samedi 31 juillet 2021
Lu aussi « De notre correspondant à Jérusalem, Le journalisme comme identité » de Charles Enderlin,
Michel Wieviorka. Charles Enderlin, qui fut longtemps, très longtemps, le correspondant de France 2 à Jérusalem, est d’abord et avant tout journaliste, passionnément journaliste, franco-israélien, juif et laïc. J’ai déjà traduit ici l’estime que je porte au travail qu’il a relaté dans de nombreux livres sur le conflit israelo-palestinien, et plus encore sur l’évolution de la société politique israélienne tournant progressivement et radicalement le dos à ses racines socialistes et laïques pour s’engager sans réserve sur la voie d’un nationalisme conservateur, réactionnaire même, ultra-religieux. C’est un homme lucide et courageux qui livre ici ce qu’on pourrait appeler son « testament professionnel » ou, en tout cas, une leçon de journalisme. De journalisme sérieux, honnête, rigoureux, indépendant, résistant aux pressions d’où qu’elles viennent. Et de ces pressions, combien il en a été victime !
Il revient en particulier sur ce qu’il faut bien appeler « l’affaire Mohammed Al-Dura » du nom de cet enfant palestinien tué dans un échange de tirs avec des soldats israéliens en 2002, dont le caméraman de Charles Enderlin a soigneusement filmé la scène et dont les images ont fait le tour du monde. Charles Enderlin démontre dans ce livre avec honnêteté et rigueur comment la droite religieuse et nationaliste israélienne a fomenté une cabale formidablement professionnelle en termes d’organisation à défaut de l’être sur le fond, mobilisant des réseaux puissants, notamment en France pour expliquer que ces images étaient un trucage et que, bien sûr, l’enfant palestinien avait été tué par…un palestinien ! Une cabale pour mettre en cause son honnêteté et sa rigueur, une campagne pour mettre en cause son honneur professionnel. Remarquons au passage que les chefs de France-Télévision à l’époque ne lui ont jamais manqué de solidarité. Mais Charles a résisté car en plusieurs décennies de vie à Jérusalem, il n’a cessé de vivre avec ces pressions, toutes aussi brutales et indignes les unes que les autres. Au-delà de cette douloureuse affaire, ce livre est un récit de 50 ans de bruits et fureurs du conflit israelo-palestinien, et c’est un témoignage de qualité sur cette période de l’histoire.
Dans
ma retraite estivale, entre le Péloponnèse et la forêt landaise,
loin des fureurs du débat public, je songe avec perplexité à cette
polémique relative à la vaccination obligatoire. Et je commence par
essayer de ramasser des souvenirs : je pense d’abord à ce «
passeport international de vaccination » qu’on a très vite exigé
de moi, jeune voyageur enthousiaste pour, par exemple, aller dans des
pays exposés à la fièvre jaune. Une sorte de « pass-sanitaire »
avant l’heure non ? Puisqu’il s’agit de prouver une vaccination
pour entrer dans un pays….
Je
pense ensuite aux « livrets de vaccination » de mes enfants . Je me
souviens vaguement : diphtérie, tétanos, poliomyélite auxquels se
sont ajoutés ensuite la coqueluche, l’hépatite B, la rougeole,
les oreillons…. Je ne sais plus. La liste de ces vaccins
obligatoires s’élève au chiffre « 11 » depuis quelques années
et il parait que 70% des enfants les ont tous reçus, 80% si l’on
s’en tient aux huit principaux.
Vaccination
obligatoire également non ? Sans drame, sans heurts.
Alors
je réfléchis à cette histoire de vaccination obligatoire pour les
personnels soignants, dont je dis tout de suite qu’elle me parait
comme ça, spontanément, tomber comme une évidence : que les
médecins, infirmières, aide-soignantes qui nous soignent si bien se
mettent à l’abri en même temps qu’ils nous mettent à l’abri
en cas de pandémie, ça me parait juste du pur bon sens. Et, pour
tout dire, cela me paraissait tellement de bon sens, que je ne
comprenais pas pourquoi le pouvoir politique tardait tant à mettre
en place cette vaccination obligatoire ! Alors, j’ai interrogé des
amis médecins hospitaliers et j’ai découvert, je l’ignorais,
que les personnels soignants avaient aussi depuis longtemps une
longue liste de vaccinations obligatoires ! Avec une efficacité
avérée, on me dit notamment pour enrayer les hépatites B d’origine
professionnelle dans les années 70. Vaccinations obligatoires, sans
drames, sans heurts.
Alors,
comment se fait-il que le débat sur ce sujet atteint un tel degré
de violence et de tension ? Au point que la déraison la plus
choquante s’en empare quand on compare cette disposition à un
apartheid, ou que certains manifestants se parent d’une étoile
jaune ?? Provocations insupportables, inqualifiables, inacceptables,
condamnables ( pour avoir longtemps fréquenté l’Afrique du Sud et
étudié, là-bas, à de nombreuses reprises le désastre de
l’apartheid, je reste tétanisé par de telles comparaisons…
quant à cette utilisation révoltante de l’étoile jaune elle me
donne envie de crier « Primo Lévi reviens, ils sont devenus fous !
»…) mais qui en disent long sur l’état de notre démocratie et
du débat public.
Serait-ce,
comme on le dit ça et là, que c’est la nature du vaccin et ce
fameux « ARN-messager » qui provoquerait cette flambée ? J’ai du
mal à le croire …si j’ose dire, je n’ai pas lu sur les
pancartes des manifestants ni sur les réseaux asociaux ce slogan qui
eût frappé mon attention : « les vaccins oui mais pas l’ARN !
»
Malgré
tout, il doit bien y avoir, et ça peut être compréhensible, une
méfiance vis-à-vis de l’accélération du progrès scientifique :
un vaccin trouvé en moins d’un an, c’est presque trop beau pour
être vrai non ? Faut-il y croire ? Sans les partager, je comprends
ces réflexions.
Il
doit bien y avoir aussi une sorte de « bofitude » classique : «
bof, on verra ça plus tard » ou bien « bof, c’est bon pour les
autres mais pas pour moi »…les réactions récentes d’afflux
dans les centres de vaccination après les dernières déclarations
plus fermes du Président montrent que cette attitude n’est pas
négligeable.
Après,
que les réseaux asociaux poursuivent à l’occasion leur œuvre
destructrice de la raison et la rationalité, qu’ils alimentent les
complotismes les plus divers à coup de fake-news, comment s’en
étonner ? L’occasion est trop belle ….
Et
que des partis politiques ou des politiciens en mal d’audience
alimentent ce feu qui couve, ce n’est pas glorieux mais, à moins
d’un an d’une élection présidentielle, c’est tout sauf
étonnant…
Ce
qui me navre le plus dans cette affaire, c’est qu’on en soit à
rappeler des évidences : la liberté, la mienne, la tienne, la
vôtre, s’arrête où commence celle des autres. On l’apprend
dans les écoles et c’est même dans la déclaration universelle
des droits de l’homme ! On a donc parfaitement le droit de ne pas
se faire vacciner mais, dans ce cas, on reste chez soi et on ne met
pas en danger la santé voire la vie d’autrui.
Vivre
ensemble dans la République, notre bien commun si précieux suppose
que l’on respecte tous ensemble nos droits ET nos devoirs. Nos
droits et nos libertés certes. Mais aussi nos devoirs et, en
particulier, l’ardente obligation de respecter les lois de la
République qui sont l’expression de la volonté générale et
définissent l’intérêt général. Oui, l’intérêt général
au-dessus de nos intérêts particuliers. Ce ne sont pas que de
vagues concepts généraux de philosophie politique, cela vaut aussi
pour la vaccination…..
lundi 26 juillet 2021
Quelques lectures de début d’été :
« Bonjour Pà, lettres au fantôme de mon père » d’Ariane Ascaride paru au Seuil.On connaît l’auteure qui est d’abord et avant tout actrice, la compagne du cinéaste
Robert Guédiguian, l’égérie de tous ses films ou presque, mais aussi la militante politique engagée dans toutes les causes généreuses. Une sorte de résistante que j’ai eu la chance de rencontrer en juin lors du festival du Journal Intime organisée par Karine, ma femme, à Saint Gildas de Rhuys et qui m’est apparue comme fort simple et chaleureuse, spontanée et drôle. Elle livre ici un essai original, une sorte de chronique de la crise sanitaire sous forme de lettres à son père adoré mais disparu. C’est, à l’image de l’auteure, formidablement spontané et sensible. J’ajoute que, par les temps qui courent, lire les réflexions d’une femme de raison qui exprime ses vives inquiétudes devant toutes ces formes de déraison qui s’épanouissent dans la crise, n’est pas sans intérêt.
-« Journal d’un corps » de Daniel Pennac paru chez Gallimard et désormais en livre de poche. Intéressante entreprise : quelque chose comme le journal intime
d’un corps qui s’exprime à la première personne et livre, sans retenue aucune et parfois même avec une spontanéité désarmante et un langage des plus crus, les expériences physiques de toute une vie, depuis la naissance jusqu’à la fin. Il y a des choses savoureuses sur l’éveil du corps à l’adolescence et notamment les premières pulsions sexuelles. Il raconte peut-être et surtout le mieux les affres du vieillissement, tous ces dérèglements physiques qui s’accélèrent et sont la marque de …l’inexorable. C’est très agréable à lire et d’une pertinence concrète
-« La passion de la Fraternité, Beethoven » d’Erik ORSENNA paru chez Stock/Fayard.
Mon ami Erik, tel le stakhanov des grands jours, poursuit ses publications sur les sujets les plus divers à un rythme plus que soutenu. Il s’intéresse ici à Ludwig
van Beethoven, le grand musicien, qu’il restitue dans son époque -la fin du 18ème siècle et le début du 19ème - et sa géographie -l’Allemagne de sa naissance et l’Autriche, Vienne en particulier, de sa résidence. Ce n’est pas une biographie à proprement parler, mais un essai « impressionniste » multipliant les angles , la famille, les amis, les amours, l’indigence économique du maître, les rapports aux gouvernants etc… dans un exercice virevoltant et très divers. Mais Erik ne s’est pas arrêté là, il a cherché, bien sûr, une cohérence à la vie et l’œuvre du grand musicien. Et il l’a trouvé dans la Fraternité ! Certes, il y a quelque chose de généreux que d’offrir aux public un chef d’œuvre à tous les moments marqués par l’épreuve dans sa vie; certes aussi il y a cette « Hymne à la joie », la neuvième symphonie devenue l’hymne de l’Europe en paix, composée à partir de l’inspiration que donna très tôt Beethoven à la lecture du poème de Schiller, « Joie tous les humains deviennent frères lorsque se déploie ton aile douce »….mais j’avoue que la démonstration m’a laissé un peu sur ma fin. Il reste que ça se lit très bien et que l’on y apprend plein de choses sur le musicien.