il. "J'ai
peur du retour des combattants de Syrie. Ici, en Algérie, nous avons
vécu l'expérience du retour des "afghans" et nous en
avons un très mauvais souvenir".... où l'on comprend mieux que
les victoires sur l'Etat islamique qui se dessinent en Syrie, en Irak
ou en Libye, ne sonneront pas la fin de l'histoire : celle-ci nous
enseigne les dangers portés par ces retours des combattants. Là
encore, la leçon algérienne peut profiter à la France.
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