samedi 27 mai 2023

Vu « L’amour et les forêts » , le film de Valerie Donzelli d’après le roman d’Eric Reinhardt, avec Virginie Efira, Melvil Poupaud, mais aussi Romane Bohringer ou Virginie Ledoyen .

 Un film sur «  l’emprise ». L’emprise violente d’un homme sur sa
femme avec toutes les souffrances psychologiques que cela entraîne. Comme toutes les histoires d’amour, celle-ci commence bien, très bien : Blanche, prof de français , amoureuse de son métier mais malheureuse en amour, retrouve un ancien copain de lycée bien des années après dans une soirée où l’entraîne sa sœur qui n’aime pas la voir seule et triste; il la drague, elle succombe et les sentiments prennent feu assez classiquement, accompagnés d’une avidité sexuelle plus que soutenue. Et tout évolue bien : mariage, deux enfants, après le couple une famille est née. 

Toute cette idylle se passe en Normandie au bord de la mer jusqu’au jour où lui, cadre de banque, décide unilatéralement, pour sa carrière,  de déménager avec femme et enfants vers Metz. Sans prévenir, ça ne se discute pas, il n’y a qu’à suivre….premier gros caillou dans la chaussure du couple. Elle se renferme sur elle-même, ne comprenant ni n’admettant cet oukase et détestant ses conséquences dont l’éloignement de sa famille. Et tout va se déliter alors car elle découvre, et nous avec elle, que son mari est un pervers narcissique de belle espèce qui, la voyant changer, la suspecte de lui cacher quelque chose. La suspecte, l’espionne, fouille dans ses affaires, l’accuse, la menace… Au point que, n’y tenant plus, dans ce qui s’apparente autant à un réflexe de sauvegarde que de défi à son mari , elle le trompe ( dans la forêt…d’où le titre) avec un homme rencontré sur Meetic. Évidemment, cela n’arrange pas les choses et l’homme devient de plus en plus violent dans ses paroles et même ses gestes: ça se finit par une tentative de strangulation… fin du couple et, presque, de l’histoire. Tout cela est monté avec le recours à des flash-back réguliers mais très brefs d’un dialogue avec une femme qu’on peut croire être une psy mais qui s’avère, in fine, être une avocate. Divorce incontournable. 
C’est un très beau film, poignant, émouvant, bien en phase avec l’actualité et les débats si importants et judicieux sur les violences faites aux femmes, et notamment les violences conjugales. Virginie Efira est tout simplement éblouissante et on se lasserait presque de le répéter. C’est incroyable comme elle peut et sait jouer une telle variété de rôles. Je n’en dirais pas autant de Melvil Poupaud : il est bon dans ce film mais beaucoup moins convaincant qu’elle. Comme s’il surjouait. C’est la seule réserve qu’on peut émettre sur ce film à voir assurément.

Vu au théâtre de la Scala, «  la campagne »,  une pièce de Martin Crimp mise en scène pas Sylvain Maurice avec Isabelle Carré et Emmanuel Noblet.

 Histoire simple: un couple de londoniens a déménagé à la campagne avec ses deux
enfants . Lui est médecin, médecin de campagne donc. Un soir, sa femme découvre qu’une autre femme dort dans leur maison et il lui explique qu’il l’a ramassée inanimée au bord de la route . En fait c’est son amante et c’est pour cela qu’ils ont emménagé là. 

Bon, presque du vaudeville. 
Sauf que ce n’est pas une histoire pour rire, l’ambiance est grave. Ni d’ailleurs pour pleurer, on n’aura pas droit à un tragique dénouement. 
On est dans cette sorte d’entre-deux comme peut en offrir parfois le théâtre, où l’on oscille entre les sentiments, lui entre l’exaspération et la veulerie, elle entre l’ingénuité et l’indifférence, où l’on procède par allusions, où l’on tourne autour des mensonges.
Le texte est assurément difficile. Avec une difficulté que je n’avais jamais rencontrée au théâtre ( mais je ne revendique pas une expérience hors-pair ) quand ce dialogue amène deux acteurs à parler en même temps ! Quand je dis difficile…
Isabelle Carré et Emmanuel Noblet sont très bons. Ça n’est pas une surprise mais ça aide .

mardi 23 mai 2023

Trois paroles de femmes qui m’ont particulièrement marqué ces derniers jours:

 - celle de Souad Massi, l’auteure-compositrice- interprète algérienne, native de Bab El-Oued mais interdite de séjour dans son pays parce qu’elle est une militante de la liberté et ose dire ce qu’elle pense. J’ai découvert cette voix il y a une vingtaine d’années et je l’écoutais à tue-tête chez moi ou sur mon bateau tant elle me transportait. Une voix magnifique, pure et authentique, tout autant qu’engagée. Dans un grand entretien au Monde la semaine dernière elle disait à la fois sa liberté et son courage, sa volonté farouche d’émancipation et, en même temps, sa souffrance devant le drame familial qui l’a touchée ( en instance de divorce , le père de ses enfants, peut-être pour faire pression sur elle ou par vengeance, a tenté d’assassiner leurs deux enfants, sauvés presque par miracle ). Et dans des propos touchants elle exprime sa nouvelle mission : apprendre à ses filles la passion de la liberté, de l’émancipation, du courage.Une belle personne

- dans Libération cette fois-ci, une tribune de Nathalie Heinich répondant à une critique de son livre «  Le wokisme serait-il un totalitarisme ? » paru chez Albin


Michel, critique dont l’auteur affirmait que ce livre aurait pu être écrit par un responsable du Rassemblement National. Argument d’autorité s’il en est. Circulez , y’a rien à voir….

Pas de chance, Nathalie Heinich est une femme de gauche qui, courageusement elle aussi, affirme que ce n’est pas parce que le parti d’extrême-droite a fait de l’anti-wokisme son nouveau cheval de bataille, qu’il faut lui abandonner le terrain et ne plus s’opposer aux dérives d’un pseudo-progressisme ennemi de nos valeurs humanistes que sont l’universalisme républicain, la rationalité, la laïcité et la liberté d’expression. Un seul exemple : cette idéologie, car c’en est une, ne voit dans la laïcité qu’une attaque contre les minorités religieuses alors qu’elle les protège tandis que le RN, lui, n’a rien de laïque puisqu’il défend des religions contre d’autres….ce qui est intéressant dans ce débat c’est qu’il nous démontre à quel point l’histoire se répète : il y a 60 ou 70 ans ceux qui, à gauche, dénonçaient le stalinisme étaient aussi accusés de parler comme la Droite ….


- Elena Ferrante, enfin. L’auteure de la grande série « L’amie prodigieuse » livre un petit livre paru chez Gallimard: « Entre les marges. Conversations sur le plaisir de lire et d’écrire ». Les marges ce sont ces deux traits rouges verticaux qui figuraient sur


les feuilles de papier sur lesquelles l’auteure apprenait à écrire à l’école et qu’elle considérait comme une prison, avec leurs deux effets pervers : ou bien on s’y enferme, ou bien on force le trait rebelle…. Et cette réflexion est la transcription de conférences données par elle à l’Université de Bologne. Un texte passionnant où l’on découvre ses interrogations sur l’écriture féminine ou son rapport au dialecte napolitain et, surtout, sur sa passion de l’écriture. Pourquoi s’être abandonnée ainsi à ce qu’elle appelle la « passion scribouillarde » ? Et sa réponse est lumineuse : par amour, l’amour découvert adolescente à la lecture de Dante , un amour «  associé à la crainte, au tremblement, voire à l’angoisse et à l’horreur »…

samedi 6 mai 2023

Lu « Au vent mauvais » de Kaouther Adimi, un roman paru au Seuil en 2022.

 Kaouther Adimi est une jeune écrivaine algérienne assez prolixe puisqu’elle a déjà
publié plusieurs romans, des recueils de nouvelles, des pièces de théâtre, des scénarios ( dont celui de « nos frangins » le film de Rachid Bouchareb) , et a d’ailleurs reçu plusieurs prix dont le prix littéraire de la vocation, le Prix du roman des étudiants de France Culture ou le Renaudot des lycéens. Elle a aussi été pensionnaire de la Villa Médicis ( ce qui explique peut-être l’épisode romain de ce roman) . Une valeur montante quoi…. Elle nous propose ici cette fresque algérienne qui s’étend sur presqu’un siècle, de la colonisation à la guerre civile des années 90 en passant par la seconde guerre mondiale et, bien sûr, par la guerre d’indépendance, à travers les destins de trois personnages ( essentiellement un couple, Leïla et Tarek, le troisième Saïd pesant sur leurs vies comme une ombre distante et lourde) issus d’un petit village pauvre de l’Est de l’Algérie qu’ils quitteront pour la Casbah d’Alger avant d’y revenir pour se protéger et vieillir. Histoire simple et douloureuse d’une famille pauvre dont le père est contraint de s’expatrier en France pour travailler en usine et envoyer des mandats, au sein d’un pays qui n’en finit pas avec ses coups d’Etat et sa violence endémique, son islamisme radical triomphant puis réprimé avant que de faire l’objet d’un compromis confus.

C’est un joli petit roman, agréable à lire et qui donne de l’Algérie contemporaine un éclairage humaniste bien loin des clichés trop fréquents.

jeudi 4 mai 2023

J’ai connu Bernard Lapasset il y a 35 ans quand je me suis installé dans les Hautes-Pyrenées.

Son père, ancien résistant et ami intime d’Albert Ferrasse encore Président de la Fédération Française de rugby, était un militant socialiste du canton de Pouyastruc, habitant Louit un joli petit village des coteaux. Son père était un ami fidèle qui m’a beaucoup aidé, dès le début, dans mon aventure politique locale de sorte que, lorsqu’il est mort il y a une vingtaine d’années, sa femme et son fils Bernard me demandèrent de prononcer l’éloge funèbre sur le parvis de la petite église de Louit devant une foule assez nombreuse. Ce sont des choses qui ne s’oublient pas. Bernard était alors fonctionnaire des douanes, ancien joueur de rugby d’un assez bon niveau ( il joua comme seconde ligne à Bègles et Agen ) et simple membre du comité directeur de la Fédération. On sait ce que fut la suite de sa carrière, Président de la Fédération française de 1991 à 2008, de l’International Rugby Board de 2008 à 2016 ( après avoir battu un anglais ! De deux voix…), vice-président du Comité Olympique français. En 2012, mon amie Valerie Fourneyron, une remarquable Ministre des Sports, compétente et sage, lui confie une mission sur la place de la France dans les instances internationales du sport et notamment dans l’Olympisme. Avec une idée derrière la tête : les JO à Paris….ce fut la nouvelle passion de Bernard, sillonnant le monde avec son bâton de pèlerin du sport français. 

Jusqu’à la candidature déclarée en 2015, à la tête de laquelle il associa Tony Estanguet à ses côtés, puis la victoire de 2017: Paris allait organiser les Jeux de 2024. Mais curieusement, injustement, l’ingratitude se fit reine et Bernard fut écarté de la Présidence de l’organisation. Les ingrats en question lui offrirent une « Présidence d’honneur »….Beaucoup de ses vrais amis s’en offusquèrent mais lui, toujours bienveillant, incroyablement bienveillant, invraisemblablement bienveillant, les désarmait d’un sourire chaleureux, refusant toute polémique. Il fit alors une terrible chute dans le métro parisien, consécutive sans doute à un AVC , et s'en trouva fort diminué . Retour à Louit dont il fut un temps conseiller municipal, dans le fief familial puisqu’il avait acheté la ferme en face de celle de ses parents et s’y était installé avec sa délicieuse épouse. Puis leur fils Sébastien y fit construire sa maison sur leur terrain. Le fief familial se pérennise. Jusqu’à l’an dernier, les visites que je lui rendais étaient réjouissantes: même si les séquelles de son accident étaient réelles et qu’il se déplaçait avec lenteur et prudence, on bavardait de tout et de rien devant la baie vitrée de son salon, face à la belle campagne des coteaux bigourdans. Mais depuis quelques mois, victime d’un Alzheimer, son état se dégradait très vite. A ma dernière visite il y a quelques semaines à peine, il ne reconnaissait plus personne, pas même sa femme ou son fils, et restait prostré sur son fauteuil. J’en suis sorti bouleversé, conscient que les choses allaient se précipiter.
Il est donc parti le 2 mai, à son domicile de Louit, entouré des siens.

Je redis à sa femme, ses enfants et petits-enfants, mes pensées attristées et très affectueuses.